samedi 16 avril 2016

20. Slimane.

Un homme nous attend dans nos locaux :
  • Il a insisté pour vous parler se justifie Lucien qui apparemment est de permanence. Sur un geste de Michel, il disparaît tandis que nous saluons l'homme qui se présente sobrement :
  • Slimane Gerboug.
Nous nous installons lentement, bien décidés à se faire passer pour de grands professionnels. Gerboug est un nom qui me dit confusément quelque chose, mais je n'arrive pas à le situer exactement . Et ça m'énerve.
  • Excusez-nous monsieur, mais vous auriez pu vous épargner l'attente. Nous sommes actuellement sur une grosse affaire et il vous faudra voir avec nos collègues.
L'homme esquisse un léger sourire, mais vu sa carrure et son attitude, ce sourire n'appelle pas à la détente. Il faut dire que le mec est ce que l'on nomme communément une « baraque ». Un tas de muscles affûtés et dangereux. Il est de type méditerranéen pour ne pas dire qu'il est arabe. Il doit approcher les 40 ans et porte élégamment un blouson qui doit coûter bonbon. Crane rasé tandis que ses joues bleuissent, il impressionne surtout par son regard noir dont la force est rehaussée par de longs cils.
  • C'est vous que je voulais voir.
Et comme nous restons silencieux il ajoute :
  • Mon petit frère est mort avec son cousin. Mort bêtement.
Merde, « Gerboug », je savais bien que je connaissais ce nom. Aussitôt, nous nous récrions :
  • Mais nous n'avons rien à voir avec cette histoire.
Il plisse légèrement les yeux :
  • Ce n'est pas ce qui se dit dans mon quartier. Vous avez votre réputation.
Pendant que Michel tente de se justifier, je scrute attentivement notre interlocuteur. Cet homme est dangereux. Derrière ses sourires et ses airs polis, on devine la menace sourde. Pas la peine de finasser. Nous ne gagnerons pas.
  • Nous étions là-bas et nous n'en sommes pas fiers.
Michel se tourne vers moi, contrarié. L'homme, aussi, se tourne vers moi.
  • Je le savais. Racontez-moi. Gianni est dans le coup ? C'est votre ami ?
Alors je lui explique tout. Le vol, la combine avec les commerçants.
  • Nous avons, nous aussi été victimes de ces tueurs.
  • Qui ?
Je hausse les épaules.
  • Nous l'ignorons et franchement, nous avons tellement de boulot...
  • Et vous vous en foutez ! Comme les flics d'ailleurs.
Il s'est levé, frappant violemment sur la table
  • Tout cela est de votre faute. Sans vous ces gosses seraient toujours vivants.
Il a un peu raison, mais Michel intervient :
  • Poussez pas mon vieux, ce n'est pas nous qui attaquons les bijoutiers.
Le type baisse la tête et curieusement j'ai peur qu'il ne parte.
  • J'aurais tant voulu que tout se passe autrement. Lorsque j'ai quitté la cité, je pensais en avoir finit avec tout cela, mais c'était des chimères. La zone vous rattrape toujours.
Nous attendons plus d'explications mais brutalement, l'homme nous tourne le dos pour sortir.
  • Je vous laisse ma carte. J'aimerais vous embaucher sur cette affaire. Trouvez qui est responsable. Tenez-moi au courant pour votre enquête. Ne vous inquiétez pas, j'ai les moyens de vous payer, mais je veux des résultats.
Une fois seuls, Michel me désigne la porte :
  • Nous voilà beau. On avance pas sur l'affaire de Pierre Marchand, les flics veulent nous coller trois meurtres sur le dos, et voilà un mec qui déboule pour nous embaucher. C'est la totale. Mais ce type ne va pas nous lâcher. Lucien !
Il a gueulé à travers la pièce et l'autre zouave apparaît :
  • Vois qui est libre et foncez chez Emma. Gianni doit-être là-bas et il a besoin de nous. Protégez le, on arrive.
Lucien semble surpris, il semble toujours surpris mais le principal pour l'instant, est qu'il obéisse sans poser de question.
  • Mais qu'est-ce qu'il fout chez Emma ?
Mon ami hausse les épaules sans répondre.
  • Michel, tu ne peux pas t'en tirer ainsi. Pourquoi Emma ?
