dimanche 6 novembre 2016

43.Idriss et Maryam racontent.

Ignorant si mes hôtes sont des musulmans pratiquants, je me suis abstenu de venir avec une bouteille de vin et c'est les bras chargés de fleurs que je sonne à leur porte aux alentours de 19 heures. Idriss éclate de rire en m'ouvrant la porte et me découvrant ainsi fleuri.

  • Maryam, tu as commandé chez Interflora ?
Tout en continuant de rire il me pousse à l’intérieur ou l'odeur de cuisine me rappelle ma faim de lion.
Après toutes les marques de politesses liées à ce genre d'invitation (Fallait pas, c'est trop ! Non, ce n'est rien, etc...) nous passons direct dans la salle à manger et j'ai hâte d'entendre leurs révélations. Mais je dois attendre la café et le retour de Maryam qui avait disparu dans la cuisine pour que les choses sérieuses commencent.
  • Vous savez, c'est ma femme qui m'a convaincu. Sans elle...
  • Oui, Idriss est une mule. Tout cela me ronge depuis si longtemps.
L'intervention de Maryam, bizarrement, détend l’atmosphère et Idriss apparemment pas vexé me regarde droit dans les yeux :
  • J'aimerais que vous utilisiez mes révélations en évitant de me mettre en avant.
  • Tout dépend de ce que vous allez me dire. Je ne peux rien promettre.
Il semble sur ses gardes soudain et j'ai peur qu’il ne se taise définitivement, mais Maryam lui jette un regard qui le relance :
  • J'ai beaucoup lutté pour une Algérie libre et démocratique, mais malheureusement, j'ai vite compris que cela allait être long et difficile. Ce n'est pas très glorieux, mais je voulais me marier et fonder une famille, alors j'ai...Il jette un regard vers Maryam, avant de se reprendre :...nous avons décider de choisir de suivre Guerin en France, même si nous avions l'un et l'autre des raisons de le détester.
Je suis surpris de ces mots, les ayant toujours considéré comme des « fidèles de chez fidèle » et Idriss remarque mon étonnement :
  • N'allez pas vous faire des illusions. Je ne vais pas dénoncer Guerin par haine. Les Guérins sont des patrons, ni mieux ni pire que les autres. Mais avec nous ils ont toujours été réguliers. Et puis, quand nous nous engageons avec quelqu'un, c'est comme si nous avions signé un contrat. Il n'y a pas à revenir là-dessus.
  • Vous avez laissé entendre que vous aviez des raisons de les détester.
C'est Maryam qui répond :
  • Madame Guerin a toujours été difficile, mais ces dernières années, elle est devenu imbuvable. Pourtant j'excuse ce que j'associe à la vieillesse. Mais si je leur en veux, c'est à cause d'Alice.
Je sursaute à l'énoncé de ce nom.
  • Alice ? Racontez-moi un peu cette femme. J'en ai tellement entendu parler.
Sans répondre, Maryam s'est levée pour disparaître dans l'appartement. Idriss sans un mot me ressert du café.
  • Elle va ressortir de vieilles photos, on en a pour des heures.
Il a dit cela sans un mouvement du visage et pendant quelques secondes, je doute de ce que je viens d'entendre, mais un petit sourire apparaît au coin de ses lèvres. Au moment où je vais parler, Maryam revient :
  • Il disait du mal de moi ?
Comme personne ne répond, elle me pose dans les bras un chemise pleine de vieilles photos.
  • Vous allez voir comme on était beau, me glisse Idriss rieur.
  • C'est vrai que l'on était beau proteste Maryam.
Je feuillette les vieilles photos écartant d'offices les mini formats très fréquent à cette époque.
  • Je me demande ce qu'ils avaient à prendre ces petites photos où tous les sujets sont loin ?C'est du vice !
Ils ont la délicatesse de ne pas relever cette remarque qui se voulait drôle et Idriss pose le doigt sur la photo que j'ai en main :
  • Voilà Alice. Son frère joue dans le fond.
J'ai du mal à bien me faire idée au sujet de la beauté présumée de cette jeune femme puisqu'elle est en mouvement, les yeux baissés et l'esprit préoccupé.
  • Elle a quelle age, là ?
C'est Maryam qui se penche pour répondre :
  • 17, 18 ans, après elle ne venait plus, et...elle est morte.
Je n'arrive toujours pas à comprendre comment une enfant comme Alice a pu faire une telle impression à tant de monde en si peu de temps.
  • C’est inexplicable me répond Idriss, comme si il lisait dans mes pensées. Elle était lumineuse, beaucoup plus mure que son age, elle faisait très « femme », mais j’arrête avant de me faire frapper.
Mais Maryam sourit tout en continuant à fouiller au milieu des photos :
  • Tout ce qu'il dit est vrai, tenez, regardez :
Elle me tend le portrait d'une jeune femme ravissante. J'imagine qu'elle ne doit pas avoir plus de 16/17 ans sur cette photo, pourtant c'est le portrait d'une femme dans toute la plénitude de sa beauté que je contemple. Brune aux cheveux longs et grands yeux noirs, elle éclabousse l'image de son sourire. C'est vrai que cette femme dégage quelque chose, même sur un morceau de papier.
  • Tout est à cause d'elle ?
  • Non, on ne pourrait pas dire cela, même si sa présence électrisait le domaine. Comme je vous l'ai déjà dit, Garde et Chapet se haïssaient pour d'autres raisons, mais Alice n'a fait que rendre cette haine un peu plus tangible. Grâce à elle, les deux hommes pouvaient clairement exprimer leurs désaccords.
  • La guerre, ce n'était pas suffisant ?
Idriss semble songeur :
  • Pour Chapet, tout était clair. Il haïssait cette guerre et n'avait besoin d'aucune autre raison, mais Pour Garde, mettre leur diffèrent
    sur le plan du conflit amoureux, le rassurait quelque part. Et comme pour expliquer ses dires il ajoute : « Il était beaucoup moins fin »
  • Tu ne l'aimais pas. Intervient Maryam.
  • Mais personne ne l'aimait explose soudain Idriss.
Maryam sourit en me prenant à témoin :
  • Voilà, 50 ans plus tard, alors imaginez la poudrière à l'époque.
Idriss hausse les épaules boudeur.
  • Parlons plutôt de ce qui vous intéresse.
J'ai envie de lui dire que ce qui s'est passé en Algérie à l'époque m’intéresse beaucoup, mais je m'en garde bien.
  • Allons-y, racontez-moi.
Il veut me servir mais mon cœur bat tellement que je préfère refuser.
  • En 81, mon patron m'a demandé de faire des gardes de nuit avec son fils. Il m'a raconté les deux assassinas sur ses terres : « Y'a un salopard qui rode dans le coin. Je suis le prochain sur sa liste. Les flics sont nuls, on ne peut pas compter sur eux. On va l'attendre et le recevoir. »
  • Mais vous parlez de qui ?
Il s'est mit en colère :
  • Mais qu'est-ce que j'en ai à foutre. N'importe lequel de ces connards qui sont venus sur le domaine en 61. Un idéologue, je suppose.
Idriss s’arrête de raconter et regarde sa femme en souriant :
  • Comme je n'étais pas sur le domaine à l'époque des faits, c'est Maryam qui m'a expliqué le topo. Elle a été marqué par le drame. Et avec un sourire moqueur, il ajoute : « Elle était amoureuse de Chapet...Comme tout le monde, apparemment.
Maryam ne rougit pas et fixe son mari avec arrogance :
  • Quel macho, celui là. Il tourne en rond pour ne pas en venir au fait. Allez raconte, on a pas la nuit.
Elle est impayable cette petite bonne femme, mais Idriss apparemment habitué aux réparties de sa femme m'avoue qu'il a du mal à en venir au fait.
  • Je ne suis pas fier. J'aurais du refuser, mais Guerin était mon patron. Quelque soit son caractère, il a toujours été honnête avec moi. Il m'a permit de venir en France à un moment ou cela était plutôt difficile.
  • Vers la fin de la guerre, Idriss était en délicatesse avec le FLN, Guerin n 'a pas posé de questions et a usé de ses contacts pour le faire passer en France discrètement m'explique Maryam.
Je les regarde tous les deux, ils sont touchants et on voit bien que pour ce qui nous concerne, c'est Maryam qui mène la baraque. Idriss y va à reculons et comme je devine en gros ce qu'il va me raconter, je lui facilite la tache :
  • Vous avez tué Ogier ?
  • Oh non, pas moi. Je montais le guet à l'avant et c'est à l'arrière de la maison que cela s'est passé.
  • Le père ou le fils ?
Il marque un temps, hésite :
  • Aucune idée et tout à été trop vite. C'était au milieu de la nuit et le patron s'est montré efficace et discret. Il m'a tendu une pelle et on a enterré le type au fond du jardin en moins d'une heure.

