lundi 4 juin 2007

N°04 La nuit ou j'ai sauvé Binoche

Ce n’est pas pour dire du mal, mais depuis le temps que je fait la moule collé à ce putain de comptoir, j’ai collectionné les rencontres avec ce que la Croix Rousse compte de plus chiant dans l’éventail du genre humain.: le casse couille largué par sa femme( une salope en début de soirée, une sainte après quelques verres.) , le casse couille licencié, le buveur triste, le rigolo de troisième zone, le sportif de salon, le jeune loup individualiste, le père indigne, le fils du même métal, et les femmes, ah les femmes! C’est fou comme j’attire les emmerdements. Je suis une sorte de paratonnerre à embrouilles: Fille-mère perdue, mère enfant paumée, féministe pure et dure, droguée pas nette, buveuse malade et j’en passe. Tout, j’ai tout eut, tout vu, tout connu, tout entendu et pourtant je suis toujours là. Allez comprendre!
J’ai l’espoir chevillé au corps faut croire. Mais ce soir je vais fermer la boutique, j’ai eut ma dose de confidences frelatées et je suis écoeuré. Pour supporter tout ça, je bois évidemment. Et je ne bois pas pour rire croyez moi. Si j’avais mis l’argent que j’ai bu ici sur mon livret A, il y a longtemps que le bar serait à moi, pas de problèmes. Mais je n’ai pas le sens des affaires. Que voulez vous, je suis un sentimental. J’attends la perle qui surgira un soir de toute cette fange. On peut rêver non? Bon je décide de boire le dernier pour la route et après je m’arrache, c’est promis. Sans me vanter, ce soir j’ai drôlement allumé la chaudière et j’appréhende la descente de tabouret. J’ai une putain d’envie de pisser depuis un moment, mais je n’ose pas bouger tellement le sol me parait loin et instable. C’est cet instant improbable, entre cuite carabinée et ivresse notoire que le destin choisit pour m’envoyer cette fille de rêve, surgie du néant, mais belle comme si elle était vraie. Elle se colle contre moi et me demande du feu. Je m’arrime au comptoir pour arrêter le manège et fixer mon regard. Je n’en crois pas mes yeux, imaginez Binoche, vous y êtes? Bon ben c’est elle, mais en mieux! Soudain je regrette cette dernière bière qui me fait tant de mal. A la vérité, je regrette toutes les bières que j’ai bu ce soir pour supporter ma solitude et le monde minable dans lequel j’évolue. Je ferme les yeux en me disant que le délirium n’est pas cette chose affreuse dont parle les non-buveurs. Après quelques secondes d’absence, mes paupières se soulèvent et l’apparition de rêve est encore là, la cigarette tendue dans ma direction. Elle sourit gentiment et ses yeux sont des étoiles. Je lui tend ma flamme tout en cherchant désespérément quelque chose d’original à lui dire. Qu’est-ce qu’une beauté pareille fout là à une heure aussi tardive?

- Je ne vous avais jamais vu ici?
Ouais ben rigolez pas, c’est peut-être pas terrible comme entrée en matières, mais je suis assez fier d’avoir pût aligner une phrase entière dans mon état.
Elle ne cesse de sourire, elle doit être mongolienne ou un truc dans le genre, il n’y a pas d’autres explications.
- Je viens d’emménager dans le quartier, et je n’arrivais pas à dormir. J’aime bien la musique et la foule.
Je jette un oeil blasé sur la salle et ne vois rien ici qui puisse justifier un tel enthousiasme.
- Vous sortez du Vinatier, votre mari vous bat, vous venez de tuer votre gosse?
Elle lève les sourcils et parle doucement:
- Vous êtes drôle vous.
On peut dire cela oui, pourtant je ne vois rien de drôle dans la situation. Je décide de brusquer les choses:
- On devrait se revoir...ailleurs, une autre fois. Vous ne collez pas dans le décor.
- Parce-que vous, vous collez dans le décor?
- J’étais là avant, ils ont construit le bar autour de moi.
Elle sourit franchement et une fossette se forme sur son menton. Si elle continue, je vais tomber du bar. Mes défenses cèdent une à une et je vais lui parler d’amour lorsqu’elle reprend:
- Mais vous avez raison, j’ai des problèmes.
Et voila mon petit Martin, la routine, je lève les deux mains en signe de défense au risque de me casser la gueule.
- Ecoute ma belle, j’ai eut ma dose de confidence ce soir. S’il te faut une oreille complaisante essaye Macha Berenger.
Ca c’est envoyé, vous ne trouvez pas? Je me rengorge de ma réplique et vais pour m’arracher à son attraction fatale, lorsque les vrais ennuis commencent. Une espèce de play boy bronzé, bâti comme une armoire à glace fonce sur nous comme un missile Américain sur une cible Irakienne. Et l’Irakien ce soir c’est moi.
- Qui est ce minable Muriel?
Je décide de ne pas relever l’insulte et de la jouer tout en finesse. J’ignore l’importun et tends la main à ma voisine:
- Muriel, c’est charmant, moi c’est Martin, enchanté.
Un qui est loin d’être enchanté, c’est la montagne de muscle pas polie. Il confirme ce coté mal élevé en me retournant une gifle sonore. Une gifle, à moi qu’il ne connaît même pas! J’ai beau être bourré, j’ai ma dignité pas vrai? Je descend de mon tabouret sans un mot, d’ailleurs personne ne parle dans le bar. La tension est diffuse mais bien présente. Une fois au sol il me faut quelques secondes pour stabiliser ma position. Malgré la brûlure sur ma joue, je garde l’air timide et apeuré que je sais si bien simuler. L’autre connard me toise avec mépris et glisse son bras sous le bras de Muriel. Il doit bien faire trente centimètres et autant de kilos de plus que moi. Mais il est trop sur de lui, je l’observe par en dessous et je devine son relâchement. Sans élan, je lui balance mon genoux dans les couilles. Je fais une grimace à cause de la douleur et de l’envie de pisser. Mais c’est de la rigolade à coté de mon adversaire: il est tout blanc et je le vois comme dans un ralenti se casser en deux. Dés que son crâne se trouve plus bas que le mien, je saisi un cendrier en verre monumental et lui fracasse la tête avec jubilation(une gifle en public, il va pas bien l’autre?) Il s’écrase au sol comme une merde. Mais une merde qui perd du sang comme ça j’en avais jamais vu. Ma petite princesse de la nuit me regarde effarée. Très viril je la rassure:
- Fait pas cette tête, tes ennuis sont terminés.
- Mais t’es con, c’est mon frère, le seul sur qui je peux compter.
Je me penche sur celui qui aurait pu devenir mon beau frère(ils se ressemblent pas du tout.), mais je crois que tout espoir est foutu, j’ai tapé trop fort. La bière sans doute. J’essaye de prendre la main de Muriel, mais elle se recule l’air horrifié. J’entends déjà une sirène de police. Je regarde avec attention ma Binoche d’un soir. Je mémorise avec soin les traits de son visage. Je vais avoir besoin de ce souvenir dans les années qui viennent.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent !

Mais franchement, est-ce que je vais trouver une histoire qui se termine dans la douceur. Pas forcement la soie, mais un peu de coton TISSé !!!

Eloïse a dit…

Oui, il est vrai que les chutes de ces aventures portent bien leur nom !!