samedi 20 février 2016

12. Jean Stoppa.

J'attends paisiblement le tram quand je reçois cet appel de Garnier :
  • Qu'est-ce que vous foutez, merde ? On a les militaires sur le dos, il paraît que vous les harceler. Et le consulat d'Algérie n'est pas en reste. Vous faites quoi au juste ?
Je tombe des nues et laisse passer une rame.
  • Nous sommes persuadés que cette histoire trouve son origine dans la guerre d'Algérie. Il nous faut de l'aide.
  • De l'aide ? Et puis quoi encore ? De quelle histoire me parles-tu, Martin ?
Pendant un bref instant, je me demande ce qu'il veut dire, avant de comprendre :
  • Je ne vous parle que de la disparition de Pierre Marchand. Et tout nous conduit vers l’Algérie, désolé mais il nous faut de l'aide.
Le rugissement qu'il pousse dans le combiné, m'oblige à interrompre la conversation :
  • Désolé, mon bus...
Je sais qu'il va me dire qu'il se fout complètement de Pierre Marchand, et n'ai pas envie de l'entendre. Même si sa réaction est logique j'aurais aimé qu'il s'implique plus, on se demande bien ce que fait la police !
Dans le tram, je m'assoie en face d'une jeune et jolie fille. J'essaye de capter son regard, mais, enfermée dans son univers musical, elle m’ignore superbement. Je me concentre alors sur ses cuisses tout en me remémorant les paroles de Garnier. Je comptais beaucoup sur son aide, mais il avait l'air bien à cran. J'aurais aimé qu'il nous ouvre quelques portes officielles, mais apparemment, ces dernières lui ont-été claquées dans la gueule. Il me faut absolument rencontrer quelqu'un du consulat Algérien.
Michel et Paulo m'ont appelé pour me dire que le « Pampelune » était fermé.
  • Ce salopard de Jean Christophe est en Sardaigne avec une petite poulette, m'a dit Michel avec une pointe de jalousie dans la voix.
En attendant je retrouve Joël devant la maison de retraite ou est soigné Jean Stoppa. Il désigne son poignet, voulant par ce geste, me faire finement comprendre que je suis en retard. Je lui raconte l'appel de Garnier, ce qui le plonge dans une grande perplexité.
  • L'armée, je peux comprendre leur refus, mais l'Algérie ?
Je hausse les épaules et nous entrons dans l'établissement. Une femme se précipite sur nous pour nous demander ce qu'elle peut faire pour nous. Comme elle a l'age de ma mère, je m'abstiens de lui sortir la grosse cochonnerie qu'appelle sa question.
  • Je voudrais faire entrer mon ami dans votre établissement.
  • Mais il est bien trop jeune se récrie la pauvre femme.
  • Détrompez-vous et baissant la voix, je vais lui sortir toute une liste de tares dont il serait porteur, quand Joël, excédé, intervient :
  • Nous venons voir monsieur Stoppa. J'ai téléphoné et l

