mardi 31 mai 2016

26. Idriss

J'ai dû attendre pendant des plombes avant de pouvoir coincer Idriss. J'ai bien eut le temps de l'observer. C'est un vieux bonhomme sec comme un coup de trique. Il est grand avec une couronne de cheveux blancs tout en haut de ce corps d’athlète. Il doit avoir 80 balais et une sacré santé. Je suis crevé rien que de l'avoir regardé bosser. Heureusement que j'ai des nouvelles des potes et de leurs investigations : Ça passe le temps. Michel me raconte que la première femme de Guérin n'a rien d’intéressant à dire, mais je connais trop mon pote, et quand il a cette voix là, c'est qu'il a un petit « truc » en plus à ajouter, et cela ne manque pas : « Elle ne s 'est jamais remise de la mort de sa fille. Mort dont elle accuse Guérin. » Accusations sans preuves, donc rien de bien nouveau, j'en ai bien peur. Lorsque Idriss quitte la ferme pour aller faire des courses à Nyons, je le suis discrètement. Il fait très beau et le centre de la ville commence à pulluler de touristes. Idriss, chanceux ou coutumier de la chose trouve à se garer soudainement, ce qui me surprend et manque de me faire m'encastrer dans un putain de camping-car Belge. Alors je monte sans me poser de question sur le premier trottoir venu. Une vieille qui promène son chien me lance un regard de haine, mais si l'on devait tenir compte de l'avis des vieux à Nyons, on n'en sortirai pas. La vioque a faillit me faire perdre Idriss et je cours pour le rattraper. Manque de bol, mes pas le font se retourner. J'avais envisagé pas mal de scénarios pour l'aborder sans l'effrayer, tant je m'attendais à un type apeuré vivant sous la coupe de ses patrons « négriers ». Tout au contraire, il a un grand sourire en m’apercevant. Il me tend une main franche.
  • Je m'attendais à votre visite, j'ai quelques courses à terminer, aller donc patienter à la terrasse de ce café.
Il me désigne une grande terrasse, me laissant interdit. J'obéis à son conseil, ayant bien besoin d'un bon coup de fouet. Je commande un demi et me pose comme n'importe quel touriste lambda. J'ai fais péter les solaires et mate sans vergogne les jolies poulettes qui vont et viennent dans mon champ visuel. Le temps et la mode font que beaucoup portent de ravissantes robes courtes aux imprimés chatoyants. J'ai bien dû perdre 4, 5 dixièmes à chaque œil quand Idriss finit par me rejoindre.
  • Excusez-moi, j'ai fait le plus vite possible.
Je lève légèrement les mains pour lui signifier que cela n'a pas d'importance.
  • J'ai tout mon temps.
Il se commande un café et attaque avant que je ne lui pose la moindre question :
  • Hier soir, après votre visite, j'ai dit à ma femme que vous alliez passer nous interroger.
Je souris en posant mes lunettes :
  • Vous pouvez me parler du domaine pendant la guerre ? De vos patrons ?
  • Oh, nos patrons, sont des patrons, ni meilleurs ni pires, même si aujourd'hui madame Guerin devient difficile.
  • Elle ne l'était pas avant ?
Il hausse les épaules :
  • Avant, je la voyais moins, je travaillais sur tout le domaine.
  • Parlez-moi de la guerre.
  • Vous dites « les événements », non ? Je suis venu travailler chez Guerin très jeune, j'avais 14 ans. Nous étions en 56, ajoute-t-il pour bien situer son récit. J'apprécie son goût pour la clarté et lui demande si je peux enregistrer notre conversation. Il hésite, réfléchit un long moment avant de hausser les épaules. Il m'avoue qu'il n'a pas grand chose à me raconter et sourit en me voyant me battre avec mon nouveau smartphone. « Donnez moi ça » Sans plus de façon, il s'empare de mon téléphone et me règle la fonction dictaphone. « voilà » Et il poursuit de sa voix douce : « Au début, je faisais à peu près tout. » Il éclate de rire « Comme aujourd’hui, d'ailleurs »
  • Vous étiez là, lorsque l'armée Française a envoyé des soldats pour garder le domaine ?
  • Oh, non, j'avais déjà rejoint le maquis. Il semble réfléchir : En 59, juste avant les vendanges. Il a un petit sourire malin : Je ne dirai pas que la possibilité d'échapper à cette corvée a fait pencher ma décision, mais, un peu tout de même.
  • Vous êtes resté dans la Mitidja ?
Il me regarde longuement :
  • Je vais encore vous décevoir, mais la réponse est non, j'étais en Kabylie.
Il est drôlement malicieux cet homme, mais c'est vrai que je suis déçu. Je m'attendais à mieux en venant interroger Idriss.
  • Votre femme pourra peut-être me donner plus de renseignement ?
Il se lève sans plus de façon :
  • Cela m'étonnerait, elle est beaucoup plus timide que moi.
Il va s'éloigner alors je l'interpelle, réalisant que j'ignore son nom :
  • Monsieur !
Il revient vers moi :
  • Parlez-moi d'Alice.