7 commentaires:

DAN a dit…

Tu as écris 81 à la place de 61 quand Idriss parle des gardes qu’il a effectuées.
Sinon je pense que nous approchons du but, mais Idriss a du mal à « accoucher » alors que sa femme… oui, bon, tu me comprends !

Louis a dit…

Merde, mais tu suis !
Je ne comprends pas ta remarque :
Idriss n'était pas sur le domaine Algérien en 61. Quand il parle des gardes, c'est à Nyons et bien en 81. Enfin, il me semble !!!
Continue à bien tout vérifié. bises

DAN a dit…

Ah ok autant pour moi, fait dire que tu coures vite et j'ai un peu de mal à te suivre...

Louis a dit…

"à tout vérifier". Question fautes d'orthographes, je coure trop vite aussi. Merci de ton attention.

Aline a dit…

Hello Loulou !
je raccroche les wagons, j'ai du investir dans une nouvelles paire de lunettes pour lire l'épisode précédent, celui du 30 octobre. J'ai l'impression que le dénouement approche ou je me trompe ??
À propos d'Algérie j'ai découvert récemment un autre très bon polar : ''Paix à leurs armes'' d'Oliver Bottini (auteur allemand comme son nom l'indique) 2016 Éditions Piranha, à lire dans toutes les bonnes bibliothèques. Je recommande si tu ne l'as pas déjà lu !
Bises et à un de ces jours
Aline

phyll a dit…

ciel !!!.... je crois que je suis tombé amoureux d'Alice !!!....

Louis a dit…

Aline ! Quel courage tu as. A part des Havrais (salut Phyll, alors tu as déjà oublié Christelle ?) personne n'arrive à lire.
Bises