  • a directrice nous attend.
  • Mais c'est moi, minaude la vieille. Et s'adressant à Joël, elle poursuit :
  • Vous savez, monsieur le commissaire, que tout ceci n'est pas très légal. La famille pourrait m'en vouloir.
Joël balaye ses craintes :
  • Vous m'avez dit qu'ils habitaient loin et ne venaient jamais le voir.
  • Le pauvre ! Mais, il est tellement atteint aussi. Vous verrez, ne vous attendez pas à des miracles.
Je laisse Joël marivauder dans les couloirs en les suivant de quelques pas. Il y a des vieux partout. Des debout essayant de nous suivre avec leurs déambulateurs, des assis coincés dans des chariots et d'autres dormant devant la télé. J'aimerais être loin. Je comprends mieux pourquoi personne n'était volontaire pour cette mission. Nous arrivons enfin à la chambre de Stoppa, petite pièce coquette et plutôt bien agencée. L'homme est grand et chauve et très bien conservé pour son age. Il sourit en nous voyant :
  • Ah, docteur, je vous attendais.
La directrice va protester mais je l’arrête en lui intimant l'ordre de sortir :
  • Laissez-nous faire, on s'en occupe.
  • Mais, mais...
  • C'est cela, mais mais, repassez plus tard. Et je la pousse dehors en désignant Joël :
  • N'allez pas irriter « le commissaire »
De mauvaise grâce, elle s’exécute, et Joël entre dans le jeu du vieux :
  • Comment allez vous ce matin monsieur Stoppa ?
Le type nous dévisage longuement et sourit. Il fait d'un coup étonnement jeune. A cet instant, on ne peut imaginer qu'il soit si malade. J'ai apporté quelques photos que je pose devant lui. Il fouille dans ses tiroirs et chausse ses lunettes :
  • Vous n'êtes pas des médecins, non ?
Il a un petit air malin et ses yeux pétillent. Je sais que cela ne va pas durer et pousse les feux :
  • Racontez-nous votre mission, en Algérie, quand vous étiez hébergés par des colons.
Il éclate de rire :
  • Hébergés ! Vous plaisantez ? Nous étions là pour garder le domaine, pas autre chose. Le temps que le colon rapatrie la majorité de ses biens.
  • Vous voulez dire que vous étiez au service de ces gens ?
  • Évidemment. Ah avec les copains, combien de fois avons nous envisagé de foutre le feu au domaine. Mais leur fille était tellement jolie...
Stoppa est tellement à l'aise que j'en viens à douter de sa maladie. Pourtant quand nous lui demandons le nom des colons, son regard se perd. Il semble fouiller au plus profond de lui même. Je pense que nous l'avons perdu, mais, il recolle au peloton :
  • Vous pouvez nous parler un peu de cette mission ?
Il hésite à peine, et je comprends que ce qui s'est passé là-bas, a marqué son cerveau bien au delà de ce que peux ronger la maladie.
  • Nous étions une belle équipe, à part deux ou trois tocards, évidemment. Nous avions prévu un gros coup, mais ces salopards l'ont deviné et ont pris les devant.
  • Quels salopards ?
Il a un geste vague :
  • Ben, eux, les militaires. Toute la clique, quoi.
  • Garde ?
  • Entre autre. Mais tout cela est bien flou par instant. Je sais qu'il fallait garder l'annexe à tour de rôle, mais que cela n'allait pas durer.
D'un coup, le vieux s'arrête. La lueur que nous avions rallumé chez lui en lui parlant de l'Algérie vient de s'éteindre. D'ailleurs la directrice est de retour pour nous signifier la fin de l'entretien.
Elle nous raccompagne vers la sortie et nous laissons le pauvre vieux perdu dans son monde. Se peux-t-il qu'il rumine sans cesse cet épisode de sa vie ? En tout cas, il m'a impressionné par la netteté de son propos. Comme j'en fais la remarque à Joël, il me dit que c'était pareil pour son père qui avait cette maladie :
  • C'était incroyable comme certains événements restaient présents malgré l'évolution du mal. N'empêche, ajoute t-il doctement, tu as fais une erreur en lui demandant brutalement le nom des colons. Il faut éviter de mettre un malade d'Alzheimer face à ses lacunes. D'autant que nous connaissons leurs noms. Lucien, d'ailleurs, cherche à retrouver des descendants.
Il commence à me courir sérieusement le Joël.
  • Oh, vieux, tu es commissaire, ou toubib ?
Il rougit et se sent obligé de se justifier :
  • Fallait bien que j'invente un truc, si tu crois que c'est facile.
Je tapote l'épaule de mon pote.
  • Te bile pas, tu as bien fait.
Avec ce vieux Jo, fallait toujours mettre de l'huile dans les rouages. Il prend facilement la mouche.
  • D'après les carnets de Chapet et les dires des survivants, il y avait de l'ambiance dans la Mitidja.
Nous étions attablés dans le bar du village et pendant que Joël noircissait son petit carnet, j'observais notre environnement et accessoirement la serveuse. Il faut dire que cette dernière avait de quoi être observé : Rieuse et pleine de formes, elle devait s'habiller deux tailles en dessous ce qui gênait peut-être ses mouvements, mais pas du tout les quelques vieux qui collés au comptoir, perdaient inexorablement les quelques dixièmes qu'ils leur restaient à chaque œil.
  • Tu m'écoutes ?
  • Non, tu n'écoutes pas. Tu n'écoutes jamais.
Merde, il n'allait pas commencer à me les briser, ce n'était ni le lieu, ni l'instant. J'attaque :
  • Parle moi d'Emma.
Il allait parler, mais mon intervention le laisse interloqué. Il reste ainsi, l'œil figé, la bouche ouverte.
  • Putain, Joël, reprend-toi. Tu ressembles à un de ces vieux de ce matin.
Il me lance un regard plein de pitié :
  • Mon pauvre Martin, c'est toi qui fait pitié. Quand vas-tu passer à autre chose ? Cette fille, tu l'as perdue, c'est réglé. N'y pense plus.
  • Me quitter, tu imagines cela ?
  • Tu exagères, étais-tu assez présent pour garder Emma ?
Prendre une leçon de séduction comme ça, dans un bistrot, me retourne les sangs et je vais répliquer vertement quand mon téléphone sonne. C'est Lucien. Il gueule tellement dans l'appareil, que j'ai un peu de mal à comprendre ce qu'il raconte.
  • Calme toi, reprend ton souffle et raconte.
Mais, il est tellement énervé que je ne comprends rien hormis qu'il est au bureau « Avec des infos renversantes ». Connaissant le zouave, nous ne nous pressons pas de rejoindre la base.
  • Il est si con ce Lucien qu'il est capable de nous faire rentrer pour nous annoncer qu'il vient de comprendre où est l'Algérie.

5 commentaires:

DAN a dit…

C’est si bien écrit qu’on s’y croirait, un moment j’ai même senti l’odeur de l’hospice, n’empêche à chaque fois tu finis par une question, va falloir attendre encore pour lire la suite, ta pas pitié des vieux toi !

Louis a dit…

Oh Dan, tu as besoin de quelque chose ? Ce n'est pas avec tes viles flatteries que tu obtiendras de moi de bons coms, ne te fais pas d'illusions !!!
merci en tout cas.

DAN a dit…

comme dis la chanson , "besoin de rien" sauf d'un bon moment passé à te lire, tiens donc c'est de la flatterie ça espèce de vieux brigand ;-)

phyll a dit…

haaa... j'aime bien !... on est vraiment dedans !!!
et si la flatterie c'est quelle est contente !!! :o) :o)

Louis a dit…

Bravo phyll, ton calembour tient la route. Tu devrais tenir un blog !!!