dimanche 9 janvier 2011

Episode 08

8.

L’établissement pue le graillon, mais c'est ce qui en fait le charme je suppose, puisqu'il est bondé. Nous regardons tous ces jeunes qui se pressent aux comptoirs, sans vraiment bien saisir leurs motivations. Conflit de génération, faut croire. Je surveille Michel du coin de l’œil, parce qu’il commence à me courir sur le haricot, l'animal. Si on doit se battre pour recueillir chaque témoignage, nous n'irons pas loin. « Pas d'esclandre, hein ? Reste calme, il y a plein de jeunes filles ! » Michel rigole et je me dis que c'est gagné, mais dès que je vois la gueule du « manager » qu'un jeunot, de la graisse plein les lèvres, nous a désigné, je crains le pire. Il est maigre, efflanqué et pâle. Après un regard superficiel à la photo que je lui tends, il essaye de nous repousser sèchement l'inconscient : « Messieurs, je n'ai pas le temps. » Michel l'attrape discrètement par l'oreille, lui chuchotant d'une voix suave : « Allons derrière, il vaut mieux. » Le gars me jette un regard angoissé, alors je prends mon air le plus dur afin qu'il comprenne bien à qui il a à faire. Une fois dans son bureau, c'est moi qui pose les questions, Michel continuant à le tenir fermement. « Parle-nous de Pauline... » Le gars, commence par prétendre bêtement qu'il ne connaît pas de Pauline. Ah ! L'erreur ! La baffe qu'il se ramasse, aurait pu figurer sur son menu : Maxi-XXL. Je jette un regard noir vers mon pote quand le mec attaque ses confidences : « Cette fille... », il désigne la photo, « … c'est rien que des emmerdes ». Je lui confirmai son impression en lui expliquant que s'il ne coopérait pas avec nous, il allait comprendre sa douleur. Du menton je désignai Michel qui ricanait, et ce seul geste arracha un râle douloureux à notre témoin. « Elle travaillait mal ? » « C'est pas ça », renifle l'autre grande endive. « Mais elle était toujours à contester mes ordres. » Il se fit complice, pensant nous mettre dans sa poche : « Vous vous rendez compte, elle voulait se syndiquer, me traduire aux prudhomme. » Comme Michel lui arracha quasiment l'oreille, le mec comprit qu'il faisait fausse route avec nous en jouant sur le thème de l'anti-social, alors il se reprit : « Non, tout a dégénéré quand elle s'est mise avec l'autre bougnoule... » Là, Michel le prit par les cheveux, « continue à parler comme au siècle dernier dans un meeting du Front National et je vais plonger ta sale gueule dans le bac de friture. » Le mec frissonne et me jette un regard implorant. « Les temps changent, mon gars, il y a des lois maintenant pour punir de tels langages, alors surveille-toi un peu et explique-nous un peu plus dignement cette histoire. « Ben, Pauline est tombée amoureuse de ce type, Abdul, le plongeur de l'établissement. Vous vous rendez compte ? » « Et alors ? » Michel l'a lâché et le type se recroqueville doucement. A mon avis, il avait quelque chose à cacher et il ne savait pas jusqu'à quel point il pouvait jouer avec notre patience. Mais il resta silencieux. Pour Michel et moi notre religion était faite : ce type était un connard. Un de ces petits chefs imbus d'eux-mêmes, de ceux qui sont sur terre pour nous pourrir la vie. Je lui demandai où l'on pouvait trouver ce fameux Abdul, mais le gars n'en savait rien et nous allions partir bien convaincus que nous n'en n'avions pas fini avec ce minus, lorsque j'eus comme une illumination, un de ces traits de génie qui vous hisse immédiatement à la hauteur d'un Sherlock Holmes, voire d'un Navarro. « Tu l'aimais ? » Le gars baissa la tête comme pour confirmer mon intuition. Michel lui colla une dernière baffe, une douce, presque affectueuse : « T'as bon goût mon gars, elle est très jolie cette môme. »

1 commentaire:

phyll a dit…

super !! en pleine forme le gars Michel !!! ;o)