mercredi 16 novembre 2016

44. Amours et terrassement.

Retrouver les copains, ivres et bruyants, dans la cave de Julot est un drôle de choc culturel. Je réalise que tous les amis préfèrent une bonne vielle fête à des cadavres remontants aux calanques Grecques. Ils doivent avoir raison quelque part, pourtant je résiste à la tentation et fais signe à Michel qui me rejoint immédiatement au fond de la cave apparemment dégrisé. A croire qu'il n'attendait qu'un signe pour se replonger dans l'enquête. J'ai sous-estimé les gars, puisque les autres nous rejoignent aussi. Paulo ne dort pas et Lucien a l'air intelligent, un comble ! Mounier est déjà rentré chez lui, et je le comprends un peu. Il faut dire que notre petite troupe qui attaque l'apéro à de quoi en décourager plus d'un. Et ça m'arrange puisque j'ai promis à Idriss d'être le plus discret possible en ce qui concerne son rôle dans cette affaire. Vœux pieux, s'il en est.

  • Idriss m'a raconté le topo. Je souris : « Et j'avais raison ! »
Les amis se regardent consternés :
  • Quel connard ce Martin. Tout le monde avait raison.
  • Pas avant que je ne vous ai aiguillé vers l'Algérie. Précise Paulo qui se fait agonir.
  • Paye ta tournée avant que je ne t'en colle une. Raconte Martin.
Alors je raconte comment le clan Guerin, alerté par les deux premiers meurtres a mit en place un piège efficace et comment Idriss, par fidélité à son patron a été entraîné dans ce chaos ne le concernant pas.
  • Mais... et Pierre Marchand ? Et Jonas ?
  • Ah ça, c'est le pompon. Pierre en enquêtant sur la mort de son père a fatalement abouti à Nyons. Et en posant des questions autour du domaine Guerin, il a rapidement été repéré par le fils qui a compris le danger et a réutilisé les méthode de son père. Pareil pour Jonas. Ils sont actuellement enterrés au fond du jardin, même si Idriss m'a avoué qu'avec l'age il avait beaucoup plus peiné pour ces délicats travaux de jardinage.
Michel semble songeur :
  • Tout a l'air bien carré, pourtant un truc me chiffonne...
  • Tu m'étonnes !
Lucien, bien téméraire vient de se manger une mandale de première. Sonné, il va s'asseoir un peu plus loin. Michel est contrarié, et quand Michel est contrarié !
  • Qu'est-ce qui ne va pas, haut grand penseur !
  • T'en veux une toi aussi ?
Mais je me suis prudemment écarté, connaissant bien mon ami. Après un long silence, le vieux sage daigne nous éclairer de ses doutes :
  • Je trouve étrange que le fils Guerin puisse être sur ses gardes trente ans après le crime. Comment aurait-il pu imaginer qu'un fils resurgisse du néant pour se venger.
Cette remarque nous plonge tous dans l'hébétude et dans nos verres. Et c'est Lucien qui la joue rougie et la voix pâteuse nous apporte la lumière. Seigneur ! Lucien nous amenant la lumière ! Faut que je songe à prendre ma retraite, moi.
  • C'est Rigaux. Rigaux qui suivait l'avancement de l'enquête de Pierre par l'entremise de Claire, qui a prévenu Guerin avec qui il était toujours en affaire. Je vous signale que c'est déjà lui qui avait alerté le père Guerin en 81.
Michel siffle longuement entre ses lèvres :
  • Ah mon Lucien, viens un peu ici que je t'embrasse.
Lucien, encore marqué, se garde bien d'obtempérer, mais Michel ne semble pas s'en offenser puisqu'il poursuit :
  • Je devrais te frapper plus souvent. Parce que là, tu m'épates. En plus tu as raison, j'en suis convaincu.
Moi aussi je réalise que ce con de Lucien a raison et cela m'ouvre des perspectives vertigineuses. Rigaux est le grand manipulateur. Il nous voit venir avec un, voire, deux coups d'avance. Le coup merdique des diamants avec ces jeunes et Gianni, l'enquête payée par Claire, il a tout fait pour nous retarder ou nous aiguiller vers de fausses pistes. Je suis fatigué tout d'un coup et je vois bien qu'il en est de même pour les amis.
  • Demain je raconte tout à Mounier et basta, je vais me coucher.

