samedi 17 décembre 2016

49. Alice.



Alice doit avoir dans les 65, 70 ans sans problème, et elle les porte plutôt bien.

  • Entrez, je vous attendais.
On nous a tellement parlé de sa beauté, que nous sommes forcément déçus, pourtant c'est son sourire qui me fait mieux comprendre l'attirance qu'elle a dû provoquer chez tous ces gens. Il illumine son visage et il émane d'elle comme une aura de charme et de délicatesse. Elle est grande, se tenant très droite. En tout cas, elle devait être grande pour l'époque.
  • Vous avez joué au basket ?
Je me tourne vers Michel, surpris et gêné, mais elle rit de bon cœur :
  • Vous n'avez pas tort, tous mes professeurs de sport m'y invitaient, mais pour mes parents, il n'en était pas question.
  • Vos relations familiales n'étaient pas trop sereines, à ce qu'il paraît.
  • C'est le moins que l'on puisse dire.
Tout en l'écoutant, je jette un regard autour de moi pour essayer de me faire une idée de ce que peut-être sa vie. Mais j'en suis pour mes frais. Nous sommes dans un salon très lumineux et très dépouillé. Pas d'affiche, pas de photo. Des plantes et des tissus de couleurs pour égayer les murs.
  • Mais ce n'était pas entièrement leurs fautes.
Je comprends qu'elle parle toujours de ses parents et lui jette un regard interrogateur. Elle se tourne vers moi pour m'expliquer :
  • C'était l'époque, c'était le pays, c'était notre position sociale. Le regard des autres était un marqueur impitoyable.
  • D'où votre révolte.
  • Ma révolte ? Mais, je n'étais pas révoltée, j'étais la bonne petite héritière, chouchoutée par son papa.
  • Pourtant...
Elle hausse les épaules et ses beaux yeux se plissent dans l'effort de nous convaincre.
  • La guerre. C'est la guerre qui a tout envoyé valdinguer. A mon age, voir tous ces adultes et leurs réactions, violentes, puériles, touchantes ou scandaleuses m'a profondément marqué. Jusqu'aux événements, comme on disait, tout était bien réglé : Mon père et ma mère représentaient pour moi, ce qu'il se fait de mieux. Rien, dans mon milieu, ne venait perturber cette vision idyllique du monde. Et puis, la révolte, les bombes, les morts, la peur et c'est comme si un voile se déchirait. Pleine d'idéaux, j'ai tout de suite compris et approuvé ce mouvement de libération. Elle s’arrête brutalement : « Mais que je suis sotte, je ne vous ai pas proposé à boire. Vous prendrez bien quelque chose »
Avec Michel, nous acceptons un café, et pendant qu'elle se lève pour nous servir, nous échangeons un regard. Et je lis dans les yeux de mon pote, que comme moi, il est sous le charme. Le port de tête, la voix douce et les yeux vifs font d'Alice cette femme dont on nous parle depuis si longtemps. Elle est « classieuse et gracieuse ».
  • J'aimais beaucoup l'Algérie et j'aurais tellement voulu y rester. Mais il aurait fallu que les politiques s'accordent et prennent en compte certaines revendications, mais l'histoire était à la décolonisation et le mouvement irréversible.
  • C'est Chapet qui vous a expliqué tout cela ?
Elle sourit :
  • Didier ?
Elle nous regarde maintenant, sans poursuivre. Avec mon pote, nous attendons qu'elle continue, n'osant pas interrompre ses pensées. Et elle s'ébroue soudain pour enchaîner dans un rire de jeune fille :
  • Ah, Didier ! L'homme de ma vie, j'étais folle de lui, nous allions partir ensemble, loin de ce monde vieillot et bourgeois.
Nous nous regardons avec Michel sans osez la contredire. Mais après tout, pourquoi n'aurait-elle pas raison ? Les lettres que Chapet écrivait à sa femme ne prouve rien. Il pouvait lui mentir. Et comme si elle lisait dans mes pensées elle ajoute :
  • Il attendait la fin de la guerre pour s'expliquer avec sa femme. Nous étions très malheureux de cette situation, mais nous nous aimions et voulions partir au Brésil.
  • Au Brésil ! J'ai sursauté, et pourquoi au Brésil ?
  • Pourquoi pas, et puis, c'était une idée qui courrait parmi les soldats. Ils en rêvaient et cela les aidait à tenir le coup.
J'essaye de m'imaginer la situation et Michel qui doit brasser les même interrogations demande :
