dimanche 12 décembre 2010

Episode 4

4.

Depuis que l'autre soir, Roger nous avait foutu dehors comme de vulgaires malpropres, Michel ne décolérait pas. Il envisageait même de licencier ce gougnafier, avant que je ne l'en dissuade habilement. Alors ce rancunier avait décrété un « embargo unilatéral illimité » qui nous avait obligé à nous rabattre sur le bar des sports. J'avais eu beau expliquer que Bob, le patron, était largement aussi con que Roger, Michel était resté sourd à mes arguments. Malgré tout, nous avions bien étoffé notre enquête. Enfin, quand je dis étoffé, j'exagère un peu. Disons que c'est surtout notre agence qui s'était étoffée. Je m'explique. Comme après notre sortie humiliante de « Chez Roger », nous nous étions fait un point d'honneur à picoler dans tous les bars encore ouverts cette nuit-là, nous avions eu un réveil assez difficile. Alors le lendemain matin, tout en buvant des alka-seltzers, Michel avait décidé que nos trois compères (Arobase, Lucien et Paulo) iraient à la pèche aux informations. « Avant tout, il nous faut des nouvelles du père, celui qui est parti, hein ! », précisa-t-il en regardant Lucien. « Martin et moi, on s'occupera plus tard des parents. Allez, disparaissez, j'ai mal au crâne. » J'allais lui signifier mon mécontentement face à ses prises de décisions pour le moins hâtives, quand Arobase attaqua frontalement, et un peu inconsciemment, il faut bien le reconnaître, la délicate question des salaires. « Des salaires ? » Michel avait rugi : « Non, mais vous vous croyez où, bande de salopards ? Si ça veut rire, on vous payera une bière à la fin et c'est marre ! Qu'est-ce que vous vous imaginiez ? » J'ai bien cru que Michel allait l’assommer, et d'ailleurs, c'est ce qu'il aurait fait si Lucien, que je n'aurais jamais imaginé aussi rusé, n'avait cogné là où ça fait mal : « Ben merde, c'est vous qui êtes gonflés. Toute votre vie, vous vous êtes battus pour plus de justice sociale, vous avez milité, fait des grèves et des manifs pour de meilleurs salaires et là, vous voulez nous enfler comme de vulgaires négriers ? » A la mine défaite de Michel, je savais déjà comment tout cela allait finir. Et, effectivement, après d’âpres négociations, nous sommes tombés d'accord sur un forfait global, qui ravit tout le monde. Mais ça, c'était lundi dernier, et nous étions, Michel et moi, un peu inquiets d'être depuis ce jour, sans nouvelles de nos nouveaux « collègues » Comme le disait mon ami en riant : « ils sont passés sans coup férir, d'alcooliques à acolytes. C'est-y pas beau, ça ? » A vrai dire, ils ne me manquaient pas trop ces zèbres, empêtré que j'étais dans ma relation douloureuse avec Camille. Sa disparition me chagrinait beaucoup plus que celle de la jeune femme. Et cette hypothétique enquête me laissait de marbre. Par contre, pour Michel, c'était « l'affaire du siècle » et il me tannait sans cesse pour que je m'y intéresse davantage: « Oublie cette fille, elle n'est pas faite pour toi. » Qu'est-ce qu'il en savait, lui, des filles qui étaient faites pour moi ? Parfois, un ami comme Michel, il fallait se le fader, je vous le jure. Mais quand Michel insistait... « Bien, mais si tu veux des nouvelles de nos zigotos, il te faudra retourner chez Roger, parce que c'est là qu'ils mènent l'enquête, à ce que l'on raconte. Et c'est vrai que toute la Croix Rousse ne parlait que de cette enquête et de l'embauche de ces trois clampins. Chapeau la discrétion ! Il ne se passait pas un jour sans qu'un traine-patin efflanqué ne vienne me demander de l'engager dans notre agence. Ils nous confondaient avec le Pôle emploi, ces pauvres bougres. Michel, au bord de l'apoplexie, se fit confirmer mes dires par quelques piliers de bar, avant de me signifier qu'il était temps de rejoindre nos zozos pour leur « botter le cul, tout en faisant avancer l'enquête ».

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