  • Martin, tu fais chier. Emma et toi c'est terminé et tu ne vas pas rester à chouiner toute ta vie. Essaye plutôt de réfléchir. Nous avons deux enquêtes sur le dos à présent.
Michel est le type idéal pour vous remonter le moral quand vous allez mal. Je vais reprendre un dossier quand il poursuit :
  • On devrait régler le problème de Gianni avant de nous attaquer sérieusement aux deux morts de Nyons.
Comme je le regarde perplexe, il m'explique que s'il y a une petite chance que Gianni ai raison, il faut chercher du coté des commerçants.
  • Les commerçants ?
  • Réfléchit une seconde : Qui à part eux, avait intérêt à supprimer ces gosses ?
  • Mais, tu entends ce que tu dis ? Ils ont récupéré l'argent plus la prime de l'assurance, que veulent-ils de plus ?
Michel sourit, content de lui :
  • Ils veulent faire un exemple. Marquer les esprits. « Envoyer un signal fort » comme le disent nos politiques. Il faut que les truands sachent qu'ils risquent gros à s'attaquer à leurs boutiques.
Mais pourquoi Gianni ? Dans la voiture qui nous mène vers Emma, je me convainc peu à peu de la justesse du raisonnement de Michel. Ce qu'il dit est finalement assez plausible, même si cela paraît disproportionné. Il va nous falloir rapidement avoir une conversation soutenue avec mon joaillier.
Revoir Emma est moins douloureux que ce que je craignais. La présence de Gianni à ses coté ? En les voyant si proches l'un de l'autre, j'ai tout de suite compris et leurs regards fuyants confirment mes soupçons. Michel doit avoir raison, il vaudrait mieux tourner la page. Alors je respire un grand coup :
  • Si je n'étais pas au courant pour vous deux, je suppose que tout Lyon est au courant. Vous aimez le réchauffé.
Je n'attends pas vraiment de réponse et développe mon idée :
  • Il faudrait que Gianni trouve une planque, jusqu'à ce que nous trouvions ce «  tueur fantôme »
Gianni se lève :
  • Ne croit pas que j'affabule, il y a un contrat sur nos têtes, on va tous y passer.
Putain ce type me fait gerber, mais comment Emma a t-elle pu me quitter pour ce guigno ?
  • Il est plus présent, plus attentionné, plus doux, plus tout, quoi ! Sera la réponse que me donnera Michel un peu plus tard, lorsque je lui poserai la question. En attendant, je fonce vers le quartier des bijoutiers. J'ai deux mots à dire à notre commanditaire. Avant cela je suis passé voir Claire qui bizarrement m'a reçu sans rechigner.
  • Votre chien de garde n'est pas là ?
Elle rit.
  • Jonas ? Il vous intrigue, non ?
Aujourd'hui, non seulement elle est en beauté, mais en plus elle semble de très bonne humeur. Ce qui tombe plutôt bien.
  • Oui il m'intrigue. Vous n'avez pas dit qu'il était en prison  ?
  • Oui, il était en prison avec Pierre. C'est un homme très précieux.
En la déshabillant du regard sans vergogne, une idée me vient. Une autre idée.
  • Connaît-il les gens que vous fréquentez ?
Elle semble surprise par ma question. Et n'en est que plus belle.
  • Que voulez-vous dire ?
  • Vous fréquentez, grâce à votre mari, des gens fortunés.
  • C'est exact. Il y a un problème ?
  • Pas du tout. Je voulais savoir si Jonas travaillait à l'occasion pour ces gens là. Il a l'air costaud et dois pouvoir rendre des services. Surtout dans ces métiers relativement risqués.
Elle hausse les épaules :
  • Jonas est libre de ses heures de congé. Mais, oui, je sais que mes amis l’emploient pour des opérations ponctuelles. Pour leur sécurité.
  • Pourquoi Jonas était-il en prison ?
Elle est moins souriante maintenant :
  • Je l'ignore et je m'en moque. Allez vous me dire ce que vous cherchez  ?
C'est à mon tour de hausser les épaules :
  • Si je le savais moi-même. Mais dites à Jonas que j'aimerais lui parler.
Son regard me transperce et pendant un instant je suis tenté de l'inviter au restaurant. Mais la tentation passe vite.

