vendredi 18 avril 2008

40. Les méfaits de la drogue.

Le cadavre gisait en travers des chiottes, et j’ai tout de suite compris l’ampleur des emmerdements qui allait nous tomber sur le râble. D’abord j’ai été obligé de pisser dans le lavabo, ensuite il m’a fallut me poster à l’angle du bar afin de bloquer le passage. J’ai sifflé Roger, le patron, qui s’est mépris et m’a resservi un verre avant de s’approcher.
« va fermer tes WC, je tiens le bar »
A ma mine blafarde, il a compris que c’était du sérieux. Il a foncé en râlant sur ces « putains de jeunes » qui ne tiennent pas l’alcool, croyant avoir affaire à un de ses habituel client malade. A son retour, il est aussi livide que le type qui git derrière lui. Il me jette un regard un peu perdu, alors je décide de prendre les choses en main. Je lui sers un petit alcool fort, j’arrête la musique et balance un « on ferme » qui a dû s’entendre jusqu’à la préfecture. Les clients, surpris, jettent un regard interrogateur vers Roger, qui d’une phrase délicate confirme mes dires : « dehors, fissa ».
Ca râle et ça ronchonne, mais à part Lucien qui se plaint de ne pas avoir finit son verre, tout se passe plutôt bien. Personne n’a l’idée d’aller aux toilettes avant de partir et ça, c’est un point positif. M’est avis qu’il ne va pas y en avoir des masses ce soir. Roger retient Lucien avant qu’il ne sorte, et baisse le rideau de fer. Après sa visite aux WC, Lucien, malgré l’état pitoyable de son cerveau, réalise immédiatement la gravité du problème. Gravité que Roger résume simplement :
- Une overdose dans mes toilettes, avec tous les emmerdements que j’ai actuellement à la mairie, c’est la fermeture totale.
Le silence lourd qui ponctue sa déclaration, montre bien à quel point, des clients fidèles comme Lucien et moi, reçoivent le message cinq sur cinq. La fermeture du bar, est pour nous l’équivalant d’un licenciement sec pour un ouvrier, pas moins. Alors, si Roger a besoin de nous, on ne se pose pas de questions, on y va.
Deux heures du matin, nous voila en train de traverser Lyon dans la voiture de Lucien avec le cadavre d’un inconnu dans le coffre, à la recherche d’une quelconque décharge sauvage. Nous sommes graves et silencieux. Lucien connaît paraît-il « un petit coin aux oignons »pour balancer le corps. A chaque véhicule rencontré, nous nous recroquevillons un peu plus sur nos sièges. Enfin nous y sommes, et je dois bien reconnaître, que le coin est parfait.
- Allez, on se magne !
Personne n’ayant envi de faire du tourisme, nous nous saisissons du corps pour le balancer dans les ordures. Nicolas Hulot nous pardonnera certainement cette entorse au tri sélectif des déchets. Nous allons rentrer en quatrième vitesse lorsqu’un gémissement nous parvient de l’obscurité. J’ai comme un doute, mais Lucien particulièrement éveillé ce soir réagit le premier :
- L’est pas mort !
Nous nous regardons atterrés. Je sens comme un coup de moins bien dans la petite équipe, alors je me décide à agir vite. Je retourne à la voiture, et d’un bond je reviens armé de la manivelle pour sauter au-dessus du corps que je m’empresse de marteler de toutes mes forces sans me poser de questions. Le faux mort finit par admettre qu’il en est un vrai et le problème est réglé. J’essuie méticuleusement l’arme du crime avant de la jeter au loin. Je reviens vers la voiture où Roger et Lucien sont restés figés comme deux sentinelles muettes. Deux abrutis.
- Allez, on se casse.
Cela les réveille, et nous rentrons en silence à travers la nuit lyonnaise.
- Hé bien quoi ? Qu’est-ce qu’il fallait faire ? C’était un putain de drogué, nous n’allions pas le ramener chez lui, non ?
Après quelques secondes de silence, Lucien approuve bruyamment :
- Il a raison. Et c’est mieux pour ton bar Roger.
Finalement le patron a convenu du bien fondé de mon action, mais je vois bien qu’il me regarde bizarrement. Comme si je lui faisais peur. Moi peur !
Nous buvons souvent tous les trois maintenant. Parfois dans la nuit, nous écoutons gentiment les confidences d’un type qui nous raconte comment son pote, « un client de votre bar, monsieur » a été sauvagement assassiné, à coup de barre de fer avant d’être jeté dans une décharge publique. Alors avec Lucien, on lui tape sur l’épaule pour le réconforter tandis que Roger lui paye un verre. Il avait beaucoup d’amis ce faux mort. Ainsi, on ne risque pas de l’oublier.
Quelques mois plus tard, Roger nous raconte comment il a crevé dans la nuit :
- Quand j’ai voulu changer ma roue, je n’avais plus de manivelle.
Alors on rigole tous les trois, et c’est comme si l’on tuait l’inconnu une seconde fois.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce cher Martin devient parfaitement cynique et c'est un vrai régal !!

Unknown a dit…

Martin! Gare aux retours de manivelle...

Anonyme a dit…

Mais mais mais, je savais pas moi, comment on fait pour être avertis en avant-première des sorties des nouvelles aventures ? Y a un jour particulier ou pas ?
Bon, en tout cas, je suis un peu comme Roger, moi, il me fait parfois flipper le Martin...

Mais le louis, j'adore son style... ;-) Il y a deux phrases en particulier que j'ai adorées : "Nicolas Hulot nous pardonnera certainement cette entorse au tri sélectif des déchets." et

"Le faux mort finit par admettre qu’il en est un vrai".

Bravo bravo bravo !!!
Et c'est quoi ce truc de lulu.com, tu connais d'où, c'est bien ? :-)))

Anonyme a dit…

Brr'
ça devient du sérieux ici...
Je pensais Lyon plus tranquille ;-)

Louis a dit…

Profette, toi une fidèle !!! C'est l'agreg qui te pertube ?
Depuis des mois, c'est une nouvelle nouvelle chaque semaine. (sauf là, parce que sans me vanter, je la trouve très bonne cette histoire... et surtout, je bouge beaucoup avec tous ces week end...demain peut-être!)
Lulu.com, c'est extra : tu envois ton fichier word tu payes et ils t'impriment ton livre.

Anonyme a dit…

AH, ça y est, j'ai enfin retrouvé la question que j'avais posée, et la réponse !!! ;-)

Oui, je savais que tu publiais une fois par semaine, mais j'ai oublié quel jour et puis tu as eu quelques retards, hein, avec ton déménagement... (non mais, vais pas me laisser faire !!! :-p )

Et puis en fait, que je te dise que lorsque l'on arrive sur le site, c'est pas toujours évident de savoir qu'il y a eu de nouvelles aventures, car il n'y a, je crois, que 2 articles qui paraissent sur la page d'accueil et donc, pour X ou Y raisons, ben ça m'arrive d'en rater un, oops... pas bien, je sais.

Mais bon, ça m'empêche pas de t'embrasser, hein ! :-)

Eloïse a dit…

"Alors on rigole tous les trois, et c’est comme si l’on tuait l’inconnu une seconde fois."

Ca, ça me laisse un goût amer au fond de la gorge, comme les tournures de Howard Buten, quand il dit des choses tristes avec des mots drôles. J'aime beaucoup !