Ibérique 2011 : El nino

1.

Vous ne pouvez raisonnablement pas avoir oublié comment, l'an dernier, après moult rebondissements, Michel notre président chéri, avait passé 15 jours enchaîné à Pénélope Cruz. Notre ami était resté plutôt discret sur cette aventure, pourtant j'avais pu rapidement vous annoncer en avant-première la grossesse de Pénélope. Sacré Michel !

Et aujourd'hui, tous les journaux annoncent aux clients des salons de coiffure du monde entier, la naissance tant attendue. C'est un garçon et Michel est fou de joie, même si la paternité du lardon est attribuée à ce falot de Javier Bardem. Qui peut imaginer une seule seconde la belle actrice avec un type pareil ? Surtout après avoir connu Michel ? Il fait la cuisine comme Michel ce Bardem ? Et la sangria ? Il sait la faire ? Il bricole ? Il dépanne ? Il est toujours là au bon moment ? Non, soyons sérieux, l'affaire est entendue : Michel est le père de l'enfant et seule la pression du show-biz oblige Pénélope à mentir. Si vous n'êtes pas convaincus, foncez chez votre dentiste pour voir les photos de l'enfant. C'est le portrait craché de Michel. Ouais, je suis d'accord avec vous, être le fils de Pénélope et ressembler à Michel, il n'a vraiment pas de bol ce gosse.

Mais, tout cela ne nous arrange pas à quelques heures de l'ouverture du festival, comme me le fait brutalement constater Laurent, le directeur, accoudé au comptoir du Zénith, le bar PMU du coin qui lui sert de bureau :
  • Putain, Michel est au fond du trou. Il passe ses journées à pleurer comme un veau sur les photos de Pénélope. On a dû refaire trois fois la sangria de la fiesta de clôture tellement elle était salée. Il ne fout plus rien, on dirait Olivier. Pourtant on a encore besoin de lui, ici. Il faut faire quelque chose. Je compte sur toi. Ce n'est pas que tu sois le plus futé, mais tous les autres sont occupés par le festival. Alors, remue-toi.
Et voilà ! Comme tous les ans, l'ibérique démarre sur les chapeaux de roue, et vous allez voir que cette année encore, je ne verrai pas la queue d'un film. Depuis que j'ai adhéré à l'association des amis du Zola, je n'ai jamais pu voir un seul film en entier. C'est un monde, non ? Alors que toute l'équipe se démène dans le but de sauver notre pote je fonce au bureau :
  • Laurent, j'ai une idée : Il faut essayer de faire venir une autre vedette. Tu te souviens, que l'année dernière, au festival de San Sebastien, Michel avait eu une liaison torride avec cette actrice latino dont j'ai oublié le nom. On pourrait la faire venir. Cela aiderait peut-être Michel à penser à autre chose.
Laurent me foudroie du regard : « Eva Mendes ? Oublie. Depuis que Michel l'a larguée pour cette aventure avec Pénélope, elle est en cure de désintoxication. Non, il faut trouver autre chose. J'allais moi-même replonger dans la drogue et l'alcool quand Michel a pris ce morceau de façade sur le coin de la gueule. Traumatisme crânien, coma et amnésie. Ah, il démarrait bien le fils à Pénélope. Le médecin a été clair : à quelques centimètres près, il se retrouvait orphelin le lardon.



2.

Une fois Michel amnésique, nous pensions tous nos problèmes résolus mais il n'en fut rien. Le festival venait juste de démarrer et nous étions réunis au Zénith pour arroser cette ouverture grandiose. La soirée était bien entamée, et nous aussi, quand Sandrine me fit remarquer d'une voix pâteuse le manège de quelques adhérentes de l'association tournant autour du président. Chacune à son tour, profitant de ses pertes de mémoires, essayait de lui faire croire qu'elle était sa femme. D'ailleurs, Michel ne tarda pas à venir vers moi l'air perplexe :
  • Dis-moi, je suis marié avec qui exactement ? Parce que là, depuis le début de la soirée, Marie Jo, Anna, Irène et Margarita se font de plus en plus pressantes...
J'allais lui dire en riant qu'il était pacsé avec Laurent, quand Georges le caissier du Zola fit une entrée fracassante, hurlant à l'agression et pissant le sang. Il lui a bien fallu trois bières avant qu'il ne retrouve ses moyens et la parole, pour nous expliquer qu'un commando de trois hommes masqués venait de saccager le hall du cinéma.
  • Putain, ça c'est signé. C'est un coup du Comédia. Allons nous faire justice.
Laurent qui venait de parler était déjà à la porte quand Georges qui attaquait sa cinquième bière entouré par toutes les femmes présentes apporta une précision importante :
  • Ils parlaient tous en espagnol.
  • Homero ? Hector ? Les salauds, chaque année c'est pareil, ils nous reprochent de ne pas sélectionner assez de films chiliens.
Tous les regards se portèrent alors vers les « latinos » de l'équipe quand Georges finit sa bière et sa phrase :
  • Ils ont tagué les murs.
Nous le regardâmes stupéfaits :
  • Tagué les murs ? Et alors ? Qu'ont-ils écrit ?
  • « No toque al niño » et «  El niño es nuestro »
Sandrine qui avait fait des études traduisit à haute voix :
  • « Ne touchez pas à l'enfant », « Cet enfant est le nôtre ». Qu'est-ce que cela signifie ?
  • Nous verrons plus tard, mais le festival doit continuer, alors nous devons réparer les dégâts.