Il semble réfléchir, hésitant peut-être à me parler avant de finalement se rasseoir :
  • Ah, Alice ! Nous avions à peu près le même age. Quelle beauté !
  • - Vous l'aimiez ?
Il reste surprit par ma question :
  • Vous ne vous imaginez même pas ce que pouvait-être l’Algérie dans les années 50. Jamais un Arabe comme moi, ne pouvait, même en imagination, aimer une Française. Et encore plus la fille du patron.
Je me montre insistant :
  • Et pourtant, vous l'aimiez, je me trompe ?
Il sourit :
  • Je l'adorais sans imaginer autre chose. Mais elle était différente. Je n'ai pas été étonné de sa mort.
  • Comment cela ?
  • Elle n'était pas prête à affronter ce monde.
Je lui attrape le bras alors qu'il se relève déjà :
  • Expliquez-vous.
En me fixant intensément, il se met à parler, parler, parler. Je suis abasourdi. J'ai soudain un vertige : Mon appareil enregistre-t-il bien ? Il me quitte sur une franche poignée de main.
  • J'avais besoin de raconter.
Je recommande un demi et réfléchit à ce que vient de me raconter le vieil employé. Il faut que je voit Michel d'urgence.
  • C'est quoi, ces conneries ?
Nous sommes tous réunis dans le fond du bar à vin de Julot et je viens de faire écouter le témoignage d'Idriss.
  • Voilà un type qui vient te raconter 50 ans plus tard, que la fille du colon a été assassiné, et toi, tu fonces et tu crois à ces sornettes.
  • Pourquoi pas ? Tout est plausible dans cette affaire.
C'est Joël qui vient de me soutenir mais Michel balaye cette remarque :
  • Arrêtez, pauvres cloches. Cette histoire, il désigne mon téléphone-enregistreur, ne vaut pas un clou.
Par son geste envers mon appareil, Michel est dans l’ambiguïté puisque tout le monde ici, connaît bien son aversion envers ces « nouvelles technologies » Pendant ce temps, Julot, Cracoss et Paulo sont restés silencieux les yeux sur le smartphone, comme si l'appareil allait révéler d'autres vérités.
  • Sa femme nous en dira peut-être plus.
  • Plus ? Michel part d'un grand éclat de rire. « Mais t'es pas bien mon bonhomme. Et cette histoire de trafic véreux, tu vas la croire aussi ? »
Il faut bien avouer, qu'Idriss n'y a pas été de main morte dans ses confidences: Non seulement, il pense qu'Alice a été assassiné, mais en plus il nous a parlé d'un sombre trafic de pierres précieuses. Un truc pas clair, mais qui a résonné étrangement à mes oreilles.
  • Ben quoi ? Cette histoire de diamant vaut le coup d'être vérifié.
Je me tourne vers Benjamin notre gendarme, mais il est déjà au téléphone, alors j'interpelle Joël :
  • Ils devaient pas plancher sur notre bijoutier Lyonnais, nos cadors de « Chez Roger » ?
Personne, ne répond, alors Michel me lance méchamment :
  • Tu ne vas tout de même pas lier les deux affaires ?
  • Et pourquoi pas ? A la réflexion, vous ne trouvez pas étrange que Claire Dupuy qui nous demande de rechercher son demi-frère soit la maîtresse de Rigaux qui quelques jours plus tard nous envoie au casse pipe ?
Joël me dévisage avec attention :
  • Il a raison Michel, tu n'es pas bien. Quoi de plus naturel qu'une cliente satisfaite de nos services nous envoie un de ses amis ?
  • Satisfaite de nos services? Où tu as vu jouer cela ?
Julot intervient :
  • Les mecs qui ont tué Pierre ont essayé de vous tuer lors de l'échange de bijoux.
  • Oh seigneur ! Par pitié Julot, ne te mêle pas de cela. Sert à boire plutôt.
Mais Joël ramène sa science :
  • Il a raison, ce n'est pas net cette embrouille.
  • Avec Gianni rien n'est très net.
D'entendre prononcer ce nom, me ramène à Emma et je siffle mon verre d'un coup.
  • Ah, ben, ça fait plaisir de sortir des bon crus, je vais te refiler du Kiravi, cela ira plus vite.
Sans répondre j'avance mon verre, et Julot me ressert en maugréant.

6 commentaires:

DAN a dit…

Là je suis d’accord avec Julot un bon vin ça se déguste, mais bon revenons à nos moutons, je suis toujours étonné que des témoins se souviennent de faits remontant à plusieurs années, mais laissons le récit se dérouler et rendez-vous au prochain épisode !

phyll a dit…

bière... pinard... ça en fait du mélange !!!
quant à Idriss, mon pote a raison, quelle mémoire !!!... mais bon, c'est toi qui écris !!! :o) :o)

Louis a dit…

Oh les Havrais, si je vous demandais d'évoquer cette jolie petite brunette que vous avez follement aimée l'année de vos 16 ans, vous ne seriez pas capable d'évoquer quelques souvenirs ? (y'a bien des blogs où des mecs se souviennent de magasins d'avant les bombardements) non, mais !!!

DAN a dit…

...pas faux...

phyll a dit…

ben..... oui..... elle s'appelait Cathy !!!...... (soupirs.....) ;o)

Louis a dit…

Pleure pas Phyll, raconte...