Le bijoutier me jette le même genre de regard :
  • Qu'est-ce que vous foutez là ?
On ne se peux plus aimable, mais j'ai l'habitude et balance ce bluff qui me vient soudainement :
  • Jonas m'envoie.
  • Jonas ? Il ajoute rapidement qu'il ne voit pas de quoi je veux parler mais j'ai lu la peur dans ses yeux et pousse mon avantage :
  • Les flics sont sur notre dos. Votre affaire a été une vrai tuerie, vous le saviez ?
Son regard affolé va de moi à l'arrière boutique :
  • Non.
Est-ce qu'il ment ?
Il me regarde étrangement, il a envie d'ajouter quelque chose. Mais ce n'est pas le genre de type à faire confiance au premier quidam venu. Heureusement j'ai une autre idée. Y'a des jours comme ça !

Je rejoins les potes plutôt satisfait.
Il fait beau et je décide de rentrer en tramway. La ligne longe le Rhône et je descends afin de terminer à pied le long des berges. Il y a un monde fou : Piétons, vélos, trottinettes, skates, poussettes et tout autres moyens de transports se côtoient plus ou moins allègrement. Je vais au « Bon cru » où Michel m'attend. Le patron m'explique admiratif que « Michel n'a presque rien bu » :
  • Il est resté le nez plongé dans ce foutu cahier. Il n'a même pas voulu jouer à la coinche avec nous.
Je sourit en regardant les joueurs :
  • Il est trop jeune. Il travaille, lui !
Je manque me faire écharper et ne dois mon salut qu'à la tournée générale que je suis obligé de payer. Michel n'a même pas daigner se mêler à notre échange. Il est plongé dans le cahier qu'a tenu la veuve Ogier. Il me fait même signe de m'asseoir avec impatience.
  • Incroyable, il y a vraiment tout là dedans. Ah, elle ne les a pas lâché les militaires la veuve Chapet.
Comme imprudemment je lui dit que je connais bien l'affaire, il s'emporte :
  • Tu connais bien l'affaire toi ? Qu'est-ce que tu connais vraiment ?
Il a gueulé et les joueurs de cartes ont arrêté leur partie.
  • Hé bien, on sait qu'une bande d'appelés en Algérie a eut un problème. Les militaires nous en diront plus.
Il ricane :
  • Compte dessus. On attend depuis combien de temps ? Les militaires ne nous ont même pas fournit les noms des gars de cette unité. Heureusement qu'il y a ce carnet.
Il tapote le petit cahier en me passant quelques fiches cartonnées :
  • J'ai résumé les grandes lignes : Paumés au milieu des combats à Maison Blanche dans la plaine de la Mitidja, ils étaient 3 ou 4 qui ne voulaient pas de cette guerre, 3 ou 4 qui s'en foutaient et Deux qui étaient à fond pour l'Algérie Française et la guerre.
  • Bertrand et Maboso ?
  • Tout juste.
  • Mais comment peux-tu spéculer sur leurs opinions ?
Il sourit :
  • J'ai des lettres et tout est clair :
Je regarde Michel effaré :
  • Tu veux dire qu'il s'agit d'un règlement de compte ?
  • Tout juste.
  • Mais pourquoi attendre 1981 ?
  • Pour fêter l'arrivée de la gauche au pouvoir.
  • Connard !
Petit à petit, tous les amis nous rejoignent et l'ambiance change imperceptiblement dans le bar. J'en profite pour résumer mon entrevue avec le bijoutier. Tout le monde est septique quand à la franchise de ce mec. Avant que tout ne dégénère à l'approche de l'apéro, Michel résume la situation une nouvelle fois. Maintenant que nous connaissons la mission et les noms de tous les protagonistes, nous nous répartissons les taches. Il nous faut retrouver, si possible, des témoins.
  • Putain, ils ont quel age, les survivants ?
  • L'age de mon père, 80 ans, ce n'est pas la mort tout de même.
Paulo, non content de nous insulter nous épate avec son smartphone flambant neuf :
  • Venez voir. Venez un peu situer la Mitidja.
  • Quel frimeur, sézigue, y'a un mois, il bossait encore sur Minitel.
  • T'es jaloux Arobase. Paye à boire, ça ira mieux. Pas certain que la boisson nous aide vraiment, mais chacun y va de son commentaire, comme si l'affaire était pliée. En tout cas cela me fait un bien fou d'oublier un peu cette affaire de diamants.

7 commentaires:

phyll a dit…

pfiou !!...... ça se complique grâve !!! :o)

... et oui, le port fonctionne mieux depuis mon départ et j'm'en fout !!! :o) :o) :o)

DAN a dit…

Eh bien dis donc, il suffit que j’ai le dos tourné et tout change, bon tu penses je vais commenter les deux derniers épisodes ici ayant été absent pour le 19ème.
Ils sont un peu pris de toutes part nos acolytes, mais ils savent garder la tête froide ce qui leur permettra d’aller jusqu’au bout des deux affaires, avec ça ils ne sont pas prêt d’être au chomdu !

Louis a dit…

Oh, Phyll, c'était de l'humour, tu nous avais fait visiter "ton" port avec tant de chaleur que je me doute bien que tu ne "glandouillais pas à l'époque.
Dan, va y mollo avec les commentaires. Ne va pas te faire mal (ça va encore être long !!!)
La bises, les jeunes.

phyll a dit…

pas de problème, j'avais bien compris ta plaisanterie mon bon Louis !!!! :o)

DAN a dit…

Avé les amis je ne me force jamais vu mon grand âge nanméo !

Louis a dit…

Grand age ? Pourtant la dernière fois que l'on s'est rencontré, tu avais 'l'oeil qui frise".

DAN a dit…

L'un n'empêche pas l'autre...