samedi 25 juin 2016

30. Paulo a (encore) une idée.

Nous sommes tous réunis au bureau à discutailler sans fin quand Paulo, encore lui, nous surprend :

  • Ton Slimane, là, il n'aurait pas des relations du coté du consulat Algérien ? Et devant notre air effaré, il ajoute : Non, moi je dis cela parce que, sans un coup de pouce nous n'aurons jamais accès aux archives. La guerre d'Algérie est classée « Secret défense » des deux coté de la Méditerranée.
  • Je croyais qu'au bout de quelques années, le secret était levé ?
Roger est parti se coucher, nous laissant discuter entre nous. Il a baissé le rideau et Paulo a entrepris de rouler une de ses célèbre cigarette dans un mouvement de funambule nous obligeant à nous taire et à admirer l'artiste. Le spectacle est fascinant, mais conscient du silence qui l'entoure soudain, Paulo s’interrompt :
  • Qu'est-ce qui vous arrive, bande de cons ? Vous n'avez jamais rien vu ? Et sans transition il poursuit la discussion comme si de rien n'était :
  • Au bout de cinquante ans, en principe, les archives doivent-être accessibles. Mais tous les historiens avec qui j'ai pu discuter, se plaignent des difficulté qu'ils ont avec leurs recherches. Même la CIA est plus conciliante et a laissé les chercheurs Américains travailler avec plus de facilité.
  • Mais quelles excuses avancent les militaires pour justifier leurs refus.
  • Oh, ils ont toujours de bonnes raisons.
  • Comme ?
  • Protéger les descendants de Harkis par exemple.
J'aimerais en savoir plus, mais Paulo sans transition, s'est endormit. Il penche dangereusement en haut de son tabouret, sa cigarette allumé se consumant entre ses doigts.
  • Dés qu'il tombe, je rentre me coucher. Nous rions à cette remarque d'Arobase. Michel remplit les verres une dernière fois et la nuit nous enveloppe doucement.

« A maison blanche, nous ne sommes que 10. La hiérarchie se limite à un sergent chef aidé d'un fayot comme je n'en ai que rarement vu. Ah ces deux là s'entendent comme larrons en foire et il faut les voir quand un gradé vient nous visiter, se pavaner en nous gueulant des ordres ridicules. Ne nous leurrons pas : Nous ne sommes pas ici pour « sauver la France », mais bien pour veiller aux intérêts de ce gros propriétaire qu'est Guérin. Maison Blanche est un domaine immense géré par une poignées de « petits blancs » exploités par Guérin, mais fiers comme des poux de diriger de pauvres arabes qui dorment sur place sans confort ni commodité. Il faut bien avouer qu'ici, question confort c'est le minimum, mais, nous, on s'en fout, nous somme 8 à nous entendre pour rejeter toute cette monstruosité qu'est cette guerre. On va se barrer. J’espère avoir bientôt des contacts avec le FLN. Je suis en bon terme avec quelques autochtones, même s'il faut être prudent. Et puis Marie m'a promis de nous apporter son aide le moment venu. Je crois qu'elle est amoureuse de moi et cela me fait chier. Je lui ai pourtant répété mille fois que j'aimais ma petite femme, qui vient d'ailleurs de m'annoncer qu'elle est enceinte, mais elle ne veut rien entendre. Heureusement Marie vient de plus en plus rarement sur le domaine. En attendant, Garde, le sergent-chef qui nous encadre, me voue une haine féroce à cause de cette Marie qu'il adore (comme la majorité du bataillon, d'ailleurs!) Vivement la fuite. »

