jeudi 25 novembre 2010

Episode 1

I.

Ce soir-là, chez Roger, l'ambiance était plutôt lourde. D'accord, nous buvions ferme comme d'habitude, pourtant n'importe quel observateur un peu au fait de nos coutumes aurait pu déceler comme un malaise dans notre petite troupe : Lucien et Arobase s'abstenaient de dire des conneries, Paulo restait éveillé du haut de son tabouret, et Michel l'œil noir, sirotait sa bière sans distribuer ses légendaires mandales généreuses.

« Putain, dit Roger, c'est comme si Sarkozy était au pouvoir ! »
Cette fine saillie ne fit rire personne alors je m'approchai de Michel : « Bon, vieux, tout cela n'est pas si grave, après tout. Souviens-toi de l'usine, on a connu d'autres galères. » Et me penchant vers son oreille je lui murmurai à voix basse : « Et puis, n'oublie pas que nous sommes riches, blindés de fric, alors l'agence... » Michel me regarda par en dessous, l'œil lourd, pas convaincu du tout. Depuis que nous avions soutiré illégalement une fortune à nos anciens patrons, les frères Pelissier, avant qu'ils ne s'entre-tuent, nous vivions dans une discrète aisance. Pourtant mon pote était malheureux : « Martin, tu sais que je n'aime pas l'inactivité, je déprime ». J'avais bien envie de lui dire qu'il commençait à me faire chier avec sa déprime, mais je préférai me montrer charitable et je fermai ma grande gueule en désignant d'un geste explicite nos verres à Roger qui, grand adepte du langage des signes, s'empressa de renouveler les consos. Mais Michel restait sombre, fermé. Faut dire que depuis que nous avions monté cette agence de détectives privés, ce n'était pas l'euphorie question clientèle. Deux trois filatures, et basta. Mais qu'est-ce qu'il croyait ce grand con ? Un mois de formation, quelques stages chez les flics et toutes les plus belles femmes de Lyon accourant dans nos locaux pour nous demander de résoudre des énigmes dignes du Faucon Maltais et autres chef d'œuvres de la série noire ? Il lisait trop de polars mon pote. Comme il allait pleurer, je lui avait promis « la grosse affaire » pour bientôt et il m'avait cru. Il me croit toujours. Lui ai-je déjà menti d'ailleurs ? Je lui avais bien dit que cette histoire de détectives privés n'allait pas être de la tarte, mais il était comme un gosse, alors on a plongé. Qu'est-ce qu'on risquait avec tout notre fric ? On a acheté l'appartement qui jouxte le bar, mon beauf a peint l'enseigne : « Agence 2M » pour Michel et Martin et l'attente a commencé.

La nuit s'était maintenant avancée, et les derniers clients regagnaient leurs lits, Arobase et Lucien, eux, étaient partis depuis un moment, seul Paulo restait fidèle au poste, endormi sur son tabouret. Roger baissa les lumières avant d'aller fermer la porte. C'était le signal : nous sortîmes nos paquets de cigarettes pour nous griller une dernière Gauloise. Épaule contre épaule, Michel et moi sirotions notre verre en silence. J'aimais ce moment de la nuit où tout devient possible, le pire comme le meilleur. « Tu couches à l'agence ? » Michel m'avait surpris avec cette question. « Ne fais pas cette tête, je suis au courant pour Camille, elle est partie, n'est-ce pas ? » J'aimerais lui dire que c'est plus compliqué que cela, mais à quoi bon, alors j'opinai et il posa sa main sur mon épaule. « Cela m'arrange que tu couches à l'agence, j'aurai besoin de toi demain matin. » Et voilà, c'est tout Michel, ça. Qu'est-ce qu'il va me demander, demain ? D'abattre un rival à coup de hache ? D'enterrer un voisin qui lui aurait mal parlé ou de découper en rondelles une amoureuse trop envahissante ? Je m'attendais à tout : Michel n'aime pas l'inaction !

5 commentaires:

phyll a dit…

ouais !!! le décor est planté !!!
content de retrouver tes héros !!!

BBK.mel a dit…

C'est ça d'avoir attendu trop longtemps, on devient insatiable ! La suite, la suite !

Olivier a dit…

Eh ben, ça y est, te voilà de retour ! Et tu le fais en plein milieu du Festival du court et d'Oullins ! Alors là je comprends plus rien !

Louis a dit…

Olivier : J'ai été écarté du Zola par une bande de jeunes (Je ne tiens pas la Duvel !!!)

Louis a dit…

Bbk et Phyll : Je vous aime !!!