samedi 4 juin 2016

27. Maryam

J'ai quand même tenu à rencontrer Maryam, malgré les a-priori de mes comparses. La vieille employée ne tient pas à me parler et me le fait savoir sèchement. J'ai pourtant prudemment attendu qu'elle quitte la maison pour essayer de l'interroger, mais malgré le fait que nous nous retrouvions en tête à tête tous les deux, elle reste muette. Nous sommes à quelques kilomètres du domaine, devant une jolie petite maison blanche aux volets verts, entourées de champs de lavande. Une vraie carte postale. J'ai d'ailleurs, en attendant Maryam, pris quelques photos avec mon nouveau smartphone.

J'ai maladroitement abordé l'employée, puisque à mon : « J'ai parlé avec votre mari » elle m'a répondu sèchement : « Je sais. » avant de s'engouffrer chez elle sans rien ajouter. Je me retrouve, à la tombée de la nuit, sonnant désespérément à une porte qui reste close. « Comme un con » dirait Michel, toujours très observateur. Je décide de m'asseoir sur le seuil de la maison. C'est dans des moments comme celui là, que l'on regrette amèrement d'avoir arrêté de fumer. Déçu, je vais rentrer, quand la porte s'entrouvre doucement.
  • Vous êtes un tenace, vous.
Malgré sa contrariété évidente, Maryam sourit et s'écarte légèrement. Je reste assis ne sachant quelle attitude adopter, de peur de mal faire et de la froisser.
  • Bon, qu'est-ce que vous attendez ? Vous entrez ou je dois appeler la police ?
Allez comprendre ! Dix minutes plus tard je me retrouve installé au salon dans l'attente d'un thé. La pièce est grande et claire, décorée avec goût , malgré l'inévitable tableau représentant le pèlerinage à La Mecque. Maryam, revenant de la cuisine avec une théière fumante, et me voyant devant l'horreur explique :
  • Un cadeau de famille. Pour notre mariage. Intouchable.
Je souris, manière de dire que je comprends.
  • Vous savez, je ne vous demande pas de me révéler des secrets, mais de m'éclairer un peu. J'aimerais comprendre comment on vivait sur le domaine, en Algérie. Guérin, la guerre, Alice.
A ce dernier nom, elle baisse la tête et ses yeux s'embuent.
  • Idriss a dû vous dire tout ce qu'il y avait à dire.
Elle me sert le thé et je regarde mieux ce visage plein de noblesse malgré les marques de l'age et de la fatigue. Je sais ce que je veux apprendre d'elle et compte bien ne pas repartir sans avoir entendu sa réponse.
  • Idriss était absent pendant la guerre. J'aimerais que vous me parliez des militaires Français. Vous vous souvenez d'eux ?
Elle semble se perdre dans ses souvenirs et je crois qu'elle ne me parlera plus quand elle reprend :
  • Quand le FLN à commencé ses actions, j'avais 11 ans. Mes parents et leurs amis ne parlaient évidemment que de cela. J'aimais les écouter pendant ces longues soirées. J'étais très intéressé par ce monde d'adulte. Il fallait me gronder et me menacer de punition pour que je consente enfin à rejoindre mon lit. Puis ma mère a commencé à m'amener avec elle chez les Guerin, qui eux aussi ne parlaient que de cela. J'ai grandis vite il me semble. J'étais une jeune fille très curieuse, et je furetais partout.
Elle a un sourire mi gêné, mi coquin.
  • J'ai un jour surpris une conversation acharnée entre quelques gros colons. Guérin, seul contre tous, défendait l'idée que l'Algérie était perdue pour les Français et qu'il fallait songer au départ.
  • Et vos parents ? Qu'en pensaient-ils ?
Elle prend le temps de souffler sur sa tasse, avant de me répondre :
  • L'époque était très troublée... Et confuse. Mon père était plutôt un partisan du MNA. Vous savez que les relations entre les deux formations étaient plutôt tendues ?
  • « Plutôt tendues » est un doux euphémisme. La lutte était féroce, on parle de 4000 morts, rien qu'en France.
  • En 57, à Mélouza, dans le Constantinois, tout un village a été massacré. Le choc a été terrible et mon père, par prudence, a alors pris ses distances avec le MNA, tout en restant toujours méfiant vis à vis des gens du FLN.
Je n'en reviens pas que nous soyons en train de parler, Maryam et moi de la guerre d’Algérie. Elle se lève pour aller jusqu'au grand bahut qui trône contre le mur opposé. Elle revient s'asseoir près de moi, un album photos à la main.
  • Voilà mon père.
Elle me montre un bel homme qui se dresse fièrement face à l'objectif.
  • Il a belle allure.
Elle reste rêveuse devant la photo. Je respecte son silence tout en me disant que je n'avance pas trop vite du coté de mon enquête. Au bout de quelques secondes elle semble s'ébrouer :
  • Pour ce qui est de votre question au sujet des militaires Français, ma réponse est : Oui, je me souviens très bien de ces jeunes gens. Comment en serait-il autrement ? J'avais le même age qu'eux et...Elle baisse la voix... »Certains étaient très beaux »
Je profite de ce moment de confidences pour sortir les photos des protagonistes qui nous intéressent. Avant que je ne prononce le moindre mot, elle pose son doigt sur le portrait de Didier Chapet :
  • Lui, c'était mon héros
  • Votre héros ?
Elle ne semble plus du tout gênée maintenant. Tout à ses souvenirs, elle parle sans retenue :
  • Je suis une vieille femme aujourd'hui, je peux parler de mes émois de jeune fille. Didier était si beau...
Je jette un œil sur la photo, me disant que tous les goûts sont dans la nature. Mais Maryam continue :
  • Il n'était pas seulement beau, il exerçait sur chacun une fascination extraordinaire. Elle se tait avant d'ajouter « Et il voulait l'indépendance de l'Algérie, et c'est comme cela que je l'ai connu. »
  • Comment cela ?
  • Il cherchait des moyens de contacter des gens du FLN.
Je découvre qu’imperceptiblement, son visage s'éclaire à l'évocation de ce passé lointain. Elle sourit devant mon air perplexe :
  • Idriss qui me faisait la cour, avait rejoint les maquis du FLN, ce qui, entre parenthèse, n'arrangeait pas ses relations avec mon père, qui n'était pas du tout dans cette mouvance, et qui de toute façon avait d'autres projets pour moi. Elle s’arrête songeuse : « Un lointain et vieux cousin » Quoi qu'il en soit, Idriss, dés que cela était possible venait me rendre visite en cachette et je lui ai présenté les jeunes soldats.
  • Les ?
  • Oui, ils étaient quelques uns à vouloir déserter.
Je suis surpris, et je sors toutes les photos que je trimbale avec moi. Maryam les reconnaît toutes, mais me montre plus précisément celle d'Ogier, notre « disparu » :
  • Ces deux-là étaient inséparables.

