samedi 11 juin 2016

28. Ogier vivant ?

Raymond Prieur est plutôt une bonne surprise pour nous : Un petit rondouillard souriant et l’œil vif, voilà ce qu'il nous manquait depuis le début de cette affaire. Il nous a donné rendez-vous au « Métropole» un bar « chic » de la presqu’île. Le genre de lieu que nous ne fréquentons pas. Le rendez-vous des minets Lyonnais. « Tous ces petits bourges me débectent me souffle Michel » qui s'est montré réticent à venir avec moi. Il faut dire que le lieu est impressionnant. Cadre art déco, lourdes tentures et plafonds à la française. A cette heure de la matinée les gens déjeunent en lisant leurs journaux. Michel râle :

  • Y'a même pas de comptoir !

C'est sûr, ce n'est pas le style de la boutique. Michel continue :

  • Je vais me commander une andouillette et un pot de Mâcon, ça va les calmer ces bobos.
  • Arrête un peu ton cirque et concentre toi sur l'interrogatoire.

Ce grand adepte de méthode Américaine me décoche un grand sourire :

  • Ne te bile pas, je suis chaud là. Et comme je n'ai pas particulièrement l'air rassuré il me balance une bonne tape dans le dos : Sa « spéciale côtes fêlées » « Rassure-toi, je prendrai un café. Christophe est revenu. »

Je n'ai pas le temps de réagir à ce qu'il vient de m'annoncer puisque Prieur se lève pour nous saluer. Arobase, qui était chargé de récupérer notre témoin et que je n'avais pas vu, fait les présentations. Nous nous excusons de ce retard et Prieur sourit :

  • Vous étiez à Nyons, m'a-t-on dit. Vous avez rencontré la mère Guérin ?

Nous sursautons :

  • Vous connaissez madame Guérin ?

Cette fois il rit franchement :

  • La belle affaire, tous ceux qui ont été faire les « gardes-chiourme » à Maison Blanche l'ont connu cette vieille peau. Comment va-t-elle, d'ailleurs.

Nous nous abstenons de toute remarque et il continu :

  • En fait, le domaine était à Sidi Mahfoud en plein centre de la plaine, mais pour les petits blancs le nom était maison blanche. Il sourit, « C'est comme ça ! », Vous voulez des infos sur nos deux morts Garde et Maboso ?

  • Vous semblez bien au courant.
  • Je vis au Brésil, pas sur la lune, faut pas exagérer.

Il est vif, le vieux. D'ailleurs, ses yeux pétillent et il reste rigolard, malgré le sujet.

  • Deux connards, il n'y a pas de doute.
  • Vous ne les aimiez pas ?
  • Mais, putain, personne n'aimait ces deux tocards. Toujours à lécher le cul des gradés ou des colons. Fallait les voir à la ferme. Ils paradaient comme des pantins, le PM bien en évidence, bombant le torse devant Alice. Ah, Alice...

Nous nous regardons, Michel et moi. Tout le monde, dans cette histoire, nous parle d'Alice. Elle doit tenir une place importante dans cette histoire pourtant j'aimerais que Prieur nous en dise plus sur ses compagnons de l'époque.

  • On parlera de la fille plus tard, revenez plutôt à vos camarades et à votre Algérie.

Prieur a l'air contrarié, mais cela ne dure pas :

  • Oh, l'histoire banale des jeunes de cette époque. J'étais étudiant à Strasbourg et sursitaire. J'ai longtemps espéré couper à cette guerre, mais cela n'a pas été le cas. J'ai rejoins la troupe début 61, enfin, disons en Mai, après le putsch des généraux. Cela sentait déjà le roussi. Il n'y a que ces connards de militaires qui ne voyaient pas l'issue inéluctable de ce conflit. Les militaires et les petites gens. Parce que les vieux renards comme Guerin avaient déjà tout anticipé. Il avait mit en place tout un réseau lui permettant de vendre à bon prix et à l'abri du fisc Français son patrimoine et ses terrains

Idriss nous avait déjà parlé de cela mais cela faisait un choc de l'entendre encore une fois.

