lundi 6 décembre 2010

Episode 3

3.

C'est pourtant le cinéma nord-coréen de Michel qui, quelques jours plus tard, allait nous sortir de notre torpeur. Nous sirotions tranquillement nos verres dans un « Chez Roger » particulièrement calme, quand Paulo bougonna entre ses dents : « Aurélie, vous voyez qui c'est Aurélie, non ? » Évidemment que nous voyions qui était Aurélie, qu'il est con ce Paulo, tout le bar la connaissait. Elle vivait seule avec sa gamine, une adorable petite peste qu'elle nous avait souvent laissée en garde au bistrot quand elle trouvait un petit boulot. Pour l'heure, elle bossait comme ouvreuse au Zola. C'est Michel qui lui avait dégotté le job. Ils avaient été très proches tous les deux, et avaient aujourd'hui une relation chaleureuse. Aurélie passait souvent « Chez Roger » toujours gaie et souriante. Belle comme un cœur, mais pas plus fière pour autant. Comme le disait souvent Michel : « Y'a bien que les moches pour nous faire chier ! »Alors oui, chacun connaissait cette gonzesse, chacun l'aimait, et chacun y alla de sa petite musique, rapidement interrompue par un Paulo bien plus sombre qu'à l'habitude : « Je l'ai croisée l'autre soir, et elle s'inquiète pour sa petite sœur, qui a disparu. Figurez-vous que je joue au rugby avec son frère à Rillieux. Vous pourriez faire quelque chose ? » Nous avions dévisagé notre ami d'un œil moqueur : « Non, tu sais bien que nous sommes surbookés ! » Mais nous connaissant depuis si longtemps, il n'avait pas marché dans notre pauvre blague, haussant les épaules fataliste, avant de demander à Roger de renouveler les consommations. « Tu aurais dû, commencer par là. », apprécia Michel. « Et la police, qu'est-ce qu'elle en dit ? » Paulo ricana avant d'expliquer avec lassitude, comme s'il parlait à des mongoliens : « La police, qu'est-ce que vous voulez attendre de la police ? La police, elle n'a pas bronché, cela vous étonne ? Vos stages chez eux vous ont méchamment ramollis, les mecs ! » Et après un long silence : « D'un autre côté, elle a quand même 23 ans, cette môme ! » Michel bondit : « Paulo, tu crois que l'on a que ça à foutre, écouter tes élucubrations ? » Courageusement, mais en se reculant quand même un peu, Paulo poursuivit : « Ben, oui, justement, comme moi, vous n'avez rien d'autre à foutre » et il reprit d'un ton qui ne tolérait aucune contestation : « D'ailleurs mon pote va passer ce soir, et si vous ne voulez pas l'aider... ». « Tu plaisantes, et comment que l'on va l'aider. Et si les deux autres ont trop de travail à l'agence, dit Lucien avec un petit ricanement, nous nous en chargerons avec toi et Arobase. » Nous regardâmes ces trois zozos, effarés. Ils ne doutaient de rien les bougres. Ils nous défiaient, bien décidés eux aussi à jouer aux détectives privés. « Privés de cervelle », comme me le glissa discrètement Michel. Mais il est vrai que depuis la fermeture de l'usine, tous les copains cherchaient désespérément une occupation autre que mots fléchés ou sudoku. Et ça, c'était pas gagné !

Alors quand le frère d'Aurélie a déboulé dans le bar, nous nous sommes tous agglutinés autour de lui. C'était un petit râblé, méchamment dégarni et à l'abord plutôt sympathique. Il accentua rapidement cette première impression en offrant la tournée générale, qui lui ouvrit immédiatement un crédit positif. Crédit dont il usa sans tarder pour nous raconter son histoire. Antoine, puisqu'il s'appelait Antoine, nous expliqua que depuis le départ de son père, c'était l'enfer à la maison. « Surtout pour Pauline, notre petite sœur ». Comme à ce stade de la narration, la majorité du bar était larguée, sans parler de Paulo qui dormait, Michel demanda à notre nouvel ami de s'expliquer plus clairement. Quatre, cinq bières plus loin, nous n'ignorions plus rien de cette gentille petite famille : Claire et Gérard Valentin mariés, trois enfants. Aurélie 28 ans, Antoine le rugbyman 26 ans et Pauline la petite disparue, 22 ans dans une semaine. Quand le couple s'était mis à tanguer en 2004, Gérard le père était parti. Sa femme s'était rapidement mise en ménage avec un ami de la famille, Jean Lanterne. « Un fieffé tocard », nous précisa Antoine, qui expliqua à l'assemblée chavirée qu'à dater de ce jour, tout se mit à déraper. « Avec Aurélie, ma sœur aînée, nous avons pris nos cliques et nos claques, tellement l'ambiance était détestable. Pauline, qui allait toujours à l'école, est restée avec eux et la situation eut l'air de s'améliorer. En tout cas c'est ce qu'il nous semblait jusqu'à l'autre jour... »
A cet instant, Roger envisagea une fermeture un peu prématurée (il venait de rencontrer une petite poulette qu'il devait accompagner le lendemain matin à l'école primaire), mais Michel lui fit sagement comprendre qu'il n'en était pas question. Nous voulions approfondir cette histoire, mais Roger, particulièrement motivé (ah, l'amour !), nous expliqua que nos bureaux voisins n'étaient pas fait pour les chiens et que nous avions des journées entières pour nous occuper de cette affaire. Face à une telle mauvaise foi, nous aurions pu mettre le bar à feu et à sang, mais outre le fait que nous en étions les propriétaires, nous avions changé. Plus mûrs, plus sages, plus responsables. Bref, de vrais petits anges. Alors nous quittâmes ce bar inhospitalier, non sans avoir préalablement pissé contre le comptoir, en signe de représailles. De vrais petits anges, vraiment.

2 commentaires:

phyll a dit…

ça y est..... je sens les embrouilles toutes proches !!

BBK.mel a dit…

Pffffffff je suis en retard dans mes lectures : je râle parce que les épisodes n'arrivent pas assez vite, et là j'en ai deux de retard. Mais je t'aime toujours, Louis. C'est l'essentiel.