vendredi 8 juin 2007

N°08 Un sacré coup de main.

La pièce ressemble à celles que l’on voit à la télévision ou au cinéma, sale sombre et puante. Les flics m’ont laissé mes cigarettes, mais je suis trop mal pour en profiter. Sur le bureau trône la fameuse lampe qui sert à éblouir le suspect. Jusqu’à maintenant, je n’ai pas eut droit à cet honneur.
- Raconte.
Le flic a les yeux globuleux et donne l’impression de s’ennuyer.
- J’ai déjà raconté à vos collègues.
- Je m’en fous, raconte encore, et arrête de nous prendre pour des cons.
- Mais je suis sérieux, c’est un accident.
J’ai crié ces derniers mots et la gifle me coupe le souffle. Le policier très calme allume une cigarette en prenant tout son temps avant de poursuivre d’une voix lasse très étudiée.
- Je suis dans la police depuis 30 ans et j’ai l’habitude des accidents crois-moi, alors t’as intérêt à me raconter comment tout cela est arrivé, parce que toi et ton pote, vous êtes mal barrés.
Je baisse les yeux, comment lui expliquer ? Qu’est-ce qu’un vieux flic comme lui peut comprendre ? Je me demande ce que raconte Roger dans le bureau voisin.
Depuis longtemps, je pressentais que Roger allait m’attirer des emmerdements, c’était inévitable, mais comment me passer de lui ? A traîner comme je le faisais dans les bars de la Croix Rousse, il était fatal, qu’un jour ou l’autre tout tourne mal.
J’ai une putain de migraine, mais n’ose pas demander de cachets.
J’ai rencontré Roger il y a quelques années lors d’une de ces bagarres d’ivrognes qui vous cimente l’amitié pour toujours. De ce jour nous sommes devenus inséparables. Pas réellement amis, mais de proches buveurs. Depuis le départ de ma femme et mon licenciement, ma vie partait en couilles, et seuls les bars de nuits m’apportaient un peu de cette chaleur factice qui m’aidait à survivre. Je n’étais qu’une boule de haine. J’en voulais à la terre entière pour ma vie brisée et j’allais sans goût, sans buts et sans repères. Roger lui, vivait avec sa mère, et après le souper, il descendait au bistrot, pour, comme il le disait, « ne pas se faire chier devant la télé comme tous les blaireaux » En fait, il préférait se faire chier au bar et c’est là que je le retrouvais. Vissés sur nos tabourets, nous enfilions les bières et les cigarettes, les tympans déchirés par la musique, échangeant quelques pensées profondes et tentant nos chances auprès de clientes avenantes. Lorsqu’il n’y avait pas trop de monde, nous faisions une partie de fléchettes ou de 421. Hier soir d’ailleurs c’est ce que nous allions faire, car il n’y avait pas foule. Mais Francis le patron est venu se caler dans notre coin pour discuter un peu. Francis on l’aime bien, il est cool. Il remet souvent sa tournée et ne nous jette jamais dehors. Il m’a même ramené chez moi un soir de suralcoolisation. Entre deux bières, il nous a parlé de ses ennuis avec ses voisins du dessus, un couple de jeunes cadres dynamiques qui venaient d’acheter puisque c’est la mode dans le coin.
- Ces jeunes merdeux se plaignent du bruit, je me demande pourquoi ils ont acheté ici.
L’œil de Roger s’est allumé.
- On va aller leur causer à ces connards.
- Laisse tomber, c’est mes oignons, je vais faire attention pendant quelque temps pour les calmer, j’ai l’habitude.
Le bar s’est rempli peu à peu et Francis nous a abandonnés. Quelques bières plus tard, alors que je louchais effrontément sur le décolleté de ma voisine, Roger m’a fait sursauter.
- On va aller causer à ces mauvais coucheurs.
- T’es pas loufe, à cette heure ?
- Ben quoi, c’est 22 heures, juste l’heure ou les casse couilles téléphonent aux flics.
Avec un sourire canaille Roger a exhibé une espèce de carte barrée de bleu blanc rouge.
- C’est quoi ce truc ?
- C’est ma carte professionnelle, si je la montre vite, on dirait une carte de flics.
Je restais songeur, mais n’ayant jamais vu de carte de police je me gardais bien d’ergoter. Et puis je n’allais pas laisser Roger tout seul. Il avait raison, Francis avait besoin d’un coup de main, et nous allions l’aider.
Nous sommes sortis discrètement et avons grimpé sans un mot à l’étage. J’allais parler, mais Roger avait déjà sonné. Le temps d’une microseconde, j’ai bien entrevu le sac d’embrouilles qui se profilait à l’horizon, mais cela fut trop furtif. Une voix peureuse interrogeait derrière la porte.
- Qui c’est ?
- Police.
- La police, à cette heure ?
- Vous avez bien porté plainte pour tapage nocturne Monsieur Roussillon ?
L’homme avait entrouvert la porte.
- C’est exact.
- Nous devons constater, cela ne sera pas long.
J’étais admiratif devant l’aisance de Roger, mais lorsque la porte s’ouvrit, j’aurais aimé être au diable. Mon ami exhiba avec brio sa carte plastifiée et expliqua en entrant.
- Nous devons rendre compte d’une éventuelle nuisance. Si notre rapport est positif, une équipe de techniciens viendra mesurer le niveau exact de décibels.
Il avait sortit un petit carnet noir et un stylo. Le jeune cadre nous regardait de ses yeux ronds et effarés. La situation était plutôt drôle et je suivais tout cela comme un spectacle plutôt agréable.
- Comprenez monsieur, que les experts ne se déplacent pas avec leur matériel à chaque appel.
Le dénommé Roussillon était complètement dépassé par les évènements et avait reculé devant l’assurance de Roger jusque dans le salon. Mon ami s’assit sur le canapé pour déclarer bonhomme.
