dimanche 15 mai 2016

24. Chez Guerin.

Le domaine viticole de la famille Guerin semble immense et la villa devant laquelle nous nous trouvons ne l'est pas moins. Une vieille dame ridée et souriante vient nous ouvrir. Elle est petite, grosse et visiblement d'origine maghrébine. « Ils l'ont ramenée d’Algérie en 62 » nous glisse le gendarme sans lequel nous n'aurions jamais obtenu l'autorisation de nous présenter.

  • Ils vous attendent.
Michel Guerin porte beau sa soixantaine, debout près du fauteuil où repose sa mère. Très classe la vieille, même si il se dégage de sa personne une sécheresse assez désagréable. Une femme beaucoup plus jeune complète le tableau. La pièce est richement meublée, même si ce n'est pas dans mon style. Des vieilles photos en noir et blanc ornent les murs. Sans m'en approcher, je sais qu'il s'agit de vues d'Algérie. Guérin qui a suivit mon regard, me le confirme d'ailleurs :
  • C'est Sidi Mahfoud, je suppose que vous savez de quoi il s'agit.
Le ton est sec et cassant. Le ton d'un homme qui a l'habitude de commander.
  • C'était chez nous, et ils nous ont chassé, les ingrats.
C'est la mère qui vient de placer son petit couplet et son fils intervient rapidement :
  • Ma mère est fatiguée et elle doit se retirer dans sa chambre. Maryam, raccompagnez maman.
La petite pomme ridée qui était en train de servir le café, s'empresse d'obéir. La belle jeune femme qui était restée silencieuse, prend le relais de la servante. Michel Guerin nous pousse vers les canapés.
  • Excusez ma mère, mais pour les gens de cette génération, la perte de l'Algérie a été une catastrophe. Ma femme, Alicia, n'a pas ces états d'âmes, elle est née ici. Il rit.
  • Il nous a été très difficile de vous rencontrer.
Il hausse les épaules :
  • Nous n'avons pas grand chose à vous apprendre. J'étais un enfant à l'époque des faits qui vous intéressent. Ma mère est très fatiguée, comme vous avez pu le constater.
  • Votre père a bien dû vous parler de ces meurtres. Il devait être intrigué, voire inquiet.
  • Pourquoi inquiet ?
Je me suis levé pour examiner les photos qui ornent les murs, pendant que mes compagnons posent les questions. Les clichés sont en noir et blanc et pourraient avoir été pris dans n'importe quelle ferme si les ouvriers agricoles n'étaient aussi typés ; Sur une photo, deux belles femmes sont éclaboussées de soleil. Elles resplendissent dans de ravissantes robes colorées. Guerin, qui s'est approché de moi, pose son doigt sur la photo.
  • Ma mère et ma sœur un dimanche. Elles vont à l'église.
Je désigne une femme voilée derrière les deux femmes :
  • Oui, il s'agit de Maryam. Elle a toujours été à notre service, elle est née sur le domaine.
Je le regarde perplexe :
  • C'était banal chez nous. D'ailleurs Idriss son mari vient d'un domaine voisin.
  • Idriss ?
  • Oui, son mari qui travaille toujours chez nous.
Michel se lève à son tour.
  • Il ne sont pas trop vieux pour travailler ?
Guerin ne daigne même pas répondre.
  • Vous n'êtes pas très populaires, dans le coin, mais de là à venir mourir sur vos terres. Des jeunes gens qui avaient gardé votre domaine en plus ! Vous vous souvenez d'eux ?
Agacé, Guérin me désigne la porte :
  • Mon temps est compté et je vous ai déjà dit que j'étais un enfant.
Mounier que je croyais muet demande si tous ces jeunes gens n'avaient pas posé trop de problèmes. Guérin a un rire amer :
  • Mais, d'où sortez-vous, c'était la guerre. Il n'y avait que des problèmes. Tout cela est ridicule.
  • Reconnaissez tout de même, que ces deux soldats perdus venant mourir vingt ans après l'Algérie, sur vos terres n'est pas quelque chose de banal. Vous devez bien avoir votre petite idée, non ?
Comme il ne répond pas j'ajoute que son père, lui, devait bien avoir son idée, mais il reste de marbre. Michel lui montre les photos de Pierre que Claire nous a fournit. Guerin dévisage les portraits avec application sans montrer le moindre signe d'émotion. Il repousse les feuilles :
  • Je n'ai jamais vu cette personne, de qui s'agit-il ?
A notre tour de ne pas répondre. Il doit bien nous mentir quelque part ce type, alors j'attaque :
  • Des problèmes avec votre sœur, notamment.
Il sursaute violemment.
  • Ne parlez pas de ma sœur.
Il sort de la pièce sans plus de façon, nous laissant seul avec sa jeune femme.
  • Excusez le, mais le suicide de sa sœur est une blessure toujours ouverte. Vous avez de la chance que sa mère soit sortie sinon, elle était bien capable de vous chasser avec son fusil. Et elle rit d'un joli rire qui d'un coup détend l’atmosphère.
  • Et vous, que pouvez vous nous raconter sur tout cela ?
  • Oh, pas grand chose. Nous ne sommes mariée que depuis 7 ans.
Elle nous raccompagne gentiment vers la sortie.
  • Nous reviendrons, dis-je d'un ton bravache.
  • Cela ne serait pas très prudent.
L'officier de gendarmerie semble sidéré :
  • C'est une menace ?
  • Non, un conseil.

6 commentaires:

DAN a dit…

Quelle étrange atmosphère chez ces personnes, mais y reviendront-ils faire leur enquête ? Pas sûr, ou alors toujours accompagné d’un gendarme voire de plusieurs gendarmes, sinon gare !

phyll a dit…

serait-il possible que Svedberg soit impliqué d'une façon ou d'une autre dans le meurtre des trois jeunes de "la St Jean"(*) ??.... le commissaire Wallender n'exclut aucune piste........ HA merde !!!! je mélange ton récit avec le polar que je suis en train de lire !!!...... pourtant l'histoire se passe en Suède....... bon, je vais me reposer !!!... :o) :o) :o)
(*): "les morts de la Saint Jean" de Henning MANKELL (écrivain Suédois) que je te recommande !!(perso, j'en suis à son 11eme polar !)
Boujou !!!

Louis a dit…

Quoi Dan ? Tu doutes de notre courage ? On mettra Lucien devant.
Phyll, alors tu sais donc lire ? Ah, les morts de la Saint Jean, excellent. Tu dois connaitre l'auteur Islandais "Arnaldur Indrason" qui avec le commissaire Erlendur me ravit de livre en livre.
Bises les gones !

DAN a dit…

Non non je ne doute pas de votre courage, du moment que c'est le courage des autres !
Bon faudra que tu m'expliques ce que veut dire "gone" exactement car il n'y a personne de d'accord la dessus alors toi le vrai Lyonnais qu'en est-il ?

Louis a dit…

Alors là si faut réfléchir !
Ici c'est un enfant et par extension un Lyonnais.
Deux hypothèses d'après les historiens :
Grec ancien "Yovoc, gonos qui veut dire enfant ou Latin ancien :gunna (robe d'enfants)
Bon, j'ai maté wikdictionnaire pour faire le malin.
Dans les bar on dit : "Tout le monde y peuvent pas être de Lyon, il en faut ben d'un peu partout."
Bon c'est la grève au port de Havre ?

DAN a dit…

Ben à vrai dire j'en sais rien si y'a la grève au port, je sais que les routiers bloquent les routes et que mes rendez-vous de ce matin sont compromis (non je ne promet rien) mais qui vivra verra !