vendredi 25 mars 2016

17. L'affaire des diamants.

S'ils se pressent en ce moment, il ne faut pas être dupe, c'est pour ne pas rater l'apéro chez Roger qui se trouve à deux rues de là. Joël vient s’asseoir sur mon bureau. Il jette un regard sur les feuillets qui s'étalent devant moi :

  • Toujours cette histoire de diamants ?

J’acquiesce avant d'expliquer :

  • J'attends Michel, en principe, tout devrait-être terminé ce soir. Une longue nuit nous attend.
  • Vous voulez un coup de main ?
  • Non, merci. A deux nous devrions nous en sortir. Du regard je désigne mon arme, posée sur les papiers : Avec ça, il n'y a aucun problème. Et puis, vous avez du boulot avec tous nos disparus.

Finalement, nous avons accepté la mission que Gianni nous a proposé. Et cela me fait bien chier, mais Michel m'a convaincu que grâce à ce fric, nous pourrions augmenter les copains. Mais bosser avec Gianni n'est pas quelque chose de très sain. Pas seulement à cause d'Emma, mais parce qu'après la fermeture de l'usine, Gianni a glissé doucement vers la petite délinquance. Nous utilisons parfois ses connaissances et il est vrai qu'il nous est parfois assez utile d'avoir des "contacts" dans certaines banlieues plutôt hermétiques.

  • Soyez-prudent tout de même. Gianni est retors.

Je souris, Joël est toujours inquiet.

  • Gianni nous a parlé de Vandoole, un revendeur minable et les voleurs ne devraient être que deux. Du velours.

Joël hoche la tête, mais je vois bien qu'il est toujours anxieux.

  • Tu vas chez Roger ?

Son visage s'illumine :

  • Certainement, c'est l'anniversaire de Paulo.

Je réalise que ces bougres ont du mal à passer plus de deux jours loin de Lyon.

  • Vous n'avez pas traîné pour revenir, non ?
  • Ben, qu'est-ce que tu voulais que l'on reste foutre là-bas ? Personne ne veut nous recevoir.
  • A part Julot et sa cave.

Il sourit :

  • En tout cas, je ne raterais pour rien au monde cette soirée. Nous vous attendrons.

  • Pas de problème, nous serons là avec l'argent et les diamants.
  • Inch'allah !

Quand Joël commence à prier, c'est qu'il est vraiment inquiet. Mais là, il n'y a pas de soucis. C'est moi qui ai négocié avec Rigaux, le bijoutier Lyonnais voulant récupérer discrètement ses diamants que de petits truands lui ont volé. Dans cette mission, c'est surtout le mot « discrétion » qui est important. C'est Gianni qui pilote l'opération. Le nombre de fois ou nous lui avons sauvé la mise grâce au syndicat, en fait notre débiteur à vie. Même s'il rechigne pas mal.


Michel est en train d'ouvrir le thermos de café.

  • Oh vieux, on est pas en train de déraper, là, à essayer de sauver le fric de bourgeois tout en arrêtant de petits voleurs ?
  • Tu as raison, mais cela sera la seule et unique fois. Et de toute façon, tu fais chier avec ta morale.
  • Ma morale ? Mais, Michel ce n'était pas toi le chantre de la lutte des classes ?

Comme il se tait, bougon, je me plonge dans le petit carnet :

11 septembre1961.

Aujourd'hui, nous sommes arrivés à Mouzaïaville BA-140, une école transformée en caserne. Depuis Alger, j'ai l'impression d'avoir passé mon temps dans des camions. Finalement, si cela fait mal au cul, cela permet d'éviter la hiérarchie. La majorité des copains préfèrent s'installer confortablement pour dormir ou jouer au cartes alors que moi, je me colle à la ridelle de manière à bien profiter du paysage. Entre Alger et Oran, je me suis régalé. La route, parfois, longe la mer et ce spectacle sublime enchante mes sens. J'aime déjà tout dans ce pays, les couleurs, les odeurs. Seuls les Français, les militaires surtout, font tache. Finalement après quelques nuits dans une immense caserne de la banlieue d'Oran, je suis reparti dans l'autre sens. Logique toute militaire ! Ils ne sont pas près de gagner cette guerre avec des méthodes pareils. On nous a remis des armes et donné un entraînement minimal. Voilà, j'ai une arme. Je vais pouvoir tuer des hommes. Quelle misère ! Certains parmi nous semblent tout excités à cette idée. Peut-être l'imbécile qui a crié :"Mort aux bougnoules" sur le navire est-il ici. En tout cas, j'ai rencontré un camarade. Un gars de Lyon qui semble penser comme moi. Je dis "qui semble", parce qu'il est plutôt bien venu d'être prudent ici. Il y a pas mal de mouchards parmi nous et les militaires sont avides d'informations.