  • Avec Ali vous voulez dire ? Guérin trafiquait ?
  • Évidemment qu'il trafiquait

Là, on se dit que l'on va entrer dans le vif du sujet. Prieur semble être un bon client qui va peut-être nous faire oublier tous ces morts, séniles ou amnésiques qui jonchent notre enquête depuis trop longtemps. Même Arobase, pourtant pas trop au fait de cette affaire semble remué. Michel, lui, est complètement retourné, il choppe un serveur au passage :

  • Met nous un pot de blanc.

Le type a un léger sursaut et tout en jetant un discret coup d’œil vers la pendule, il fait signe qu'il s'en occupe. Prieur semble bien s'amuser :

  • Je n'aurais pas dû vous donner rendez-vous ici, c'est trop « pouet pouet ». Mais, un pot de blanc, c'est une bonne idée.

Finalement, on a fait défiler les pots de blanc, jusqu'à être forcé de manger entourés d'avocats, notaires et autres sportifs de haut niveau. La grande attraction, quoi. En fin de journée, j'ai un putain de mal de tête, qui n'est pas dût seulement au blanc. Prieur s'est montré très disert sur son séjour en Algérie et je ne désire que me mettre au lit afin que tout cela mûrisse. Et c'est vrai que tout cela doit mûrir. Prieur était un de ceux qui était au plus près de l'action lors de l'accrochage qui a vu mourir Didier Chapet.

  • Vous étiez avec eux au poste avancé ?
  • Presque, c'était mon tour, mais Garde, au dernier moment, a décidé de limiter le groupe à 4. Il avait une idée en tête, c'est sur.
  • Comment ça, une idée en tête ?

Prieur nous a considéré longuement. Pas besoin d'être grand clerc pour deviner ce qu'il pensait de notre incapacité crasse. J'avais honte face à ce vieil homme. Nous devrions quand même nous renseigner un peu mieux sur l'Algérie. Mais Prieur avait cette histoire sur le cœur depuis trop longtemps pour s'arrêter à de si pauvres considérations. Il avait peut-être face à lui les derniers des nazes, mais il devait parler :

  • Garde et Maboso n'aimaient pas les deux autres. Ils avaient sur l'avenir de l'Algérie des opinions totalement opposés. Mais, il n'y avait pas que cela...
  • Alice ?

Prieur a un sourire songeur :

  • Oui, Alice. Alice qui du simple fait de sa présence déclenchait les passions.
  • Vous l'aimiez ?
  • Mais tout le monde l'aimait, je n'étais pas le seul. Enfin, cela faisait beaucoup de raison de s'affronter et justement, ce soir là, Garde, avait décidé d'en finir et de régler tous ces passifs. Il a tué Chapet et Ogier l'a blessé.
  • C'est Maboso ou Garde qui vous a raconté tout cela ?
  • Vous plaisantez ? Je ne parlais pas à ces connards et de toute façon, l'autorité militaire nous a rapatrié en catastrophe, chacun séparément.

C'est Michel qui a réagit le plus rapidement :

  • C'est Ogier qui vous a raconté tout cela ?
  • Oui, Ogier en personne.

Et boom ! Trompette, tambour et clairon.

5 commentaires:

DAN a dit…

Eh bien voilà, suffit de tomber sur un bavard, et tant pis pour le décor, c’est le personnage qui compte ici, alors vivement la suite !
(j'fais gaffe à ce que je dis maintenant des fois que...)

Louis a dit…

Ici, on peut dire ce que l'on veut, question éloges bien sur.
Le témoignage de Prieur ne devait apparaitre que plus tard, mais j'ai tellement coupé, recoupé, remanié cette histoire que je me suis un peu mélangé les pinceaux !!!
Pourvu que personne ne voit trop les invraisemblances

DAN a dit…

Ah c'est ça la création, on fait défait refait redéfait, on n'est jamais content du résultat, pourtant quel boulot l'écriture !

phyll a dit…

mais non mon gone !!.... point d'invraisemblances ici !!!.... nous savons que tout est vrai !!!.......

Louis a dit…

Ah bon, j'ai eu peur de vos remarques acerbes !!!
Courage les petits y'a encore des rebondissements (enfin, je crois)