dimanche 28 août 2016

34. Garnier m'écoute.

Je suis ravi de me retrouver au Bon Cru, même si Garnier assis en face de moi a sa mine des mauvais jours. Heureusement le patron a un nouveau petit blanc, qu'il nous sert avec gourmandise. L'atmosphère se détend imperceptiblement.

  • Michel n'est pas venu ?
  • Non, l'affaire s'emballe, il faut être de partout.
Je ne vais quand même pas raconter comment mon pote a répondu à mon invitation :
  • Manger avec un flic me donne des boutons. Va te faire engueuler, puisque tu aimes cela.
Je n'ai pas insisté, sachant que de son coté, Garnier n'apprécie pas trop Michel.
  • Laisse moi te raconter où nous en sommes de notre coté. Il sourit avant d'ajouter: Vos méthodes d'investigations sont trop... Il hésite : Disons, « rock and roll » et elles défrisent mes collègues. N'empêche que l'idée de faire une petite investigation du coté de Paul Rigaux le bijoutier était plutôt judicieuse. Il se penche vers moi complice et en baissant la voix ajoute : J'ai fait en sorte de faire croire à mes collègues que l'idée venait d'eux et cela a crée une dynamique plutôt positive. Ce type, Rigaux est né en Algérie du coté d'Oran dans les années 40. Fils de métayer, il a fait quelques études. Il est même venu en pension en France pendant quelques années. Mais, lorsque son père s'est retrouvé handicapé après un gros malaise cardiaque, le colon pour lequel il travaillait l'a fait revenir illico sur le domaine.
Comme j'ai l'air surpris, il m'explique :
  • Apparemment, cela ne rigolait pas en Algérie à cette époque : Le colon décidait de ta vie d'un claquement de doigt. Il n'y avait pas à discuter, et le jeune Rigaux est revenu fissa sur le domaine pour travailler
  • C'était chez Guérin ?
Garnier est surpris :
  • Pas du tout, tu te crois chez Agatha Christie ? Non, il s'agissait d'un domaine agricole dans les environ d'Oran. Toujours est-il que le jeune homme qui avait beaucoup d'ambitions pour sa petite personne, s'est plié aux exigences patronales, mais il en a gardé une rancœur tenace et au bout de quelque mois, il a déserté le domaine pour rejoindre Oran où il avait de la famille. Plus question de reprendre ses études et son acte de rébellion avait fait de lui un pestiféré question embauche, alors il a rencontré Ali un petit magouilleur qui vivait allègrement de la guerre. La présence de toutes ces troupes sur le sol Algérien permettaient tout les trafics, cigarettes, femmes, etc...
  • Et les pierres précieuses.
Nos quenelles gâteaux de foie refroidissent dans nos assiettes, au grand dam de Philippe et de son cuistot.
  • Merde, les gones, c'est pas la peine que l'autre grand dépendeur d'andouille y se décarcasse si c'est pour y laisser refroidir.
Je regarde le cuistot…. ce grand géant tatoué qui nous observe tout dépité et j'ai honte, alors j'attaque ma quenelle sans oublier de relancer Garnier sur les bijoux.
  • Oh, c'est bien simple, Rigaux a beaucoup appris avec Ali. Et il s'est fait des relations et quand les colons ont senti le vent du boulet, ils ont voulu placer discrètement leur fric et quoi de plus simple que des pierres précieuses. Alors, petit à petit, Rigaux qui est un sacré futé a appris le trafic de pierres, mais pas que. Il a carrément appris tout ce qu'il y avait à savoir sur les bijoux et le métier. Ce qui lui a permis dés que la situation est devenu dangereuse...
  • La mort d'Ali ?
  • Oui, le FLN avait un œil sur tous ces trafics mais il ne fallait pas trop pousser. Alors, la situation devenant trop dangereuse, Rigaux est venu en France. Il s'est installé à Lyon et a trouvé rapidement du travail.
  • Honnête ?
  • Apparemment oui. En tout cas nous n'avons rien contre lui dans nos archives. Mais, il est chanceux ce type. Le bijoutier qui l'a embauché, s'est pris d'amitié pour ce jeune garçon. Il l'a chouchouté et Rigaux a pu apprendre toutes les ficelles du métier. Jusqu'à devenir une sommité dans son domaine.
Il repousse son assiette et se cale confortablement au fond de son siège :
  • A toi, maintenant, raconte.
Je me sers un petit verre pour me donner du courage et lui déballe toutes nos recherches au sujet de la disparition de Pierre Marchand. Je n'omets rien : Toute notre remontée dans le temps, les meurtres de 81 et la guerre d'Algérie. Au bout d'un moment, il m’interrompt :
  • Je te rappelle que nous, modestes policiers, n'avons rien à faire de la disparition de ce type. Nous travaillons sur le meurtre des trois clampins dans un entrepôt désaffecté. Alors ton Marchand...
Il fait, en disant cela, un geste explicite de la main. Je connais son argumentaire mais, je n'en ai cure :
  • Je n'ai pas terminé. Pour nous, toutes ces affaires sont liées.
  • Liées ? C'est une blague ?
Je sais bien que je m'avance un peu avec ce genre d'affirmation, mais je profite du fait que je suis seul pour tester mes hypothèses. Et à quel meilleur interlocuteur pourrais-je proposer mes idées fumeuses ? Pour moi, maintenant, plus de doutes : Toute ces affaires prennent leurs sources dans ce domaine de la plaine de la Mitidja dans les années 60. Pour l'indépendance de l'Algérie, pour Alice ou pour des bijoux, qu'importe. Il nous faudrait retrouver Ogier, mais cela tient du doux délire. Garnier ne manque pas de me le rappeler :
  • Il y a encore trop d'inconnu dans tes élucubrations. Mais je veux bien entendre ton hypothèse pour le massacre de l’entrepôt : Ce Rigaux essayant de vous abattre en faisant passer cela pour un règlement de compte entre petits délinquants est intellectuellement plutôt séduisant. Nous n'avons aucune piste concernant ce Jonas, mais son casier judiciaire ne parle pas en sa faveur. Tu me tiens au courant ? Je te rappelle que c'est la seule condition à votre tranquillité.
Je souris mais il m'explique qu'il me parle très sérieusement.
  • Tu n'imagines pas à quel point mes gars vous détestent.
  • On est trop fort pour vous.
Il se lève, ne prenant même pas la peine de réagir à ma petite provocation minable.
  • J'ai du travail. Je compte sur toi Martin.

4 commentaires:

DAN a dit…

Petit à petit les pièces du puzzle prennent place et on commence à deviner l’image finale, oui je sais ce commentaire fait un peu bateau, mais c’est vrai quoi !

phyll a dit…

et voilà..... je lis et moi aussi je vais manger froid !!!...

Louis a dit…

Et, une quenelle froide, c'est pas la joie !
Bon, les Havrais, toujours fidèles, c'est sérieux, même si ce pauvre Dan a pris un peu le "melon" depuis FR3... Il prétend déjà entrevoir la fin de l'histoire...

DAN a dit…

Non non Louis je n'ai pas pris le "melon", mais le canotier nuance...
http://gede-de-le-havre.blogspot.fr/