Laurent, il a ses défauts, faut bien l'avouer, mais pour ce qui est de faire bosser une équipe sans la payer, il est champion. Alors voilà comment nous avons passé la nuit à nettoyer tous les stigmates du passage de ce maudit commando. Dès le lendemain le festival reprenait ses droits dans un cinéma flambant neuf et vous n'y avez vu que du feu. Laurent m'a coincé au Zénith avant que je ne rentre me coucher :
  • Tu vas me régler ça, hein ? Je compte sur toi. Renseigne toi sur ce commando.
Comme je vais protester, il ajoute :
  • Tu connais du monde à Hollywood, remue-toi !
Et allez donc, il croit que c'est facile. Bon, j'ouvre mon répertoire téléphonique à la lettre H.
3.

Pour essayer d'élucider cette histoire, j'appelle Clint Eastwood.
  • Hi, Clint ?
Oui, depuis son passage au Zola, et surtout au Zénith, nous sommes assez intimes le vieux cowboy et moi. J'explique succinctement notre affaire, mais le bougre était déjà au courant :
  • Ne m'en parle pas, Javier est comme un fou. Pénélope lui a avoué la vérité pour le gosse et il veut assassiner tout le monde, et surtout Michel. Il s'est acoquiné avec des narcos colombiens. Soyez très prudents, ces gars-là sont prêts à tout. J'ai entendu dire qu'ils voulaient faire sauter la façade de votre cinéma. Puis il enchaîne plus léger : putain qu'est-ce qu'on s'est marré à Paris, tu as vu le film ? J'ai un peu merdé non ? Il rigole : les critiques m'ont méchamment éreinté.
Il faut dire que pendant qu'il tournait son film à Paris, Clint Eastwood descendait tous les week-end pour faire la fête à Villeurbanne. Il avait le béguin pour Ginette la patronne du Zénith qu'il voulait emmener avec lui aux States. Et sa réalisation s'en est ressentie. Chacun a pu s'en rendre compte.
  • Je m'en fous des critiques, je tournerai mon prochain film à Villeurbanne. J'ai déjà l'histoire et le financement. Mais j'ai un problème, pour une scène de foule, j'aurais besoin de femmes d'âge mûr, tu peux t'occuper du casting avec le Zola ?
Il est bien gentil Clint, mais où croit-il que je vais trouver des femmes âgées à Villeurbanne, moi ?
Avant de raccrocher, j'arrache le numéro de Pénélope que j'appelle dans la foulée.
  • ¿ Hola Pény ?
Oui, depuis son séjour dans une cave lyonnaise, nous sommes assez intimes, la belle et moi. Avant que je n'aie eu le temps de l'engueuler elle se met à pleurer :
  • Oh honey, comment va mon petit Miguel ?
Je t'en foutrais, moi, de « mon petit Miguel »...
  • Pénélope, qu'est-ce que tu as été raconter à l'autre brute ?
Mais elle ne répond pas à ma question, ne cessant de geindre :
  • Mi Mimi, mi Mimi !
  • Laisse tomber, ton Mimi ne sait même plus qui tu es. Les potes à Javier ont failli le tuer ton Miguel. Tu es contente ? Et la voilà qui redémarre :
  • Mi Mimi, Mi Mimi, Mi Mimi...
J'ai le temps de me servir une bière en me disant que si Monica entendait cela, elle embaucherait les Colombiens elle aussi, pour régler son compte à la bimbo. Mais comme tout cela ne nous avance pas, je fais promettre à Pénélope de faire tout son possible pour arrêter Javier et ses potes, mais je reste sceptique.
Quand j'explique à Laurent que la chute des morceaux de façade n'est certainement pas un accident, mais bien une tentative de meurtre, il pâlit.
  • Nous voilà bien. Je me demande si nous allons pouvoir finir ce festival.
Pour lui remonter le moral, je lui parle du futur film de Clint Eastwood, mais il refuse de me croire : « Il ne nous manquerait plus que cela ».

4.

Au Zénith, Robert, le patron me fait signe de le suivre à l'arrière. Il a l'air bien mystérieux. Je m'attends à subir ses habituelles récriminations sur les impôts, taxes, et autres charges qui l'écrasent et le mettent au bord de la faillite. Mais c'est bien pire que cela. Voilà que le bistrotier me colle sous le nez un monstrueux fusil en m'expliquant comment il va recevoir « l'autre cowboy » s'il ose remettre les pieds dans son établissement :
  • Tu comprends, depuis que ce grand dépendeur d'andouille - il veut parler de Clint Eastwood - a parlé d'amour à Ginette, cette gourde n'a plus que l'Amérique en tête, Tu la verrais au boulot ! Elle se traine. alors moi, je te le dis, je vais lui jouer « Il était une fois dans l'ouest... lyonnais » à l'autre malotru. Il va comprendre sa douleur, l'artiste !

