Ibérique 2012 Le Che est toujours vivant...


1.

  • Cette année, avec le chantier voisin, nous n'aurons plus à traîner les spectateurs récalcitrants jusqu'à mon jardin. On les coulera directement dans le béton.
Voilà, ça c'est Michel, direct et pragmatique, il sait toujours tirer le meilleur parti de chaque situation. Même les plus délicates.
  • C'est dommage pour mes géraniums, c'est incroyable comme les cinéphiles grognons font un engrais de belle qualité.
Sandrine qui n'aime pas trop quand Michel parle aussi crûment de son public sort du bureau le visage fermé. Le monstre , lui, ricane en me regardant :
  • Tu n'auras pas à faire des kilomètres avec la brouette, voilà un festival qui se présente bien pour toi.
Et il est vrai que c'est toujours moi qui assiste Michel dans ces basses œuvres. Il n'a confiance qu'en moi. Et cette année, avec toutes ces avant-premières et l'augmentation de la fréquentation des salles, les spectateurs frustrés ne vont pas manquer. Alors si j'ai un conseil à vous donner pour le festival Ibérique, essayez d'arriver tôt et de faire profil bas si vous ne voulez pas avoir à faire à Michel. Même s'il reste toujours très pro et très poli :
  • Monsieur ?
  • C'est un scandale, je suis abonné au Zola depuis de longues années, je viens de faire la queue pendant des heures sous la pluie, et on me dit qu'il n'y a plus de place. Vous allez entendre parler de moi.
  • Suivez moi, on va régler tout cela le plus aimablement possible. Georges ouvre la porte du bureau s'il te plaît.
Là, c'est le signal pour le caissier qui prend place derrière la porte avec un extincteur. Un artiste dans son genre ce Georges. On ne dirait pas, à voir son visage bonhomme vous tendre les tickets. Après, c'est à moi d'entrer en jeu avec ma brouette et mon utilitaire Renault.
Lorsque les spectateurs sortent de la séance, tout est en ordre. Même si Georges peut avoir quelques taches de sang sur sa chemise. Après il suffit à Sandrine et Laurent de détourner habilement les questions des policiers alertés par des familles inquiètes.
  • Tu comprends maintenant pourquoi ce festival à lieu au printemps. M'explique Michel au Zénith ce sympathique bar Philo-PMU. C'est pour le jardinage.
Le festival vient de commencer, et comme d'habitude tout le monde est plutôt tendu aussi ne suis-je pas étonné de voir entrer Ana, Irène et Margarita, la mine défaite. Michel qui a suivi mon regard confirme d'un laconique :
  • Voilà les emmerdes qui arrivent.
Les trois femmes commencent à parler toutes ensembles alors Michel les arrête d'un geste autoritaire et nous nous dirigeons tous vers une table isolée.
  • Ils ont retrouvé Alberto.
2.
Je ne comprends pas ce qui se passe :
  • Alberto, l'ami de Marie-Jo ?
Ils confirment mais j'aimerai bien savoir qui l'a retrouvé, et où est le problème, mais Michel m'enjoins de la fermer.
  • Je t'expliquerai plus tard.
Vous voyez bien qui est Alberto ? Cet élégant octogénaire qui traîne souvent dans le hall à la recherche de Marie-Jo, elle même toujours très élégante. En attendant, mes compagnons ont baissé le ton et parlent en espagnol. De vrais conspirateurs. Puis les jeunes femmes quittent le bar précipitamment et Michel me dit de le suivre.
  • Tu vas m'expliquer.
  • On a le temps, on va à Vernaison.
  • A Vernaison ? Mais qu'est-ce que tu veux que j’aille faire à Vernaison ?
  • Discute pas et roule.
Et voilà, c'est l'Ibérique ! Chaque année, pendant que vous vous régaler à voir tous ces beaux films dans cette belle salle guidés par de ravissantes hôtesses, je cours les routes à la poursuite d'ennuis dont je ne comprends même pas le tiers du quart du commencement. Encore bien heureux si je ne prends pas de coups.
  • Nous allons dans les monts du Lyonnais où un ami à moi possède une petite maison bien isolée. Il nous faut préparer un planque pour Alberto. Et rapidement encore.
  • Mais pourquoi, bon Dieu. J'ai crié, mais ce n'est pas cela qui va impressionner Michel :
  • Qu'est-ce que tu peux comprendre à l’Amérique latine, toi ?
Il y va fort l'ex président :
  • Traite moi de con pendant que tu y es.
Il sourit sans répondre, mais je vois bien qu'il n'en pense pas moins. Il a un peu prit la grosse tête depuis sa liaison torride avec Pénélope Cruz. Pourtant il explique d'un air fatigué :
  • Depuis quelques temps, tu n'as pas remarqué ces deux armoires à glace en costard noir et lunettes de soleil qui rodent autour du Zola ? Ils cherchent Alberto. Alberto n'est pas son vrai nom, tu l'imagines bien. C'est un type qui fuit les dictatures, et si tu avais été à l'école, et si l'école parlait de cela, tu comprendrais qu'il en a vu des dictatures en quatre-vingt ans.
Je réfléchis quelques secondes avant de répondre :
  • Pas la peine d'aller à l'école. Avec le Zola, en 2009 on a eut des tueurs Vénézueliens, 2010, un peu de repos avec des tueurs à la solde des multiplexes et l'an dernier des narcos colombiens (ça, c'est pour voir si vous êtes des spectateurs fidèles et si vous lisez bien tous mes textes chaque année !) alors, excuse-moi mais si il y a un mec qui connaît bien les dictatures d'Amérique latine, sans me vanter, c'est moi.
  • Tu continueras tes lamentations plus tard, on arrive.

