jeudi 7 juin 2007

N°07. Le chanteur

J'allais entamer le troisième rappel, et j'avais l'impression que le concert n'était pas prêt de se terminer. L'ambiance était excellente et le public déchaîné. Il faut dire que ce petit bar accroché aux pentes qui dominent la place des Terreaux était notre salle fétiche. C'est ici que nous avions débuté deux ans plus tôt. Ce soir, tous nos fidèles s'étaient donnés rendez-vous, et l'alcool aidant, ils nous poussaient vraiment, à l'image des supporters de foot. Sans me vanter, ce soir j'ai chanté comme un Dieu. Tout a fonctionné, mon jeu de scène, mes cordes vocales et les déhanchements de mon petit cul. Les cris et les gestes de l'assistance confirmaient mon impression. Dans un tel contexte, je trouve l'attitude de Bruno détestable. Je suis furieux contre lui. D'accord, Bruno n'a jamais été un batteur de génie, mais ce soir il en a rajouté dans le ringard. Il a prit un malin plaisir à bousiller tous mes effets, frappant comme un sourd dans les moments les plus inapropriés. Heureusement que Denis et Philippe les deux guitaristes ont assuré comme des bêtes. Dégoulinant de sueur j'entamais "Satisfaction", refoulant les pulsions de meurtre qui montaient en moi chaque fois que mon regard tombait sur ce batteur de merde. Il ne perdait rien pour attendre. Chanter devant un public tel que celui de ce soir me procurait un plaisir proche de celui que je ressentais avec une femme. Avec Marie par exemple, Marie la petite amie de Bruno, si vous voulez tout savoir. Etait-elle obligée cette gourde de raconter nos extra à ce grand con? Tout cela pour lui faire mal, qu'elle a dit. Bravo Marie, c'est réussi. Il a faillit me tuer ce jour là, mais on montait sur scène et il a dut la mettre en veilleuse. C'était au Printemps de Bourges, un formidable tremplin, la chance de notre vie. Un gâchis, voilà ce qu'a été la chance de notre vie, personne n'a été bon, et tout cela à cause de moi. Mais ce soir c'est différend, c'est un concert pour les amis les fidèles et pour nous. A la fin j'annoncerai notre séparation, une surprise pour tout le monde. Quoiqu'il me semble que Denis et Philippe se doute de quelque chose. De toute façon depuis Bourges, nous n'avons plus joué. J'évite courageusement Bruno, qui se répand partout en invectives à mon encontre. Pour l'instant les applaudissements me grisent et je suis heureux. Je lève les bras pour obtenir le silence.
- Je voudrais tous vous remercier pour votre soutien et votre amour. (Clameurs et nouveau geste d'apaisement) Avec un petit rire j'ajoute :
- Vous venez d'assister à un concert historique, car c'est le dernier. Nous ne rejouerons plus jamais ensemble. Les gens me regardent surpris, comme s'ils n'avaient pas très bien compris le sens de mes paroles. Je me tourne et désigne du doigt mon batteur préféré.
- En tout cas, plus jamais avec un musicien aussi mauvais que celui là.
J'espérais une réaction et je ne fut pas déçu, Bruno à enjambé son matos et s'est jeté sur moi. Il y a eut des cris et des bruits divers, puis j'ai senti les coups. Pas longtemps, car des gens se sont interposés, qui nous ont séparé. L'ambiance dans le bar était plutôt chaude vous pouvez me croire.
Quelques mois ont passé et avec mes deux guitaristes nous avons reformé un groupe. Philippe et Denis sont homosexuels, je ne risque pas de leur piquer leurs femmes. Depuis toujours c'est par les femmes que sont venus tous mes ennuis, je ne sais pas les aimer. La musique n'arrange rien. Dans ce milieu factice et superficiel, ma petite notoriété m'a ouvert des horizons inespérés. J'ai accumulé les conquêtes comme une revanche sur mon adolescence pavée de frustration. Mais depuis le départ de Bruno il me semble que j'ai mûri, je travaille mieux et surtout j'ai rencontré Camille qui m'apporte enfin ce que j'attendais de l'amour. Une petite maison de disque s'intéresse à nous, elle a loué une salle dans le centre de Lyon pour notre concert de reprise. Ce soir nous jouons notre avenir et je suis gonflé à bloc. Quelques bonnes âmes m'ont signalé que Bruno rodait dans les coulisses mais je m'en moque, je suis au courant de ses menaces, il ne me fait pas peur. Lorsque la scène s'illumine, je suis campé solidement sur mes jambes la guitare entre les mains la bouche près du micro. En une fraction de seconde je prend conscience du public, de la tension qui flotte au dessus des tête. Je vois Camille angoissée au premier rang. Au moment de balancer mon premier riff de guitare j'aperçois Bruno qui sourit.



Le Progrès de Lyon du 10/12/98.
"Drame hier soir salle Rameau:
Un jeune chanteur meurt électrocuté par sa guitare....."

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'avais laissé un commentaire mais ai du faire une mauvaise manip... ce texte est un petit bijou.. comprends pas que vous n'ayiez aucun commentaire. Où sont passés les potes du petit bar ?

Eloïse a dit…

A croire qu'on a tous eu un batteur nommé Bruno dans notre groupe !