dimanche 25 septembre 2016

37. Claire raconte.

Arobase comprend le message et n'en semble pas froissé. J'imagine que l'apéro chez le Basque n’est pas étranger à sa réaction. Il sort très digne, non sans me jeter un petit regard en coin plein de sous entendus. Je boirai son café ! Claire reviens dans le salon avec les tasses.

  • Vous n'avez pas remplacé Jonas ?
Elle ne me répond pas et prend son temps pour me servir. Je la laisse faire sans me priver de la regarder avec gourmandise. Elle me surprend en attaquant d'une voix douce :
  • Rigaux venait souvent chez nous quand j'étais petite. Ils avaient avec mon père des discutions passionnées. Je me cachais en haut des escaliers pour les écouter.
  • Ils parlaient de quoi ?
  • Oh, mais de tout. Mais ils revenaient toujours à l'Algérie.
  • Mais, c'était vers quel époque ?
Elle semble réfléchir :
  • Je suis née en 69 et je pense avoir mes premiers souvenirs de Rigaux vers 74,75. Mais, j'ai commencé à comprendre de quoi ils parlaient vers les années 80. Quand mon père est mort, Rigaux a été très présent. Il a beaucoup aidé ma mère et nous aussi. Un peu plus tard, il m'a présenté mon mari. Avec sa bijouterie de luxe, il fréquente beaucoup de monde.
  • Mais votre histoire ?
Elle sourit :
  • Cela vous intéresse, hein ? Cela s'est fait plus tard, et tout naturellement. Pas le grand amour, non, mais une passion heureuse.
  • Une passion heureuse ?
  • Oui, je crois que c'est le terme exacte.
  • Et votre mari ?
Elle hausse les épaules avant de nous resservir. Elle se lève pour venir s’asseoir près de moi.
  • Nous sommes un couple, comment dire ? Libéré, voilà, c'est ça. Il a, lui aussi beaucoup d'aventures.
  • Il a surtout beaucoup de fric.
Putain, mais pourquoi ais-je sorti cette bêtise ? Immédiatement je me mords les joues, mais déjà elle se raidit pour me jeter un regard noir :
  • Pauvre petit puritain étriqué. Votre vie de couple est-elle radieuse ?
Ah, la vache ! Elle frappe là où ça fait mal. Je ne pensais plus à Emma, je me croyais guérit !
  • Excusez-moi, j'ai parlé trop vite. Alors ? L’Algérie ?
Elle hésite et je crois que l'entretien est terminé, mais, non, elle me répond :
  • Au début, je ne comprenais pas grand chose, mais avec l'age, et plus tard...Elle me jette son petit regard d’allumeuse : sur l'oreiller, j'ai recueilli plus d'information. Vous saviez que Rigaux était une petite frappe lorsqu'il vivait en Algérie ?
Et doucement, de sa voix chaude qui m’envoûte, elle me raconte comment Rigaux avec l'aide d'Ali s'est formé aux petits trafics et au métier des bijoux. Elle rit franchement : « C'est drôle, non, de le voir en joaillier embourgeoisé aujourd'hui ? » J'en conviens aisément.
  • Mais pourquoi revoyait-il votre père ?
  • Vous connaissez des gens qui ont fait l'Algérie ?
Comme je lui répond que non, elle m'explique que tout cela est une histoire de gamins unis par la peur, les magouilles et le souvenir de leur jeunesse.
  • Parlez-moi de ce que vous appelez des « magouilles ».
Elle me sourit avant de redevenir grave pour me répondre qu'il s 'agissait essentiellement d'un trafic de pierres précieuses.
  • Des diamants d'Afrique du Sud en général.
  • C'est Rigaux qui vous a raconté tout ça ?
  • Oh, Rigaux bien sûr et mon père aussi. Il nous disait souvent qu'il allait toucher le « pactole » c'était son mot ça, « Le pactole » ce que ça pouvait énerver ma mère. Elle l'accusait souvent de tout dépenser avec « l'autre ». C'était des disputes épiques. Je me réfugiais dans la chambre de mon frère. Elle allume une cigarette le regard vague : On s'entendait bien à l'époque. En tout cas, j'ai été plutôt contente de rejoindre la pension.
