dimanche 8 juin 2008

Z'invité N°10. Une étudiante zélée par Sylv...ie

Une anthropologue. On me l'avait jamais faite celle-là. La fille s'est perchée au bar, a demandé un noir, l'a siroté pendant des plombes en faisant semblant d'admirer les craquelures du plafond – alors que je voyais bien qu'elle lorgnait dans ma direction – et, alors que je l'ai abordé avec mon tact habituel, elle me sort qu'elle est anthropologue.
_ Kesako ? que je lui ai fais. Tu manges des êtres humains ?
_ Elle étudie les gens qui vivent dans la brousse, me lance Roger en astiquant ses verres ballon. J'ai vu ça sur Arte.
Je me suis étranglé dans mon demi.
_ Tu regarde Arte, toi ?
Mais c'était pas la question comme me l'a fait gentiment comprendre Roger. La fille, elle étudiait bien les peuplades inconnues et celle qu'elle voulait observer, c'était celle qui vivait dans ce bar. Une fois que j'eus saisi les propos de la dame, je me suis étranglé une deuxième fois. D'instinct, Roger m'a fait glisser une autre mousse. Deux gorgées et ça allait tout de suite mieux.
_ Ma thèse s'intitule : us est coutumes des habitués d'un débit de boisson à sphère d'influence locale à très locale. Ça veut dire que j'aimerais bien pouvoir vous observer durant quelques semaines, peut-être même vous interviewer.
_ M'interviewer, moi ?
Ça m'arrive pas souvent de rougir, alors sur le coup j'étais content que le bar soit presque vide. Ça aurait été dommage que je commence à casser des têtes devant la dame.
_ Ecoutez, mademoiselle, j'ai dit, on n'est pas de bêtes curieuses, nous. Vous pouvez pas nous étudier comme ça...
J'ai a peine eu le temps de débuter le commencement des prémices de mon argumentaire que le Roger s'est exclamé :
_ Pour moi c'est bon. Vous pouvez venir quand vous voulez.
Le faux frère.
Depuis, tous les soirs, elle est là, lovée sur une banquette à coté des fumeurs de moquette, accrochée à une table au milieu des poivrots qui lui racontent leurs pauvres vies ou accoudée au comptoir à enregistrer les brèves (y'en a qui en ont fait des livres, il paraît).
Faut dire qu'elle a du cran, la petite. Quand les baffes se distribuent au hasard, elle est toujours près de la mêlée, le stylo à la main et l'œil aux aguets. Quand on paye la tournée, elle prend sa part et finit toujours son verre. Et quand on s'échange des blagouilles bien mouillées, elle écoute et elle note. Parfois même, elle rigole.
En fait, jour après jour, elle se fond de plus en plus dans le paysage. Elle met toujours les mêmes vêtements, elle tise de plus en plus, elle prend de moins en moins de notes. Observation participative, qu'elle nous dit. Paraît qu'elle s'immerge.
Moi, je veux bien, c'est surtout la glotte qu'elle s'immerge. Ses quelques semaines deviennent des mois et, les mois presque une année. Son joli teint blanc d'étudiante à lunettes a viré au rouge depuis un bail et ses interviews tournent vite au concours de rot. Je suis pas anthropologue, mais je dirais qu'elle a fini par se faire avoir à son propre jeu. Quand je le lui raconte, elle me rit au nez et commande un autre picon. Pas moyen de la raisonner.
Alors j'ai eu une idée. Un soir qu'elle est avec nous à lancer des vannes sur la coiffure de Lucien, je provoque la bagarre. Facile, c'est comme une seconde nature chez moi, un peu comme le poil à gratter qui provoque des démangeaisons. Quand les premiers marrons commencent à pleuvoir, elle fait mine de filer en douce, de prendre un peu de distance, mais je lui prend le bras. Mon plan : la faire participer à la baston. Quand elle se sera cassée le nez sur un poing mal intentionnée, elle réalisera qu'elle
n'a rien à faire avec nous. Et puis p'têt qu'après je pourrai la consoler un peu, la gamine.
Macache ! Elle se met à distribuer les torgnoles à bout de bras, une vraie furie du zinc. Les hommes n'osent pas la toucher et elle met tout le monde au tapis, moi y compris. Quand tous les gladiateurs sont à terre, elle empoigne la choppe la plus proche, la vide cul-sec, la jette derrière elle et gueule à la volée :
_ Si avec ça j'ai pas une mention très bien, j'arrête la fac.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ben, si on m'avait dit que c'était comme çà les études, je me serais inscrit à la fac !
Super récit, bravo !

Le Parcheminé a dit…

Tout à fait excellentissime.
Mazette ! Je me rend compte que je n'ai jamais arrêté mes études.... J'ai juste oublié d'aller en cours.

Anonyme a dit…

Les étudiants, de nos jours, on n'y comprend plus rien !!

Anonyme a dit…

Info !!
Je sais de source sûre qu'elle a validé son module.
Mais elle a aussi attrapé une cyrrose au foie...