vendredi 18 avril 2008

Z'invité 7 Le maigrichon par Rohic

Je l’aime pas ce maigrichon. Sincèrement, je l’aime pas. Il est trop p’tit, trop sec, trop fumé. Il a quequ’chose qui m’reviens pas. Sa façon d’engloutir son café, de rabattre sa capuche, d’enfoncer ses mains dans les poches de son sweat pour y chercher les deux balles qu’il fait claquer sur le comptoir… J’aime pas comment ça sèche, j’aime pas qu’il empêche ça de rebondir !

Ce mec est tout en angles, il n’y a rien d’arrondi chez lui. Son cul ne touche jamais le tabouret. On dirait qu’il sautille même quand il se pause, ça a le don de m’exaspérer. Riton s’en doute bien… En tout cas, je me doute qu’il se doute à force de me répéter : “t’occupe, bois ta bière et ferme-la !” On sait tout deux de quoi il cause, mais on n’en a jamais franchement parlé. Un de ces sujets qui fâche, un malaise qui plane, un truc nauséeux qui s’insinue dans mon demi et me fout l’alcool mauvais !

Il est apparu à l’hiver, gris sombre sous deux petits yeux saillants… ténébreux pour ainsi dire. Les mots semblaient lui arracher la gueule. Bonjour… Merci… Bonsoir… Son regard ne décollait pas du bar. Il pouvait rester une demi-heure ou même une heure comme ça, à vomir du silence, jusqu’à ce que retentisse la cucarracha de son mobile ! Là, il grommelait je ne sais quoi en esquissant une sortie qui n’en était pas une, matait nerveusement la rue en soulevant le rideau de la porte, puis, incontournablement, revenait vers le comptoir, enfouissait ses pognes dans ses poches pour y trouver sa pièce et la jeter sur le bar… Avant de s’éclipser.

Putain, c’est dingue comme il avait le don de m’énerver, ce con. Combien de fois me suis-je surpris, le poing serré, me rongeant les dents pour ne pas avoir à lui sauter dessus. Riton pausait sa main sur mon avant-bras. “Allez, je t’offre un coup”, qu’il me glissait avant d’aller désincruster les deux balles plantés dans le zinc. Je comprenais pas son attitude. L’aurais mieux fait de me laisser l’emboucaner, cet abruti. Il y aurait certes perdu en chiffre d’affaire, mais aurait sûrement gagné en tournées offertes ! Enfin…

Un soir, deux autres types sont entrés dans le bar et ont encadré mon vilain maigrichon qui sirotait nerveusement son kawa… Deux grands bronzés, qui totalisaient bien cinq têtes de plus que le petit encapuchonné. J’ai vu le coup venir depuis Roanne, mais je m’attendais certainement pas à ce que cela s’enqueunille de cette façon. Les deux Dupont le serraient comme une vieille pute qu’ils auraient payé d’avance, quand le petit s’est pour ainsi dire accroupi, leur est passé derrière, la tasse toujours en main… Pif, paf, pouf… En trois coups, il les avait mis par terre. Sa paume pissait le sang. Riton a dû l’aider à retirer un éclat qui s’était fiché tellement il avait cogné fort…

J’ai aidé à sortir les deux branques qu’on a posé dans le caniveau, au coin de la rue. Le nain m’a tendu la main, la droite, celle qui n’était pas blessée. “Tonio”, il a juste dit. Puis, “merci du service”… J’ai tourné les talons, je pouvais pas. Quand un mec vous revient pas, il vous revient pas. Je suis retourné au bar tandis qu’il s’évaporait dans la nuit. Riton m’a remis une bière. On avait envie d’en parler mais rien n’est sorti, alors on a repris nos élucubrations sur l’OL, comme si de rien n’était.

Le lendemain, le ptit gars s’est repointé et a commandé son noir. Mes poings sont restés fermés… comme nos regards ! Puis le surlendemain et les jours d’après, jusqu’au printemps… Je me souviens que c’était le jour du printemps car comme d’hab ce jour-là, Riton n’a pas arrêté d’asséner qu’il n’y avait plus de saison ! Il fait toujours ça au jour du printemps, le patron, comme un rituel… Et depuis toutes ces années que je hante son bar, ni moi ni personne n’y a trouvé à redire. Pas même mon Tonio, dont j’ai mis un moment à remarquer l’absence.

“Tiens, j’ai dit… Il est pas là le nabot ce soir ? Ça va t’économiser un demi !” Riton a jeté son torchon sur son épaule en se retournant pour m’en servir un quand même. “Il reviendra plus”, qu’il a répondu. M’est sorti un truc du genre : “comment ça, il reviendra plus ?” Riton m’a fait une drôle de mou de clown triste, qui m’a donné envie l’embrasser, puis il a lâché : “C’était mon neveu, tu sais ! Un petit junky sans importance, mais mon neveu tout de même. Le Sida l’a emporté…”

Putain merde, quel con je fais ! Une larme de Riton est venue déchirer la mousse de ma bière. J’ai fait comme si de rien n’était. Elle était aigre, la vache, mais je l’ai bue d’un seul trait, sans sourciller. J’ai entendu une pièce qui claquait sur le zinc, j’ai senti mon poing se serrer sous le comptoir, mais le seul blaze qui me rongeait ce soir-là, c’était ma gueule ! Puis j’ai simplement pensé : “mais pourquoi je lui ai jamais parlé, pourquoi je lui ai jamais parlé…”

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Pfiou ! Je suis toujours sidérée par ton talent d'écriture, Rohic ! Du coup,il me tarde d'autant plus la suite de Punker...

Unknown a dit…

Quel punch.

Unknown a dit…

Toujours la classe Rohic!

Anonyme a dit…

Chapeau !!!!

Louis a dit…

Quel fayot ce pauvre Arobase, qui hait tout ceux qui lui passent devant au bar comme sur le blog et qui félicite Rohic !
Un secret entre nous : Il ne sait pas lire