J'ai relu ce passage du petit carnet de Chapet. Intéressant pour saisir l'ambiance qui régnait parmi tous ces jeunes gens. J'ai du m'endormir puisque lorsque le téléphone sonne, je sursaute violemment. Mais ce n'est pas Joël, comme je m'y attendais, mais Slimane :
  • Vous vous moquez de moi ?
Il ne s'embarrasse pas de politesse et attaque direct.
  • Que voulez-vous dire ?
  • N'essayez pas de jouer au plus fin avec moi. Je vous attends.
Et il ajoute menaçant :
  • Je ne suis pas patient.
Michel que j'ai appelé au secours, siffle entre ses dents :
  • Merde, il se prend pour qui sézigue ? V'là qu'il nous convoque comme si nous étions ses larbins. Va falloir le calmer, et vite.
  • Te fatigue pas, et viens.
Slimane ne l'a pas précisé, mais je suppose qu'il nous attend au même endroit que l'autre fois. Je ne suis pas mécontent de son appel, finalement, puisque j'avais des trucs à lui demander. Je sais pourtant qu'il va m'engueuler, mais j'ai l'habitude et si je peux me servir de lui, un moment de honte n'est pas cher payé. Michel tique en découvrant le bar-péniche :
  • Tu ne vas pas me faire monter là-dessus ?
  • Allez, arrête un peu de ronchonner.
Slimane nous attend à sa place habituelle. Les deux types qui l'accompagnent changent immédiatement de table, non sans nous jeter un regard menaçant. J'ai envie d’éclater de rire tellement ils ressemblent à ce que TF1 appellent « des jeunes à problèmes » ils baissent leurs capuches et s'installent sans nous quitter des yeux. Je sens Michel bouillir à mes coté. Il me glisse à l'oreille que « c'est malheureux, mais ces deux merdeux ont des gueules à ramasser des baffes »
  • Vous êtes bien protégé, dites-donc.
Il a senti l'ironie dans ma voix :
  • Ne vous fiez pas à leur jeunesse, ils peuvent être redoutables.
Michel hausse les épaules :
  • Épargnez nous ce genre de conneries et racontez-nous plutôt ce qui nous vaut l'honneur.
Slimane à sursauté face à l'attaque, pourtant il passe outre. Lui aussi doit avoir besoin de nous.
  • Jonas à disparu. Vous l'avez averti. Nous ne pouvons pas entreprendre notre travail de deuil.
Il a l'air sérieux en débitant ce genre de sornettes. Avec Michel, nous sommes interloqués : « Jonas disparu ? Sans réfléchir je décide de mentir et de jouer les hommes déjà au courant.
  • « Travail de deuil » ? Vous lisez trop de magazines féminins. Vous devriez changer de dentiste. Dites vous bien que nous avons été surpris comme vous par la disparition de Jonas. Je n'aime pas, quand je passe un accord, que cet accord soit bafoué. D'ailleurs, nous enquêtons sur cette disparition.
Slimane ne peut s’empêcher de sourire :
  • Vous êtes vraiment incontournable sur la ville.
  • Figurez-vous que ce Jonas doit-être partit à la recherche d'un de ses amis qui a lui aussi disparu et sur lequel nous enquêtons aussi. Une affaire qui prend sa source en Algérie. Je le fixe :
  • Comme vous, donc.
  • Que vient faire l'Algérie dans cette affaire ?
Je n'en sais rien, alors je me tais. Michel qui a surmonté sa colère, explique doucement :
  • Dans l'affaire qui vous intéresse, l'Algérie n'est que le pays d'origine de quelques protagonistes. Pour nous cette affaire est terminée. C'est à vous de la conclure à votre guise. Nous avons passé un deal...
  • Pas avec moi en tout cas.
Slimane n'a pas crié, pourtant tout le monde s'est tu dans le bar. Michel comme s'il n'avait pas été interrompu continu :
  • Vous n'avez pas le choix. Si vous refusez, ce qui serait plus sage entre nous soit dit, les flics régleront le problème.
Slimane a un sourire las et je décide d'interrompre leur dialogue :
  • Si nous retrouvons Jonas, vous en serez le premier prévenu, vous avez notre parole. Tout cela se situe dans la deuxième affaire. Celle qui nous occupe actuellement.
  • Celle qui vous rapporte le plus.
De quoi je me mêle ?
  • N'allez pas croire cela. Revenons à l'Algérie. Avez-vous des connaissances haut placées qui pourraient nous être utiles ?
Il se tourne vers les jeunes gens :
  • Voyons, il y a bien Mohammed qui est grutier. Et ils rient franchement tous les trois.
Je profite de ce moment de détente pour insister :
  • Non, je suis sérieux. Nous cherchons des renseignements sur des événements survenus pendant la guerre d'Algérie, et aucune autorité ne veut nous aider.
Ils nous regardent pensifs et je crois que c'est mort, quand un des jeunes se penche à l'oreille de Slimane, qui sourit :
  • Oui, il y a bien Mehdi qui travaille au consulat. Je pourrais vous organisez une rencontre. Il prend son temps, allume une cigarette et juste au moment ou Michel va bondir, il ajoute dans un sourire :
  • Mais, dans le fond, pourquoi ferais-je cela ?
Je hausse les épaules et sans trop réfléchir décide de lui raconter l'affaire de ces jeunes qui ne voulaient pas faire la guerre. Je sens Michel sursauter à mes cotés, mais il ne dit rien. Les trois hommes m'écoutent en silence et lorsque j'en termine avec cette courte histoire, Slimane déclare :
  • Il a déserté.
  • Hein ! De quoi parlez-vous ?
Cette fois, Slimane n'est plus en position « conflit », il oublie cette histoire de gamins morts, pour nous parler comme à des enfants incultes :
  • Ce type là,
  • Albert Ogier ?
  • Oui, celui que le FLN a soi-disant enlevé. Il a déserté.
Nous nous regardons pensifs, Michel et moi. Le vieux Rochette nous a déjà servit cette théorie.
  • Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer cela.
Il lève ses deux mains, paumes ouvertes :
  • Oh, c'est une impression. Une forte impression. L'histoire de l'enlèvement ne tient pas.
  • Et pourquoi cela ? Le FLN n'a jamais enlevé de soldats ?
  • Si, bien sur, mais dans ces cas là, les combatants le faisaient savoir. En tout cas depuis le temps, ils l'auraient fait savoir. Ils n'ont aucune raison de le taire aujourd'hui...
  • A moins qu'ils ne l'aient tué. Et qu'ils ne veuillent pas en payer les conséquences.
Il semble réfléchir, et aussi curieux que cela puisse paraître, les deux merdeux jouant les durs, semblent réfléchir eux aussi.
  • Je vais me renseigner. Mais pour moi l'hypothèse de la désertion, me semble la plus plausible. Cela explique le silence des militaires Français. Ils ne veulent pas, même aujourd'hui, faire de la publicité à ce genre de situation. Et puis, enfant, j'ai souvent entendu les anciens parler de ce genre de situation.
  • Vous êtes de la Mitidja ?
Ils rient tous les trois.
  • Non, nous sommes de Kabylie, mais la guerre était partout.
Le revoilà arrogant. Il va encore énerver Michel. Pourtant il conclut l'entretien radoucit :
  • Je vais vous trouver un vieux ou deux ayant connu cette époque...et cette région. Pensez à votre promesse.
Nous nous levons :
  • Pensez au consul.
Michel, dans la voiture me dit à quel point il trouve qu'ils ont des « gueules de cons, ces trois Kabyles »
  • Doucement, vieux, tu fais dans le racisme pur et dur.
  • Non, des cons c'est des cons. Point barre.
N'insistons pas.