Tout ce qu'elle me raconte me trouble. Cet histoire de trafic m'ouvre de nouvelles perspectives.
  • J'en sais bien plus que vous sur toute cette affaire.
  • Dites moi ce que vous savez.
Je ne sais pas si je me fais des illusions, mais il me semble qu'elle se rapproche de moi imperceptiblement :
  • Je sais surtout que Rigaux vouait une admiration sans limite à ce jeune trafiquant. « Il m'a prit sous son aile alors que je n'étais qu'un traîne savate proche de la prison. Il m'a tout appris. Il est mort beaucoup trop jeune » me disait Rigaux lorsqu'il me parlait d'Ali.
  • Ouais, on peut dire qu'il a réussi votre ami. C'est un notable aujourd'hui.
Elle rit et je n'ai pas rêvé, elle est vraiment très prêt de moi, maintenant.
  • Ali, mon père et Rigaux...
  • vous l'appelez toujours Rigaux ?
Elle s’arrête net :
  • Je n'aime pas son prénom.
Elle n'en dit pas plus, et je dois vérifier ma fiche pour trouver une explication à son attitude : Eugène Rigaux. Un prénom peu glamour, il faut bien l'admettre. Mais déjà, elle enchaîne :
  • Ali et Rigaux avaient réussi à se mettre un joli petit magot de coté avec leurs trafics. Tout en pierres précieuses. Pour des raisons pratiques, car les pierres sont plus faciles à cacher. Guérin leur a conseillé de quitter l’Algérie. Il sentait venir la victoire du FLN. Alors nos deux petits marlous ont préparé leur fuite, mais il leur fallait une aide pour faire passer les diamants en métropole et en toute sécurité.
  • Votre père ?
Elle pose sa main sur mon genou et j'ai un petit frisson. Je voudrais bien vous voir dans cette situation. Mais ce que me raconte Claire, est trop important pour que je me laisse distraire.
  • Oui, mon père. C'est lui qui a ramené le petit magot.
  • Et c'est ce qui a causé tout cela.
Elle me jette un regard interrogateur :
  • Que voulez vous dire ?
  • Hé bien, voilà que l'on se trouve avec trois morts dans un chantier, deux crimes non résolus et quelques disparus, et vous me demandez ce que je veux dire ?
Elle semble réfléchir avant de m'expliquer qu'elle ne voit pas de rapport.
  • C'était des magouilleurs, mais avec un certain sens de l'honneur. Mon père a touché une part du magot, avec laquelle, d'ailleurs il a pu acheter son garage et comme Ali était mort, Rigaux a fait parvenir à sa veuve la moitié du pactole.
Je reste septique, j'aurais bien besoin de Garnier, pour vérifier ce genre d'information.
  • Dites moi plutôt pourquoi Rigaux a fait assassiner les deux gamins et le fourgue.
Elle bondit du canapé en se récriant :
  • Mais il n'a jamais désiré cela. Il ignorait d'ailleurs que ces trois petites frappes étaient mortes.
  • Mais alors, qui a voulu nous tuer, ou tout au moins, nous compromettre dans ces meurtres ?
En prononçant cette phrase, j'en devine immédiatement la réponse, mais ne peux raisonnablement pas l'admettre. Je sais maintenant que je ne finirai pas dans le lit de Claire, il me faut immédiatement retrouver Michel.

4 commentaires:

DAN a dit…

Ah parfois les enquêtes ont leurs exigences, tant pis pour Martin. Sinon du sais manier le suspens en finissant le récit sur une interrogation, c’est du travail de pro ça !
Aller au plaisir de lire la suite !

phyll a dit…

ben voilà....... il va s'la mettre sur l'oreille !!!... :o)

Louis a dit…

Voyons voir, Martin a du mal avec les femmes, on dirait. CA sent le vécu, vous ne pensez pas ?
sinon, merci Dan pour le compliment (tu as besoin d'argent ?)
Allez, la bises les jeunes.

DAN a dit…

... on a TOUJOURS besoin d'argent alors voici le numéro de mon compte le ...