jeudi 21 juin 2007

N°21. Un coup gagnant.

- Martin, tu devrais ralentir un peu sur la boisson, croit moi.
Je connais ce refrain que me chante régulièrement Roger le patron de mon bar de nuit préféré.
- Et comment tu gagnerais ta vie, imbécile ?
- Je vends des jus de fruits tu sais ? Et même du café, tu veux un café ?
Je hausse les épaules, et sans lui répondre je lui tends mon bock vide.
- Depuis combien de temps ne t’ai-je pas vu avec une petite femme charmante, combien ?
- Tu oublies Pauline. Il rugit, « Pauline parlons en, elle avait encore plus bu que toi, ce qui représente en soi un exploit. Elle est où d’ailleurs ta Pauline ?
- Elle m’a quitté, et je suis malheureux, alors je bois.
- Arrête ton cinéma Martin, je te connais trop. La Pauline aussi d’ailleurs, elle ne t’a pas quitté, elle a tout simplement oublié ce qui c’était passé entre vous. Au-dessus de cinq grammes dans le sang, la mémoire flanche.
Je ne daigne pas lui répondre et il me ressert avant de changer de coin pour aller discuter avec un autre groupe afin de me montrer sa désapprobation. Mais je n’en ai rien à foutre de son opinion, même si je sais bien qu’il a raison. Jusqu’à minuit, une heure, je bois raisonnablement, toujours dans l’espoir d’une rencontre amoureuse, après, j’accélère. Et là, il est bientôt trois heures alors ça carbure sec. Et elle entre, elle, elle la beauté pure, la beauté vraie, le genre de beauté que l’on attend toute sa vie.
Mais qu’on attend avant minuit, merde !
Je fais un signe discret vers Roger :
- Fais-moi donc un café.
Comme tous les clients, il a suivit la femme du regard, et il me jette entre ses dents :
- Martin, n’y pense même pas. Tu vois le type qui est avec elle ?
Evidemment que je l’ai vu, qu’est-ce qu’il peut être con parfois ce Roger. Faudrait être miro pour ne pas voir cet avorton qui se pavane au bras de la belle.
- C’est qui ce tordu ? Jamais vu dans le coin. Il sort d’où, du zoo ?
Roger ne rigole pas et sans réfléchir, il me sert une nouvelle bière. Il est drôlement troublé.
- Il sort de taule, c’est un dur. Il a tué un mec dans un bar.
- Ben merde, qu’est-ce qu’il fout Sarko ? Un tueur qui revient sur les lieux de son crime, j’ai peur ! Et elle c’est sa régulière, qui l’a attendu gentiment pendant toute son incarcération ?
- Tout juste, alors fait pas ton mariolle.
Ben, je vais me gêner, je descends de mon tabouret qui me semble être plus haut que lorsque j’y suis monté, et je m’avance vers leur table. Je me penche vers la jeune femme, ignorant totalement l’autre pas beau :
- Alors chérie, tu ne dis plus bonjour ? Tu as déjà oublié l’autre nuit ? Un mois, ce n’est pas si long pourtant.
Tout en dévorant des yeux cette beauté, je regarde discrètement les mains de l’homme, et je les vois blanchir aux jointures, il serre les dents et se contrôle admirablement. Je me redresse avec mon air le plus niais :
- Bon, excusez-moi, j’ai dû faire une erreur. Et je regagne mon perchoir pour observer la suite. Je retrouve mon Roger qui a l’air aussi tendu qu’un coureur de 100 mètres dans l’attente du signal.
- Tu es givré Martin, qu’est-ce que tu as été raconter à cette pauvre fille ?
- Tu sais qu’elle est encore plus belle de près ?
- Mais tu es malade, ce type est un tueur. Regarde sa veste, je suis sûr qu’il porte une arme.
Tout en me parlant il ne quitte pas le couple des yeux. D’ailleurs tous les derniers clients regardent ce couple, parce que ça discute ferme à leur table, il y a de l’explication dans l’air. Le mec est tout rouge maintenant tandis que la beauté remue la tête en signe de dénégation. Et soudain, il se lève et la gifle violemment. Silence dans le bar je veux bondir, mais Roger est déjà contre l’homme, un nerf de bœuf à la main :
- Dehors.
Il m’épate le gros, sans élever la voix, il vient de calmer l’autre minable, la grande classe. Pendant que le type sort, je m’assois à la table pour prendre les mains de la fille qui pleure doucement. Elle me repousse violemment.
- Vous êtes fou, qu’est-ce qui vous a pris ?
- C’est pour ton bien, ce type est une merde, tu n’allais pas gâcher ta vie avec lui. Elle me regarde avec ses yeux à renverser le monde, elle va parler, mais elle se rend compte de l’immensité de ma connerie et elle détourne la tête. Je rejoins mon coin où Roger m’attend avec une nouvelle bière fraîche.
- La dernière, je ne veux plus te voir ici.
Je veux protester lorsque l’autre malade refait une entrée triomphale dans le bar. Il a une arme à la main et la clientèle roule dans la sciure. Il s’avance vers la fille, mais au moment où il va tirer, je lui colle derrière le crane, un coup de ce merveilleux plateau plombé qui fait la fierté de Roger. Je l’ai saisi à deux mains, et ai frappé comme un revers au tennis. C’est un coup gagnant, et le mec se vautre au sol sonné pour le compte. Roger désarme le type avec aisance avant d’appeler les bourres. Il me regarde avec le sourire :
- Toi, tu viens de gagner le droit de revenir…mais, à l’essai, hein, à l’essai.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Servi sur un plateau !
Et la fille, au fait… Coup perdu ?

Le Parcheminé a dit…

Ce texte là, je l'adore. Je ne sais pas pourquoi, mais je l'adore.

Eloïse a dit…

Hey ! Il me surprend ce Martin ! Pour une fois qu'il ne sort pas sa lame !!