  • Par quel miracle, une jeune fille de bonne famille comme vous, a-t-elle pu rencontrer des « malotrus »comme devaient l'être ces jeunes gens ?
Pour le coup, Alice rit franchement :
  • Vous avez raison pour ce qui est de la rencontre improbable, mais tort sur ces jeunes gens : Ce n'étaient pas des «malotrus» comme vous le dîtes, surtout avec l'influence de Didier et Albert. C'est Idriss et Mayriam qui m'ont permis de rencontrer ces garçons.
Nous affichons clairement notre incompréhension.
  • Je vous ai dit que j'avais rapidement compris le bien fondé de la lutte des Algériens. Nous en parlions souvent Maryam et moi. Puis, tout naturellement, Idriss, Mayriam et moi. J'ai même rencontré, en cachette, des dirigeants du FLN. Elle sourit. Ils n'ont pas donné suite, ne me jugeant certainement pas crédible. Mais avec tout cela j'avais connu Didier et Albert.
  • Ogier ?
  • Oui, ces deux là étaient fait pour se rencontrer. Si la guerre ne les avait pas détruit, ils auraient fait de grandes choses tous les deux, j'en suis convaincue.
Je dois avoir une moue songeuse, puisqu'elle se dresse vers moi :
  • Évidemment, j'étais une jeune femme amoureuse, mais pas une oie blanche. Ils avaient mit le feu à chaque caserne traversée et l'armée ne savait plus comment se sortir de cette situation. Allez demandez aux autres qu'ils vous parlent un peu d'eux.
  • Ils ne nous parlent que de vous. Et comme elle semble interloquée, Michel fait le détail de nos entretiens.
  • Vous m'en voyez flattée. Pourtant, j'étais peu présente sur le domaine.
  • Votre personnage nous a accompagné pendant toute l’enquête. D'autant que l'on vous croyait morte.
Elle sourit en nous resservant du café. Nous allons être énervé, mais n'osons rien dire.
  • Un suicide en plus, quel romantisme !!!
  • Qui a eut l'idée du suicide d'ailleurs ?
Elle réfléchit longuement :
  • Mon père, je suppose.
  • Votre père ? Et tout le monde était au courant de ce mensonge ?
Elle semble loin de nous, rattrapée par ses souvenirs, et je dois répéter ma question :
  • Quoi ? Tout le monde ? Mais pas du tout, c'était un accord entre mon père et moi : Il me reniait et pour obtenir mon silence acceptait de me verser une rente généreuse, me permettant de bien vivre.
  • Et vous avez accepté.
Elle me jette un regard noir :
  • Mais, pas du tout, je me suis débrouillée toute seule. Et puis, Didier était mort et l'idée de suicide n'était pas une option éloignée de moi.
  • Vous avez pensé mourir ?
Cette fois, c'est Michel qui subit les affres du regard :
  • Vous avez déjà été amoureux ? A 20 ans en plus.
Je décide d'éloigner immédiatement ce sujet délicat :
  • Et le secret a été gardé.
Elle sourit, de ce sourire qui a tellement fait impression sur les jeunes militaires :
  • Du coté paternel, évidemment, quand-à-moi, je me suis accordée « quelques entorses ». Certaines personnes savaient.
  • Et pas votre mère ?
Elle reste silencieuse, et nous respectons son silence.
« Putain, bonjours la famille ! » Me dira plus tard Michel en sortant de chez Alice.
Finalement, Alice restera un mystère pour nous et c'est certainement ce qui pouvait arriver de mieux.
A quoi bon savoir si Didier Chapet mentait à sa femme ou à Alice ? Ces jeunes gens vivaient de toute façon quelque chose de fort. L'époque et la guerre contribuait à cela, c'est indéniable.
Nous sommes partis un peu déçus. Qu'attendions nous vraiment de cette femme ? Qu'elle nous dise connaître toute l'histoire ? Nous sommes rentrés au bureau que toute l'équipe à l’exception de Joël avait déserté pour rallier le bar de Christophe.
  • On tape les rapports ?
Le regard que nous échangeons, Michel et moi est sans équivoque :
  • Ça marche, et se tournant vers Joël :
  • Tape les rapports on va réfléchir ailleurs, Martin et moi.
Joël ne répond pas, mais ses yeux expriment clairement sa détresse.
  • Mais non, vieux avec nous, on fera les paperasses demain.
Et nous voilà parti pour une longue nuit où se diluera dans les rires et l'alcool tous les tenants et aboutissants de cette affaire.
  • Et voilà le travail, c'est plié gueule Michel en entrant dans le bar où la température est déjà sacrément élevée.