Mounier et ses hommes, se sont chargés d'intercepter Rigaux et une brigade technique est venu remuer le jardin. Avec les amis nous suivons l'avancée des opérations du haut d'un talus qui domine la propriété. Mounier nous rejoint :
  • J'espère que vos infos sont les bonnes.
Mais je sais bien qu'il n'a pas de doutes et ne suis pas trop inquiet. Nous attendons Claire, qui, prévenue, nous a avertit qu'elle tenait à assister à l’exhumation de son frère. Le gendarme nous abandonne :
  • Je rejoins la brigade pour l'interrogatoire de Guérin. Je vous tiendrai au courant. Merci. Il sourit : « Ce soir à la cave à vin ? »
Voilà un gendarme bien aimable, il n'y a pas à dire. Nous restons (Michel et moi ) sur la hauteur à regarder travailler les équipes et c'est un peu longuet à notre goût. Nous attendons le coup de pioche qui sifflera la fin du match. (Quand je parle comme le quotidien « L’Équipe » il est temps que je fasse un break !)
Il leur faut facilement une heure avant de tomber sur un corps et d'après leurs dires, ils s'agirait d'un cadavre en terre depuis des années. Ogier ? Sans aucun doute. Je les vois se précipiter sur leurs téléphones et imagine qu'ils informent leur chef.
  • Si Guérin refusait de coopérer, il va avoir du mal à continuer à mentir.
Je regarde mon pote septique, persuadé qu'il se fait pas mal d'illusion, connaissant le viticulteur.
Quand Claire arrive, Michel est partit depuis un moment. Il me semble que je suis resté là, au bord du jardin pour l'attendre. J'avais oublié comme elle pouvait être belle. Soudain, elle illumine le paysage et le gendarme qui l’arrête aux limites de la scène de crime semble lui aussi, surpris. Il faut dire qu'elle rayonne et même si son visage est fermé, elle dégage une telle sensualité que le chantier semble soudain suspendu.
  • Ils ont trouvé quelque chose ?
Elle est venu à mes cotés et quand je lui dit qu'un seul corps a été retrouvé, elle me prend la main.
  • Croyez-vous qu'il y ai encore un espoir ?
Je la dévisage sans comprendre :
  • Le jardinier peut avoir mentit, tout inventé.
J'aimerais la conforter dans cette espoir, je suis tellement bien avec sa main dans la mienne, pourtant j'indique le trou du regard:
  • Et ça ? Puis réalisant soudain ce qu'elle vient de me dire :
  • Comment êtes-vous au courant ?
Elle hausse les épaules :
  • L'avocat de Guerin est un ami d'Eugène. Elle rit :
  • En fait, c'est son avocat aussi.
  • Et il parle de ses affaires à Rigaux ?
  • Je vous ai dit qu'il était son ami.
Je vais continuer à pinailler sur le rôle d'un avocat quand le chantier s'agite soudain. Claire augmente la pression sur ma main. Deux hommes tendent précipitamment une toile devant deux autres ouvriers qui travaillent courbés. En moi, se passe un drôle de phénomène, comme une grande décompression. On arrive au bout d'une histoire et je me sens à la fois heureux et un peu triste. Sentir Claire contre moi, ajoute à mon désarroi. Inévitablement je pense à Emma. Mais, que me manque-t-il réellement ? L'amour d'Emma ou simplement un désir physique comme celui que je ressens violemment actuellement pour Claire, sa main chaude, son parfum enivrant ? Comme en osmose avec mon esprit, Claire dit sans me regarder : « Gianni est mort » Je crois avoir mal compris, alors je la regarde. Elle se tourne vers moi, ôtant ses lunettes de soleil. Elle pleure. Elle pleure pour ce connard de Gianni ? Alors, je réalise qu'elle pleure pour son frère que les gendarmes sont en train d'extraire de la terre. Peut-être pleure-t-elle aussi pour Jonas dont je n'ai jamais bien compris le rôle dans cette famille. Quoique il en soi, ses larmes me déroutent et je n'ose pas lui demander des éclaircissements sur cette mort. Lorsqu'elle me demande de rester un peu avec elle, je n'ose refuser. Pourtant, les potes m'attendent chez Julot et j'aimerais tant avoir des infos de la gendarmerie, mais ses yeux m'implorent, alors nous allons manger ensemble. Elle refuse la terrasse. Elle refuse le petit verre à la cave à vin, elle veut que nous ne restions que tous les deux. Alors nous mangeons les yeux dans les yeux. Elle me raconte sa vie choisie de femme riche, sortie de sa condition. Vie de femme libre et aisée. Mari à la situation confortable et aux idées larges. Amies superficielles et amants vigoureux. Une vie de champagne et de fêtes.
  • Et puis ce presque frère. Mon jumeau. Ma liberté. Nous avions le même age et comme moi il voulait quitter sa condition, mais lui était plus exigeant, plus entier. C'est ainsi que je l'aimais.
  • Mais... Et la prison ?
Elle tourne son regard vers le fond du restaurant. Silencieuse. Un ange passe et elle revient vers moi :
  • T'es con, hein ?
Elle sourit en disant cela :
  • T'es con mais je t'aime bien. On voit à ton regard qu'il ne faudrait pas grand chose pour que toi aussi tu nous rejoignes, nous les chercheurs de rêves. Mais tu préfères traîner des nuits entières avec tes copains abrutis.
J'aimerais lui dire qu'elle exagère, mais, ses yeux, sa voix m'en dissuadent. Je suis définitivement passé de l'autre coté. Je suis perdu. Pour ce soir en tout cas. D'ailleurs en la raccompagnant à son hôtel, je franchit le dernier palier quand elle me dit qu'elle ne peut rester seule ce soir.
  • Toutes ses formalités désagréables qui m'attendent demain. Tu ne peux m'abandonner.
Que croyez-vous, je n'allais pas les abandonner, elle et ses yeux.