J'ai bien envie de lui dire que, même à l'arrêt et les deux mains dans le plâtre, sa femme bossera toujours plus vite que lui, mais je m'en abstiens et essaye plutôt de le raisonner. J'ai bien peur que tout cela ne soit en vain, alors quelques verres plus tard, je rejoins Sandrine et Laurent qui discutent avec les flics et un Michel complètement déboussolé. Laurent refuse d'annuler le festival comme le lui suggère la police. « Vous plaisantez, c'est devenu un événement mondial, et il n'est pas question d' arrêter ! » Le flic répond que ce festival est surtout devenu pour eux une source d'emmerdements. « Il y a deux ans, les morts se bousculaient dans votre cinéma, l'an dernier, l'autre rigolo, là, il désigne Michel d'un doigt dédaigneux, a disparu pendant 15 jours, mobilisant la moitié de nos effectifs, et aujourd'hui, de dangereux trafiquants de drogue vous attaquent à l'explosif, alors je vous le demande solennellement : c'est quoi exactement ce festival ? »

Je laisse Sandrine tenter d'expliquer aux pandores le pourquoi du comment de l'Ibérique, et j'embarque Michel au Zénith. Quand le patron lui parle de Pénélope, le président ne réagit pas et nous sommes soulagés qu'il conserve pour l'instant ses troubles de mémoire. Nous avons d'autres priorités que ses histoires de garde d'enfant, d'autant plus que je lui dois une grosse somme d'argent.

5.

Nous sommes tous réunis au Zénith pour préparer la fiesta de clôture. Michel n'a toujours pas récupéré l'essentiel de ses facultés, ce qui nous arrange bien pour l'instant. Pénélope m'appelle de temps en temps pour avoir des nouvelles, mais comme Javier parle toujours de la tuer, elle reste très prudente alors, je lui rappelle qu'elle a promis de tout faire pour le calmer. Elle change de sujet et me raconte que Clint Eastwood vient de les embaucher, Javier et elle, pour son prochain film en France. J'appelle immédiatement ce salopard de Clint pour lui dire ce que je pense de cette idée à la con. Il semble comprendre, mais depuis ce triste épisode, il m'appelle tous les jours. Finalement il a embauché Carla Bruni et Christian Clavier. A part cela, il commence à me fatiguer avec ses questions incessantes au sujet de Ginette. C'est vrai qu'il a fait quelques bons films ce type, mais, qu'est-ce qu'il est chiant dans la vie de tous les jours. « Il aurait bien sa place dans l'association me glisse un Laurent ravi à l'idée d'accueillir la première Dame de France au Zola.

Pour l'instant, accoudés au comptoir, nous en sommes à discuter, comme tous les ans, des tarifs prohibitifs que nous allons appliquer aux boissons lors de la soirée de fermeture, quand les deux trafiquants colombiens font irruption dans le bar. Ils n'en veulent qu'à Michel, mais nous nous interposons et les coups ne tardent pas à voltiger. Dans la bagarre, le président se mange par erreur un méchant coup de bouteille de bière, maladroitement assené par un Alain debout sur le comptoir, et qui croyait bien faire. Les Sud Américains vont embarquer notre ami évanoui, quand Robert le patron surgit de sa cuisine pour inaugurer sa nouvelle carabine d'un doublé gagnant. Le nuage de poudre dissipé et le temps de la surprise passé, Marcel et Roger deux habitués du bar qui bossent dans le bâtiment, embarquent les deux cadavres qui seront coulés demain matin dans les fondations de béton d'un nouvel immeuble de bureau dans le quartier de la Confluence.
« Le grand, avec son chapeau, je l'ai pris pour Clint Eastwood », se justifiera plus tard le patron en payant une tournée générale. Nous trinquons à cette affaire qui se termine bien finalement, quand Michel se réveille apparemment guéri.

Après ce nouveau coup sur la tête, sa mémoire est revenue intacte et comme pour nous le prouver il attaque immédiatement :« Et mon fils, où il est mon fils ? » Il part ensuite dans une longue tirade nous expliquant qu'il allait se battre pour faire reconnaître sa paternité et obtenir un droit de visite. « J'irai à Los Angeles tous les 15 jours, le Zola peut bien me payer cela. Ce gosse, je vais lui apprendre l'amour de l'andouillette et de l'Olympique Lyonnais. ». À ce stade là, pas besoin de se parler, Laurent et moi. Un seul regard suffit. Nous savons ce qu'il nous reste à faire : oui, un bon coup de canette de bière sur son crâne pour renvoyer notre cher président à son amnésie, et nous au festival. Un triomphe, comme tous les ans.