lundi 5 mai 2008

41. C’est la lutte…

En jetant un regard désabusé sur le bar et ses alentours, j’ai la confirmation de ce triste adage : « Lyon la nuit c’est la mort ! » Roger, dans le fond, sert trois ivrognes bavards, et dans la salle, quelques couples hypothétiques se dévorent des yeux en laissant réchauffer leurs verres. Marion la patronne est déjà rentrée se coucher, et ça, c’est un signe qui ne trompe pas. J’arrive d’Amsterdam et j’espérais un peu plus de chaleur. Heureusement, lorsque mon pote m’aperçoit, un sourire éclaire son visage de nounours trop bien nourri. « Martin, tu tombes bien »Je tombe toujours bien, et c’est là tout mon problème. Je m’installe au bar en attendant mon verre et quelques explications. Mais Roger est soudain submergé par d’ultimes commandes et j’attaque avec délice ma bière fraîche. Mes trois voisins parlent de l’épineux problème de la réforme des retraites et des grèves qui en découlent.
- Putain moi, ils me font gerber tous ces braillards. L’homme rondouillard qui vient de parler me paraît particulièrement entamé, d’ailleurs son ami, un grand sifflet de vogue rigolard désigne le verre d’alcool :
- Ça, pour gerber, tu vas gerber, mais les grévistes n’ont rien à voir là dedans.
- Tu es de leur coté ? Le type paraît ébranlé par cette constatation soudaine.
- Je n’ai pas dit cela.
Le troisième, costard cravate assortit à sa couperose intervient :
- Tu l’as pourtant suggéré. Il a raison. Tous ces agitateurs ne méritent qu’une balle dans la peau. On bosse, nous ! Et on ne se plaint pas.
Le grand reste le regard dans le vague sans répondre. Je le sens indécis. J’ai bien envie de me lever pour distribuer des baffes, mais Roger revient vers moi. Pourtant, je veux marquer le coup et je lui demande d’une voix forte :
- C’est qui ces trois connards ?
Roger s’étouffe dans son bock et tout le monde me regarde. Les trois types hésitent mais l’honneur, hein, c’est quelque chose. Cela passe avant tout, et le rougeaud s’avance vers moi menaçant. Je n’ai pas l’intention de me battre, encore moins de discuter, alors je sors mon arme pour l’enfoncer dans la narine du fier à bras qui pour le coup perd ses couleurs. L’ambiance est sympa soudain et j’y vais de ma participation à la liesse générale :
- Paye une tournée générale à la gloire des grévistes.
Le type, toujours défiguré par le canon de l’arme est au bord des larmes. Il parvient à faire un geste timide que Roger décrypte immédiatement. Pendant qu’il s’empresse à renouveler les consommations, j’interroge négligemment les trois lascars :
- Commerçants ? Artisans ? Libéraux ?
Le grand maigre me sourit avant de chuchoter : « Bijoutier. »Il désigne le troisième trop ivre pour parler : « Lui, il est charcutier »
J’enfonce un peu plus mon Beretta tous neuf dans le pif de notre généreux donateur :
- Et toi, sapé comme ça, tu es au moins commercial non ?
Il voudrait bien répondre, mais la douleur l’en empêche, alors c’est encore le grand qui explique :
- Oui, chez Jean Delatour.
- Les bijoux ?
Il sourit : « C’est comme cela que l’on s’est connu »
Je désigne le troisième homme qui pique dangereusement du nez : « Et le charcutier, il planque vos bijoux dans ses rillettes ? »Le plus sympa y va franchement d’un éclat de rire plutôt saugrenu vu la situation : « C’est mon voisin » Il désigne mon arme d’un hochement de tête : « Et vous, vous êtes flic ? »Je ne réponds pas directement à sa question, trop occupé à nettoyer mon arme : « Simplement fils d’ouvrier »
Le commercial se frotte le nez avec des grimaces plutôt réussies et je l’oblige à lever son verre. « Portons un toast » Tous les clients m’observent et j’ai un peu honte de me servir d’une arme pour les terroriser, mais ils m’ont énervé avec leurs discours ringards, alors je gueule :
- Gloire aux grévistes !
Tout le monde reprend en chœur et le petit gros en profite pour tomber lourdement de son tabouret. Le charcutier a résisté à des litres d’alcool, mais l’hommage aux travailleurs en lutte lui a été fatal. Ses potes, ravis de l’opportunité, profitent de l’occasion pour abandonner le terrain. Avant de sortir, le bijoutier m’adresse un sourire complice.
- Tu es content de toi ?
Tout le monde me regarde et ce n’est pas Roger qui va gâcher cet instant de grâce. Je lui sourit en haussant les épaules.
- Range moi cette arme, tu te crois où ?
- Ça va, arrête un peu ta morale, grâce à moi tu as doublé ta recette journalière.
Mon pote ne peut s’empêcher de sourire tout en murmurant : « Tu es con tout de même » Mais je sais bien qu’il n’en pense pas un mot.
Je regarde la salle et les couples qui se lèvent pour sortir. Les hommes sont âgés et ils me regardent du coin de l’œil. Leurs compagnes beaucoup plus jeunes sont charmantes, notamment une petite brunette qui me dévisage effrontément. Alors qu’ils passent devant moi elle s’arrête pour demander : « Est-ce que je peux vous embrasser ? »Et devant mon air ahuri elle ajoute dans un sourire désarmant : « Mon père aussi était ouvrier » L’étreinte est brève mais chaleureuse. Je la regarde sortir avec émotion.
- J’appelle le SAMU ou tu vas tenir encore un peu.
Je préfère rester stoïque devant une telle marque de jalousie.
- Dit moi une chose Roger : Pourquoi des types plus vieux et plus moches que nous sortent-ils avec de si jeunes et jolies filles ?
Mon ami d’enfance ne réfléchit même pas. Il pose sa bière pour frotter son pouce contre son index dans ce geste universel pour représenter le fric.
- Mais tu devrais essayer avec ton arme, cela à l’air efficace.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Y aurait-il du Saint-Just dans ce Martin-là ?

Anonyme a dit…

Dis, tu devrais vraiment avoir un système de newsletter, je n'en reviens pas d'avoir raté cet épisode, je l'adore !!! :-))))))))

Bravo louis ! (et bravo Martin !)

Anonyme a dit…

Ah, et puis super titre, aussi !! :-))))

Le Parcheminé a dit…

C'est aussi : "Martin contre la lutte des crasses".