mardi 5 juin 2007

N°05 Le Footeux

Gilbert était rayonnant. Bien sur l’alcool n’était pas étranger à cet état, mais il faut bien avouer que la soirée elle même avait été radieuse. Après une bonne petite bouteille de Meursault en apéro, Gilbert m’avait fait découvrir un super restaurant Tunisien. Ensuite, sur les pentes de la Croix-Rousse, notre bar habituel était plutôt calme, et tranquillement vissés à nos tabourets de bar, nous pouvions discuter en toute quiétude, de plus en plus librement au gré des bières qui tombaient régulièrement. Christophe le barman avait même le temps de se joindre à nous entre deux clients pour nous tenir au courant des derniers potins de la colline. Les filles étaient belles et souriantes, leurs compagnons de bonne humeur. Bref un instant de grâce comme il s’en produit parfois lorsque le printemps est doux et que Lyon scintille de toutes ses lumières pour embellir la nuit et nous faire rêver à un monde meilleur. Nous baignions tous dans une telle euphorie que même un verre maladroitement renversé ne déclencha aucune tension. Il devait être une heure du matin lorsque les footballeurs sont arrivés. Ils étaient une dizaine et je ne sais ce qu’il fêtaient, mais ils étaient particulièrement excités. Ils parlaient fort, riaient bruyamment se frappant le dos et les mains comme ils le font si stupidement après avoir marqué un but. Avec Gilbert nous observions leur manège sans un mot, mais lorsqu’ils se sont mis à chanter j’ai craqué. J’ai grimpé sur mon tabouret pour gueuler :
- Ho les primates, vous n’êtes pas dans vos vestiaires, alors fermez vos grandes gueules.
Le silence qui s’est installé dans le bar était plutôt réussi. Content de moi je suis descendu de mon tabouret et j’ai vu Gilbert souriant. J’ai repris mon verre tout en sachant bien que l’incident n’en resterai pas là. Effectivement, après quelques secondes de flottement dues à la surprise, les sportifs se sont regroupés et ils se sont avancés vers moi, le plus costaud en tête. Ce monstre faisait bien deux mètres et était bâti comme une armoire. Il devait jouer à l’arrière, et faire un drôle de ménage sur un terrain. Il portait les cheveux courts, presque rasés, comme c’est la mode actuellement. Arrivé à un mètre de moi, il s’est arrêté pour parler :
- C’est toi minus qui nous a traité de primates ?
Collé à lui mais caché aux deux tiers, je distinguais une espèce de play-boy chevelu et longiligne qui paraissait très excité. Je l’entendais souffler au costaud :
- Vas-y Bob, vas-y.
J’ignorai superbement le dénommé Bob et fixait exclusivement le minet des stades. Ce devait être la vedette du club, le buteur, l’artiste, car j’avais remarqué qu’il était depuis leur arrivée le héros de la fête. A force de me concentrer sur lui, j’en avais presque oublié le gaillard qui me parlait. Vexé ce dernier fit un pas en avant et renouvela sa question. Bien calé sur mes deux jambes, c’était le moment que j’attendais. Comme un joueur qui va tirer un coup franc et guette la faille dans le mur adverse, je vis le trou vers la cage et balançais ma jambe en visant la lucarne. La lucarne en l’occurrence c’était le genou du jeune avant centre. Le craquement me fit mal aux oreilles. Son articulation à dû exploser sous le choc et en hurlant il s’est écroulé comme fauché par une rafale. Ses amis se sont précipités sur lui et je suis remonté fièrement sur mon tabouret, souriant à Gilbert.
- Je crois qu’il y a but là non ?
- Y’a pas une petite faute sur l’homme ?
- Penses-tu, je jouais le ballon.
Mon ami a levé les mains en signe de défaite :
- Si tu jouais le ballon, alors il y a bien but.
Et nous avons éclaté de rire.
La rigolade n’a pas duré longtemps malheureusement. Pouvais-je deviner que ce jeune maigrelet était l’étoile montante de l’équipe de France Espoirs ? Sa photo en fauteuil roulant à fait la une de tous les journaux et les médias ont fait pleurer la France entière avec l’histoire de son destin brisé. Tous me sont tombés dessus : sa famille bien sur, mais aussi la Fédération Française de Football, la télévision et même les sponsors, parce que ce merdeux avait déjà des sponsors !
Au procès cela a été un carnage. Ils ne pouvaient décemment pas me guillotiner pour un genou brisé, mais ils m’ont drôlement chargé : Deux ans de prison ferme. Un Membre de footballeur a plus de valeur que la vie d’un enfant de banlieue. En plus j’ai eu droit aux dommages et intérêts et lorsque le président m’a présenté la note j’étais hors de moi. J’ai hurlé pour me défouler :
- Est-ce que j’aurai la garde du ballon ?
Cela n’a pas plu du tout et j’ai eu droit à insultes à magistrat. Pour finir, en raison du handicap causé, la cour a décrété que je devrais payer à ma victime une rente mensuelle tant qu’il vivrait.
Tant qu’il vivrait ? La formulation ne me laissait que peu de choix et je crois que le président l’a compris à mon regard, mais il n’a rien dit.
Je suis en prison depuis six mois et me suis déjà fait pas mal d’amis. Vous pouvez être sur d’une chose, je n’aurais pas à payer longtemps.

3 commentaires:

Louis a dit…

Essai N° ?

Anonyme a dit…

Encore ! encore ! encore !

Eloïse a dit…

Ah Ah ! Les footeux...!