Nous nous dirigions vers notre bar favori, quelques jours plus tard, quand Slimane m'envoie un SMS, pour me dire qu'il a trouvé des témoins et qu'ils nous attendent « Place du pont » Comme prévu, Michel râle. Un peu pour ces convocations impératives, mais surtout pour la perte de son petit blanc. « On fait pas un métier facile » dit-il en attaquant un demi-tour sauvage.

12 commentaires:

DAN a dit…

Ah consulter les archives, m’en parle pas je connais la difficulté, mais l’équipe saura contourner l’obstacle n’en doutons pas !

phyll a dit…

... si ça continu, on va friser l'incident diplomatique !!!...

Louis a dit…

Bon, les gones, partez en vacances tranquilles je pars à la cambrousse et les parutions seront chaotiques (comme l’enquête !)

DAN a dit…

Ouf, je vais pouvoir partir l'esprit libre...;-)

phyll a dit…

alors, bon cambroussage !!!... ;o)

Louis a dit…

Attention, je risque de faire quelques allers retours (La Haute Loire, ça lasse vite !!!)

DAN a dit…

Un rouge qui n'est pas un bleu pour écrire des séries noires et qui se mets au vert, j'ai l'impression d'être un blanc-bec avec toi, tu nous en fait voir de toutes les couleurs...;-)

Louis a dit…

Alors là, Dan, je suis scié : C'est Phyll qui écrit tes textes ?
Non, c'est très bon (mais il te faut vite du repos pour éviter la surchauffe.) Tu ne viens pas du coté de chez moi ?
bises

DAN a dit…

non non ce n'est pas mon frère jumeau qui écrit mes textes...
Sinon je ne crois pas passer par chez toi cet été, ce serait plutôt (ais rien n'est encore décidé) du côté de la cote basque, et par là avec l'air à la fois de la mer et de la montagne j'ai un chance de refroidir ma cafetière...

phyll a dit…

si c'était mon texte, ça serait mieux écrit !!!....... (bon, j'vais m'planquer !!!) :o) ;o)

Louis a dit…

Houlà ! L'ambiance se dégrade ! Je ne sais pas si je peux vous laisser tous seuls les gones. Soyez sages et mollo sur les calembours. bisous.

DAN a dit…

T’inquiète, avec Phyll c'est toujours comme ça je ne voudrai pas qu'il change d’ailleurs, sinon ce ne serait plus Phyll ......(attend un peu toi tu ne perds rien pour attendre) ;-)