10 commentaires:

DAN a dit…

…ben voyons, comme si ça le dérangeait d’accompagner Claire, mais faudra à un moment il faudra qu’il fasse un choix, elle ou ses potes ! Moi je vote pour les potes…

Louis a dit…

Ben, c'est bien le problème, choisir, toujours choisir !!! voir les Américains...

phyll a dit…

bon là ça y est...... ça devait arriver, j'suis complètement paumé !!!...

Louis a dit…

Non, Phyll, ne me dit pas que tu ne suis pas ! Je vais t'expliquer (assois toi) : C'est l'histoire de jeunes gens qui ....

Aline a dit…

Loulou, quelle délicatesse d'avoir illustré ce suspens torride avec une photo de la Madonne de Fleurie -si je ne me trompe pas ? - en ce 17 novembre où le Bojol nouveau coule à flots !
Et moi qui suis une addict de la collection Harlequin, en Algérie ou à Lyon enfin partout, là je bois du petit lait. Loulou ne me déçois pas dans l'épisode suivant, l'ultime peut-être ?
Bises
Aline

Louis a dit…

Oh, les Havrais ! prenez-en de la graine... Voilà une pauvre femme (à l'intellect moindre, donc) qui suit facilement, elle.
Vous me direz qu'elle ne regarde que les images, mais c'est déjà bien !!!
Félicitation Aline tu suis avec opiniâtreté et c'est bien "ta chapelle" sur la photo.
je t'envoie quelques Lyonnais en pension, courage. et bises

DAN a dit…

Oh dis eh molo hein, si c'est comme ça que tu traites tes lecteurs pionniers...., n'est-ce pas Phyll !

Louis a dit…

De quoi ? de quoi ? ça se rebiffe. A mon avis, va falloir que je reprenne ma bêche pour commencer à faire des trous dans le jardin !
Allez les gones prenez un beaujolais nouveau et tout ira mieux.

phyll a dit…

en général, je bombarde un bouquin de 600 pages en environ 3 jours.... donc là mon neurone de lecture a un peu de mal.....
et comme le dit mon pote, nous manquons d'égard !!!... attention, la grève menace !!!

Aline a dit…

Bon, je descends ptêt en fin de semaine prochaine à Lyon après avoir cuvé l'bojol nouveau. Rien n'est sûr encore. La fine équipe des Lyonnais m'a transmis son programme parisien par l'entremise de Mme Charlotte. C'est carrément du stakhanovisme kulturel. Je n'ai vu encore aucune expo de toutes celles qu'ils ont programmées. Je vais donc profiter de leur fougue militante culturelle échevelée pour en voir qques unes (pas toutes, faut pas déconner). En tout cas si je tente une percée jusqu'à Lyon la semaine prochaine je te fais signe ! Tout ça n'a pas grand chose à voir avec nos 20 ans en Algérie, mais c'est pas grave. D'ailleurs la première fois où j'y suis allée j'en avais 21.
Bises