13 commentaires:

phyll a dit…

et voilà, c'est plié !... même si je t'avoue que j'ai oublié quelques rebondissements de cette affaire...... c'est que ça fait un bon bout de temps qu'elle est commencée !!!...
mais bon, le principal c'est que cela nous permet de garder le contact et d'échanger quelques âneries !!! :o)
bon week end "pré-Noël" mon gone !!! ;o) :o)

Louis a dit…

C'est vrai que Daniel et toi ne manquez pas d'obstination. Bravo. (D'un autre cotè, s'il fallait attendre tes billets sur ton blog...)
Bonnes fêtes à toi et à toute ta famille.
PS : Tu dois avoir dans ton garage, une palette de homard si j'ai bien suivi les infos. Pense à moi !!!

DAN a dit…

Salut Louis,
Je suis, et ça ne te surprendra pas, un peu comme mon pote, pour le dire autrement je me suis un peu perdu en cours de route dans ton récit, mais c’est comme dans les films de Lautner les dialogues sont si plaisants qu’on ne va pas s’en priver pour la raison de ne pas s’y retrouver voilà c’est dit.
Je te souhaite ainsi qu’à tout tes ami(e)s de bonnes fêtes de fin d’année, et dimanche sera pour moi le dernier de l’année pour mon blog !
Alors à la revoyure Louis !

phyll a dit…

... et puis, désolé, mais dans mon garage à part ma voiture il n'y a que de la poussière !!..... tu devras te contenter des zuitres !!! :o
BOUJOU !!! ;o)

Aline a dit…

Pendant huit jours j'ai eu à la maison trois lyonnais sous l'emprise d'une crise de stakhanovisme culturel aigu : le boss Michel fermement encadré par ses deux acolytes féminines. Et que je vais voir une expo le matin, et que j'en fais une autre et puis encore une autre l'après-midi, et un ptit resto, et le théâtre, et le dîner spectacle, et le Boubou, et le bateau-mouche... J'ai pas tout suivi, j'aurais pas tenu le rythme mais on a fini en beauté et en touristes parfaits sur un bateau mouche une flûte de champ à la main.

Du coup, sur-occupée avec les gones je n'ai pas pu suivre en détail les derniers développements de l'affaire "Avoir 20 ans". Et maintenant qu'ils sont partis qu'est-ce que j'apprends? C'est fini? Déjà ? Alors que j'ai pas tout compris ?

"Et nous voilà partis pour une longue nuit où se diluera dans les rires et l'alcool tous les tenants et aboutissants de cette affaire". C'EST SUR QU'IL FAUDRA QUE LA NUIT SOIT LONGUE POUR Y VOIR CLAIR DANS C'T'HISTOIRE !
J'te claque la bises mon Loulou !

phyll a dit…

à Aline: il me fait plaisir de constater que je ne suis pas le seul à ne pas avoir tout compris !!!... merci !!! :o) :o)
mais bon.... notre gone préféré n'en fait qu'à sa tête !!!.... ;o)

Louis a dit…

J'ai répondu depuis mon smartphone (pour faire d'jeune !) mais apparemment c'est resté bloqué, et c'est mieux puisque je vous traitais d'illettrés (humour)
J'avais déjà fait cette vanne sur le blog de Dan mais le modérateur avait "sucré" mon com, pensant que j'insultais ses lecteurs . C'est vertigineux quand on voit ce que l'on peut lire sur le net. En tout cas merci à tous, bonnes fêtes et faites gaffe à votre foie. Mollo sur le sexe et l'alcool.

DAN a dit…

T'inquiète pour les fêtes, on a de la "bouteille" dans ce domaine, bonnes fêtes de fin d'année le gone !

phyll a dit…

mollo... mollo... le foie tient le coup, l'alcool j'en fais mon affaire, quant au sexe........c'est une affaire qui tient le coup !!!! ;o)

Louis a dit…

Vous pouvez acheter on livre là :

http://www.thebookedition.com/fr/avoir-20-ans-p-346839.html?096ffb387c97cd161289669d2f6aa3c0

Enfin j’espère que ça marche !!!

phyll a dit…

bon mon gone....... t'as beau espérer mais le lien ne fonctionne pas !!!......
alors, tu vas récupérer de tes agapes et on en reparle sérieusement après !!!... :o)

DAN a dit…

Si si ça marche, mais avec internet explorer, pas avec un autre, j'ai déjà constaté ce "phénomène" pour d'autres sites, reste plus qu'à l'acheter bien que j'aimerai mieux que le gone nous l'amène au Havre mais bon...

Louis a dit…

Et voilà, dés qu'il faut sortir la carte bleue, ça grince !!! (Pas de panique, Marga m'a déjà fait le coup !)
J'aimerais bien venir au Havre comme la dernière fois, mais ce n'est pas au programme. Donnez moi votre adresse (l'un des deux, et je me ferai un plaisir d'essayer de vous faire livrer vos livres, vous méritez bien cela)