- N’ayez aucune crainte, nous allons attendre quelques instants et faire notre rapport. Pouvez vous éteindre la télévision ?
Le jeune homme-La trentaine environ - s’exécuta sans un mot. Il était trop surpris pour réagir et je m’amusais de le voir si désorienté. Malgré son jeune age, il était déjà bien dégarni, et son allure guindée indiquait qu’il était déjà vieux. Trop sérieux pour traîner les bars, trop strict pour penser à autre chose que son travail. Ce devait être un bel emmerdeur dans son entreprise. De l’espèce d’enculé que je hais cordialement, me surpris-je à penser. Si à l’entrée, il m’avait inspiré un peu de pitié, pour l’heure je le détaillais sans aucune tendresse. Derrière ses lunettes à monture épaisse, ses yeux roulaient en tout sens.
- Qu’est-ce qu’il se passe chéri ?
La voix me fit sursauter, mais c’était de la rigolade par rapport au bond que je fis lorsque apparut sa propriétaire. Elle surgit dans le salon vêtue si l’on peut employer ce mot, d’une nuisette scandaleuse, qui non seulement ne cachait rien, mais au contraire rehaussait ses formes généreuses. C’était une petite blonde potelée comme on aimerait en voir plus souvent, surtout dans cette tenue. Par son entrée dans la pièce, elle nous offrit un spectacle adorable. En nous découvrant, elle poussa un petit cri vraiment très réussi et tournant les talons nous présenta un autre coté de sa personnalité. Je dus m’asseoir tellement cette vision m’avait touché, et du coin de l’œil, je vis qu’il en était de même pour Roger. Je sut à cet instant qu’il nous fallait partir. Il y avait dans les yeux de mon compagnon cette lueur dangereuse qui annonçait le drame. Pourtant je ne bougeais pas, encore sous le choc de cette apparition.
Roger se leva pour suivre la jeune femme en déclarant sans honte.
- Je dois vérifier les autres pièces. Et au jeune homme qui voulait le suivre.
- Restez avec mon collègue, je trouverais tout seul.
Là, c’est sur, cela partait mal. Mais je ne dis rien observant l’homme pour voir dans son attitude jusqu’où nous pourrions aller. Il n’y avait pas à s’inquiéter, il restait sans réactions, les bras ballants avec l’air con qui lui allait si bien. J’aurais cru qu’il essayerait de téléphoner à la police, mais pas du tout, il regardait bêtement la porte par laquelle sa femme et Roger venaient de disparaître. Puis son regard interrogateur se posa sur moi. Je levai les deux mains en signe d’apaisement.
- La routine, ne vous en faite pas.
J’aurais aimé boire quelque chose, mais je n’osais pas réclamer. Est-ce que des policiers en mission boivent chez les clients ?
Soudain la femme cria et son hurlement déchira l’atmosphère paisible du salon. Je bondis de mon siège pour me coller au jeune homme.
- Restez calme, ce n’est rien.
Mais le cri l’avait sortit de sa torpeur, il s’ébroua et fonça vers la porte. Je fus sur lui en une fraction de seconde et le séchai d’une manchette à la nuque. Il vacilla et me jeta un regard d’incompréhension. Je le frappai violemment au visage et il s’effondra. Je me massai les poings tout en surveillant ma victime. Il avait vraiment une gueule de con et cela me rassura. Pour faire bonne mesure, je lui balançai mon pied dans la tête. Cela eut le don de le calmer, comme quoi dans toute situation délicate, une franche discussion règle bien des problèmes. L’homme à terre inanimé, je me précipitai vers le bar. J’avais la gorge sèche et me servit un whisky à la hauteur de l’évènement. C’est en voulant boire que je réalisais que je tremblais comme une feuille. Les bruits qui me parvenaient de la chambre étaient sans équivoque. J’imaginais Roger et la femme et je mourrais d’envie de les rejoindre, mais l’homme au sol allait se réveiller. Un regard sur la pièce me permit de découvrir l’objet qu’il me fallait. Dans l’âtre de la fausse cheminée je prit la pièce métallique dont j’ignore le nom, mais qui trouva sa place immédiatement au creux de ma main. La peur et les cris m’excitaient. Un voile rouge tomba sur mes yeux et je frappai. Je n’étais plus moi-même, des années de frustrations, d’humiliations, de galère, de souffrances remontaient en moi. Il fallait bien qu’un jour quelqu’un paye la note. Voila, c’était lui. J’étais en nage et à mes pieds gisait un corps disloqué. Je bondis vers la chambre où je trouvai le couple en pleine action. La jeune femme ne criait plus mais dans ses yeux je lisais l’horreur. Je tirai Roger à moi, mais il me repoussa violemment et son regard halluciné me fit peur. Je chutai lourdement sur le sol et me mis à pleurer.
J’ai perdu conscience et c’est Roger qui m’a relevé.
- Je crois qu’ils n’emmerderont plus Francis.
Nous sommes partis, laissant la porte grande ouverte. Nous avons bu toute la nuit. Il nous fallait nous abrutir pour nous laver de ce cauchemar. Nous n’avons pas échangé un mot. Les flics n’ont eut aucun mal à nous trouver, nous ne nous cachions pas.
Qu’est-ce que pourrait comprendre ce commissaire ? -

1 commentaire:

Eloïse a dit…

Bon, j'en suis à la 8ème aventure, et je peux dire que j'aime bien. Le style de l'écriture, ça se lit simplement, c'est agréable. Mais quelle violence !! Impressionnant ! Moi qui suis plutôt dans le monde des Bisounours..