3.
La maison est paumée. Paumée de chez paumé, mais Michel a l'air de connaître l'endroit comme sa poche. Il s'y ballade comme chez lui.
  • On fait le tour, on vérifie l'état et on voit ce qui manque.
Et me voilà à faire des listes comme le préconise Mon pote.
  • Le plus chiant c'est les médicaments. Et comme je le regarde ahuri, il ajoute : Ben quoi ? A quatre-vingt balais c'est normal, non ?
Chaque fois que j'ai croisé Alberto, je l'ai trouvé plutôt en forme, mais il faut bien reconnaître que je regarde plutôt Marie-Jo quand je les rencontre.
Michel reviens de son inspection avec une bouteille et deux verres ;
  • Assieds toi et écoute. En parlant il remplit ma chope qui doit bien faire, un demi-litre, d'une poire très odorante.
  • Je ne pourrai jamais boire tout cela.
  • Tss ! Tss ! Tu te sous-estimes et puis tu vas en avoir bien besoin.
Je rigole
  • Alors là, cela m'étonnerait.
Michel plante ses yeux dans les miens, il se veut solennel, mais j'ai plutôt envi de rire.
  • Alberto s’appelle en réalité Ernesto Che Guevara. Tu as entendu parler du « Che » ?
  • Qu'est-ce que c'est ces conneries ? Guevara est mort. J'ai vu les photos.
  • Ça, c'est ce que tout le monde croit, mais en réalité, c'est bien plus compliqué que cela. Après des années de guérillas, les autorité Boliviennes voulaient sortir rapidement du conflit. Tout en maintenant une répression féroce, ils essayaient de négocier. D'un autre coté, ils commençaient à en avoir ras le képi des conseils et diktats des Américains, qui eux voulait arrêter le Che. Alors, ils ont organisé cette mise en scène. Ernesto était malade, fatigué, usé. Ils ont passé un deal : Abandon de la révolution, disparition totale et discrétion en échange de la vie sauve.
  • Et les américains ont gobé cela ?
  • Oh, ils se sont montrés méfiants, mais les Boliviens ont agi seuls, tu peux le vérifier. Quand la CIA est arrivé sur place en pleine jungle à La Higuéra on a exposé des barbus morts, mais le Che avait fui avec 4 compagnons vers la frontière Chilienne où l'attendait d'ailleurs Salvador Allende avec des médicaments et des faux papiers. Après cela, il a joué avec les frontières au grè des dictatures avant de venir se cacher en France et de rencontrer Marie-Jo.
Je ne sais si c'est l'alcool ou les révélations de Michel mais j'ai la tête qui tourne. Quand je veux me lever, mes jambes flageolent :
  • Si les Américains ont marché dans la combine, pourquoi le recherchent-ils aujourd'hui.
  • L'ADN je suppose. La science a progressé depuis l'époque. Ils doivent être partis à sa recherche et apparemment ils se rapprochent.
Je voudrais ergoter, mais c'est la poire qui a le dessus. Et je m'endors sur la table.
4.


