samedi 31 janvier 2009

15. La merdeuse

Un peu de calme ne peut pas faire de mal. C’est ce que je suis en train de dire à Bob, le patron du bar des sports, en sirotant un petit « Vionier » frais et gouleyant quand la môme fait son entrée dans le bistrot désert. Je vais balancer une grosse vanne à Bob rapport à la législation des mineurs quand je reconnais ce petit bout de femme : C’est le portrait craché de sa mère, Nathalie. Les bras m’en tombent et mon palpitant palpite. Nathalie ! Quelle histoire, quelle belle histoire. Un amour fou, un amour fort. Des mois de bonheur, jusqu’au jour où elle a posé un baiser sur mon front avant de descendre acheter une salade et de disparaître définitivement de ma vie. C’était il y a une dizaine d’année. Depuis j’ai horreur des légumes. Par radio Croix Rousse, j’ai appris ses voyages, j’ai appris ses amours, j’ai appris la naissance de sa fille sans jamais aucunes nouvelles directes de sa part. J’ai pleuré, j’ai crié, et j’ai bu. Ouais, bon, c’est facile de juger ! Mais putain, comment j’ai dérouillé. Alors, découvrir son visage à travers mon verre de blanc à de quoi me mettre en l’air. Avant que je n’aie eu le temps de me remettre de mes émotions, Bob à une question de la gamine n’hésite pas une seconde : il pointe son gros doigt sur moi. Sur qui d’autre d’ailleurs ? Je suis seul ce soir. Alors la môme vient se planter devant moi :
- C’est vous Martin Roussillon ?
Je hausse les épaules en riant.
- Et toi, moustique, tu es la fille de Nathalie, je me trompe ? Comme elle ne répond pas, j’ajoute : « Et elle est ou d’ailleurs ta mère ? »
- Elle est morte ! Là bas, à la Réunion.
Morte, Nathalie ? Comme c’est étrange cette sensation soudaine, ce grand froid qui m’envahit. Et tout cela pour une femme qui m’a quitté depuis si longtemps. Elle était morte pour moi, enfin c’est ce que je pensais. Là pour le coup j’ai les jambes qui vont me lâcher, alors d’un signe j’exhorte le patron à me resservir fissa. Pour mettre un peu d’ambiance, je demande à la petite ce qu’elle veut boire et son prénom. Si je trouve « Coca » carrément horrible, « Léa » me semble plutôt jolie et je vais enchaîner sur d’autres banalités quand elle m’en colle une bien sèche : « Alors c’est toi mon père ? » Phrase banale qu’elle accompagne d’un regard appuyé sur ma bedaine de sportif et de cette petite moue de dédain héritée de sa mère.
- Ton père ? Tu plaisantes ?
Elle me regarde par en dessous et bien que n’ayant pas de comptes à lui rendre, je demande :
- Tu es née quand d’ailleurs ?
- Décembre 96
Je souris soulagé, sa mère m’a quitté en janvier 96, j’en ai le souvenir profondément gravé au fond de ma mémoire. C’était à la fin des grandes grèves de décembre 95. Un mois de lutte, âpre et nerveux. Une dernière manif et un dernier couscous avec les collègues en lutte, puis nous nous étions enfermés dans notre chambre pour nous aimer en pleurant la fin du combat. Drôle d’après midi, suave et douloureux. Notre dernier moment d’amour. et je peux sans remord m’octroyer une nouvelle bière quand cette petite peste se reprend en ricanant :
- Heu, non, septembre, septembre 96.
Boum, badaboum, servez chaud ! Ma bière a un drôle de goût tout d’un coup, et pour faire bon compte les potes font bruyamment leur entrée sur ces entrefaites. Je demande à Bob s’il peut préparer un petit truc à manger à la merdeuse qui doit mourir de faim. Ce gros dégueulasse pose son doigt sur son front :
- Y’a pas écrit Mac Do !
A ces mots la môme gueule qu’elle veut aller chez Mc Do, ce à quoi je rétorque que « moi vivant, nous ne mettrons jamais les pieds là bas ». Les potes s’en mêlent pour foutre leur bordel et au bout de quelques minutes, je vais faire une distribution de baffes, quand la petite demande, faussement innocente :
- Alors, vous êtes des amis de mon papa ?
Hésitation, interrogation et enfin cris et hurlements quand tout à chacun à compris de quoi il s’agissait. Ca chambre méchant, et moi la grande gueule avec mes, « moi, des gosses ? Jamais ! », Je fais profil bas. Lucien s’en mêle, alors je vais passer à l’offensive quand la porte s’ouvre brutalement sur une femme en furie qui se précipite sur la gosse en gueulant : « Léa, tu étais ou ? Je te cherche depuis des heures » Pour la calmer, j’y vais d’un mutin : « Alors Nathalie tu me ramènes la salade ? Tu viens du cimetière ? Elle s’arrête d’un coup sans comprendre ce que je lui dis. Elle a eut vraiment peur pour sa fille, alors mon humour…
Tous les abrutis continuent à ricaner bêtement, alors Nathalie qui ne veut pas que je me batte, (« comme avant » ajoute-t-elle perfidement), m’emmène manger. Chez Mac Do, ouais, comment avez-vous deviné ?
Nous parlons gentiment lorsque je lui fais reproche de m’avoir caché ma paternité. Elle éclate de rire, un rire qui me soulage tout en me faisant mal. « Léa ne raconte que des conneries, c’est vrai qu’elle pourrait être ta fille ! »
Je suis rentré chez moi tout chiffon en m’arrêtant à tous les pieds humides* ouverts.
Et c’est dingue comme Lyon est devenue une ville de bistrots !
*Pieds humides : Buvettes lyonnaises souvent au bord des fleuves où l’on boit son verre de Beaujolais debout.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore venir ici à chaque fois je passe un bon moment. ;=)

Anonyme a dit…

Père sans le savoir.....
y a 45 ans tu connaissais la mère à titi?

Anonyme a dit…

Martin papa! D'une fille? J'aurai bien aimé voir ça.
Amitiés.

Anonyme a dit…

Ça c'est marrant ! J'avais écrit une histoire similaire que je ne t'ai jamais envoyée parce que je ne l'ai jamais finie. Mais moi, c'était un garçon dans mon histoire. Transmission de pensée. Ça doit être de boire des Vionier avec toi !

Anonyme a dit…

Si ça se trouve, y'a des mini Martin qui grouillent de partout dans toute la France.

Pour le Baleinié et le mot "liotte", j'ai hésité à te mettre en référence ;)