Ce soir nous rentrons sur Lyon pour rencontrer Raymond Prieur. Nous sommes plein d'espoir. Ce vieux-là, semble en forme d'après les dires d'Arobase et Lucien. Dans la voiture Joël échafaude les théories les plus folles jusqu'à ce que Michel lui demande de fermer sa gueule.
  • Tu ne roules pas trop vite ?
Sans répondre, il accélère tandis que la pluie se met à tomber. Je repense à tout ce que m'ont dit Idriss et Maryam. D'après Idriss, Guerin qui avait anticipé d’inéluctable victoire du FLN, avait tenté d'ouvrir des négociations avec les combattants. En vain. Il fut, alors, contacté par un jeune trafiquant Algérien lui proposant de céder des parcelles de son domaine. Guerin, qui était un rusé, n'avait pas confiance en la monnaie et ne voulait pas être trop voyant vis à vis du fisc Français. Un Commerçant , quoi. Alors avec l'aide de ce petit truand il s'est fait payé en pierres précieuses. Je me tourne vers Joël, qui, écouteurs sur les oreilles écoute mon enregistrement :
  • Dis-moi, vieux, qu'est-ce que tu penses de cette histoire de pierres précieuses ? Michel a un mouvement d'épaule qui manque de nous envoyer dans le fossé, mais je n'en ai cure et attends que Joël me donne son avis. Comme dab il réfléchit longuement avant de répondre. Paulo qui manque de patience me répond sans hésiter :
  • C'est bien possible,mais n’espère pas faire le lien avec notre affaire de diamant. De toute façon son contact en Algérie est mort.
Il est exacte que Ali, le petit voyou a été abattu par les gens du FLN qui ne rigolaient pas avec ce genre de tripatouillage.
  • Oui, mais l'autre ?
  • Le jeune bijoutier ? On sait peu de chose sur lui. Idriss et Maryam ne l'on jamais vu. C'est peut-être un mythe ce type là.
  • Une légende urbaine ?
Nous rions en plein brouillard. Michel ralentit pour négocier la bretelle de l'aire de repos qui brille dans la nuit. Nous nous égayons dans la station service, les yeux blessés par toutes ces lumières criardes. J'essaye d'avaler un café brûlant quand Michel me pose la main sur l'épaule :
  • Et la fille Guerin, tu ne crois pas que c'est une piste bien plus judicieuse que ton diamantaire ?
Il est vrai que les deux employés de maison nous ont raconté comment Alice avait toute une cour de prétendant. Maryam nous a même précisé que la jeune femme était follement amoureuse de Didier Chapet. Comme les jeunes soldats en pinçaient tous, peu ou prou pour la demoiselle, la situation était électrique dans le bataillon.
  • Un drame de la jalousie, 20 ans plus tard ? Je n'y crois pas un instant.
  • De toute façon, pour un meurtre, il n'y a pas mille raison. L'amour ou le fric, c'est écrit.
J'aime beaucoup les certitudes de mon pote :
  • Allez, chère loque, en voiture.

6 commentaires:

DAN a dit…

Que voilà un « interrogatoire » des plus courtois, on n’a connu pire, bon l’enquête avance à petits pas, certes, mais avance quand même. En tous cas on en apprend sur cette guerre d’Algérie, on a même l’impression que c’est du vécu. Enfin ce n’est bien sûr qu’une impression !

Louis a dit…

Du vécu ? Tu te moques ! J'ai à peine 35 ans, comment aurais-je pu faire la "guerre d'Algérie".
PS. Je t'en foutrai des "l'enquête avance à petits pas" !!!

DAN a dit…

Si en plus tu fustiges tes lecteurs...(rire)

Louis a dit…

Et quels lecteurs si on s'en réfère au dernier prix Goncourt : "Chrystele ou le bio qui tue" qui raconte très clairement leurs turpitudes !!!
Hein, alors ? On fait moins le malin, hein ?

phyll a dit…

je ne ferai pas de commentaire sur l'avancement de l'enquête, j'ai pas envie de m'faire engueuler !!!... :o)
par contre, j'aime beaucoup la dernière réplique de ce chapitre !!!

Louis a dit…

Moi ? Engueuler des lecteurs ? Jamais (main sur le cœur)
Il est fort ce Phyll, il trouve toujours le moyen de m'obliger à relire mes chapitres !!!