Lorsque j'ouvre les yeux, je suis seul dans la maison. Michel m'a allongé et couvert avant de partir. Je me demande si c'est l'alcool qui m'a fait imaginer cette histoire de Che Guevara, quand un bruit de voiture me jette sous la fenêtre un couteau à la main. Je me détends en reconnaissant Michel accompagné de Marie-Jo, Alberto et Charles.
  • Alors, ça va mieux ? Elle tape cette poire, non ?
Je ne réponds pas à cette basse attaque de Michel et comme ils vont installer Alberto à l'étage, je coince mon pote : « Qu'est-ce qu'il fout là, Charles ». Mon pote semble incrédule : « Charles ? Mais c'est un super organisateur, il va prendre en main la logistique de l'opération. C'est toi qui va t'occuper des courses et de la bouffe ? » Je ne répond même pas et tout le monde se retrouve autour de la table (et de la poire!) J'essaye de retrouver le poster qui trônait dans ma chambre dans les traits du vieillard qui me fait face, mais sans béret il est difficile à reconnaître le Che. Malgré tout, l'ambiance est plutôt à la détente, comme l’explique Marie-Jo :
  • Finalement les deux types avec des ray-ban ne sont pas des agents de la CIA, ce sont des journalistes.
  • On en est sûr ?
Alberto parle d'une voix douce : « Ils sont sur ma piste depuis des années. Un de mes anciens compagnons de fuite à dû finir par trop parler. Et puis, la CIA a autre chose à faire. Je reste planqué jusqu'à la fin du festival, et puis on organise une grande conférence de presse pour tout raconter. J'en ai marre de cette traque. » Marie-Jo proteste. D'abord parce qu’elle aimerait bien venir danser à la fiesta de clôture, mercredi. Ensuite parce qu'elle aimerait garder l'anonymat : « Tous ces journalistes, ces télévisions, ça va être la foire chez nous et tu sais, Alberto que j'ai horreur que l'on salisse mon parquet. » Alberto sourit en me regardant : « Elle m'oblige à prendre les patins. Vous imaginez cela : Che Guevara avec des patins aux pieds, ça valait le coup de foutre la planète à feu et à sang. Tiens, j'aurais dû épouser Monette. » Marie-Jo lui lance des éclairs mais Michel coupe court à ce marivaudage pour rentrer à Villeurbanne. Dans la voiture j'exprime mon sentiment :
  • Alors, c'est calme cette année l'Ibérique, pas de coup de feu, pas de tueries. Sandrine et Laurent vont-être déçus.
  • Tais toi donc, imbécile, et tiens toi prêt quand même avec la brouette. On a envoyé Ana et Margarita pour s'occuper des deux types. Elles n'ont jamais foirées ce genre de mission, mais on ne sait jamais. Si les deux journaleux devaient se montrer trop curieux, il faudra agir.
Nous avons laissé les tourtereaux dans la maison avant de rejoindre le festival. Le Samedi c'est un gros truc, il faut être tous présent. Michel dit d'un air gourmand : « Y'a souvent des râleurs le samedi, Georges fait déjà chauffer l’extincteur. » Et il rit bruyamment.
5.

C'est la fiesta de clôture et tout le monde est bien chaud. Comme Ana et Margarita ont emmené les deux journalistes sur une fausse piste (un formule 1 me souffle Irène cette méchante), Marie-Jo et Alberto ont pu sortir de leur trou pour faire la fête. Pour le moment c'est surtout Marie-Jo qui se déchaîne sur la piste. Le Che reste assis à sa table. Michel avec qui je bois une bière me dit que c'est à cause de son asthme. Alors l'ex guérilleros reste là à parler de Cuba avec Monette et Alain. Je vais rejoindre la piste de danse quand Michel me prend par le bras :
  • Je n'ai pas fini de te raconter l'histoire du Che.
Pourtant, cette année j'ai eut ma dose. Je ne sais pas si en fin de compte je ne préfère pas les coups de couteaux et les coups de feux.
  • Mari-Jo est Frida Kalho ?
  • Ne plaisante pas, je suis sérieux.
Et c'est vrai qu'il a l'air sérieux mon pote. Il a la tête d'un type qui va vous taper du fric. Et ce n'est pas le moment, Laurent ne m'a encore pas payé mes piges dans le journal. Je suis en négociation avec le Qatar qui veut racheter le Comédia et créer un journal. Ils proposent de me payer comme un joueur de l'Olympique Lyonnais. Ridicule, je gagne le double au Zola. Pour l'heure, je vois bien que Michel va parler. Je commande deux nouvelles bières en m'attendant au pire. C'est triste d'être sérieux comme cela alors que tout le monde s'amuse autour de nous. Les bénévoles de l'association dansent nues sur les tables. Je ne vous dit pas l'ambiance. J'ai peur que le Che nous face une attaque. Admettez que cela serait couillon.
  • En attendant d'être « exfiltré » vers le Chili, Ernesto a été gardé dans l'école de La Higuéra. Il a vécu une formidable histoire d'amour avec l'institutrice. Quatre jours. Quatre jour d'amour et de passion et il est partit. Pour toujours. Mais neuf mois plus tard naissait un petit garçon : Miguel.
Comme il se tait je le regarde pour l'encourager à finir, mais je comprends qu'il a finit. J'ai un hoquet ; « Toi ? »
Il hoche la tête, mais je proteste :
  • Tu te fous de ma gueule, tu es Savoyard.
Il sourit, « Ma famille d'accueil vivait en Savoie, alors... »
  • Tu penses que je vais te croire ?
  • Tu fais comme tu veux. Je ne t'oblige pas. Mais n'en parle à personne.
Alors je le fixe : « C'était en quelle année cette histoire ? »
  • La Higuéra ? En 1967.
  • Je te croyais plus vieux.
Alors on s'est remis à boire et plus rien n'a eut d'importance. Pourtant plus tard dans la soirée je suis revenu sur la question :
  • Alors, le fils que tu as eut avec Pénélope Cruz, ce merdeux qui vit avec les stars, là-bas à Hollywood, est le petit-fils du Che.
Et cette idée nous à fait rire jusqu'au matin. (à moins que cela ne soit la bière)
Maintenant, quand vous ferez la queue au Zola, vous regarderez différemment ce beau vieillard avec son béret et sa respiration difficile qui attend derrière vous.

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