  • Et pour Nyons, on continu ?

Je sursaute à la question.

  • Évidemment ! Demain, cette affaire de diamants sera réglée et nous nous consacrerons exclusivement à cette histoire. Ces meurtres non élucidés m'intriguent.

J'ai sur moi le cahier de la veuve Chapet.

  • Je viens de lire ce qui semble être la rencontre entre Chapet et Ogier.

Mais Michel me tape sur le bras :

  • Tiens, les voilà.

  • Merde, j'allais te lire des trucs passionnants.

Je regarde mon pote charger son arme, et je ne peux m'empêcher de noter la coïncidence troublante avec ce que je viens de lire. Mais Michel a sur le visage cet air de jubilation qu'il avait à l'usine lorsque démarrait une grève. Je n'étais pas trop chaud à l'idée d'être armés ce soir, mais Michel a été clair :

  • On ne sait jamais où on met les pieds avec ce genre de zozos.
  • Je croyais que «  c'était du velours »

Il hausse les épaules et sort de la voiture tandis qu'au milieu de cette lugubre zone industrielle coincée entre l'autoroute, le chemin de fer et une cité délabrée, arrive la première voiture, une Laguna fatiguée qui est tout à fait raccord avec ce décor. Il s'agit sans aucun doute de celle de Vandoole un minable petit fourgue de la région tandis que le deuxième véhicule, un gros 4X4 noir appartient sans aucun doute aux petits casseurs de vitrines.

Notre plan était des plus simple, mais il a évidemment foiré. Évidemment ces connards ont refusé d'obtempérer aux ordres hurlés par Michel. Évidemment mon ami leur a immédiatement passé l'envie de nous blouser. Il faut dire que Michel, au tir, est un champion. Ça calme ! Le petit con ayant sortit son arme un peu trop lentement va avoir du mal à lacer ses chaussures pendant un moment. « Tu te branleras de la main gauche » lui susurre mon ami avec élégance. Vandoole, lui, s'est gentiment allongé au sol en attendant qu'on le soulage de son arme et de sa mallette. Les jeunes, deux enfants, geignent à vous fendre l’âme, en se tordant de douleur. Très exagérés ces cris si vous voulez mon avis. Je récupère les portables et les bijoux tandis que Michel assomme nos trois victimes. Je vais pour me relever quand un drôle de sifflement me fait tourner la tête. Avant que je ne réagisse, Michel d'un coup d'épaule m'a balancé au sol.

  • Sous la bagnole vite.

Une fois à l'abri, Michel me souffle à l'oreille :

  • Il est là haut. Occupe le, le temps que je l'attrape.
  • Tu en as de bonnes, toi. Comment je l'occupe ? Je lui raconte des blagues ?
  • Imbécile ! Tire lui dessus régulièrement... Et fais gaffe de ne pas me tirer dessus.

Je vais protester, mais il s'est déjà glissé dans le bâtiment délabré qui se trouve derrière moi. Je me cale du mieux possible, mais rien n'est simple quand un mec vous balance la moitié du stock de munitions de l'armée Française dans la gueule. Ça siffle autour de moi. Régulièrement je tire une balle pour faire mon intéressant, jusqu'à ce que Michel me gueule d'arrêter :

  • Stop, il s'est barré.

Il me semblait aussi qu'il tirait moins ces derniers temps.

  • Tu l'as vu ?
  • Tu parles ! Grand, jogging sombre avec capuche sur la tête, tennis blanches et fusil sur le dos.
  • Ouais. Avec ce portrait robot, les flics ne devraient avoir aucun mal à repérer notre tireur.
  • Très drôle. Tu peux préciser tueur, me dis Michel en me désignant les trois cadavres qui gisent sur le sol.
  • Merde. C'est vrai que je n'entendais plus les jeunes gueuler depuis un moment.

Nous nous penchons pour vérifier qu'ils sont bien morts, on récupère le fric et les bijoux.

  • On les détache ?

Michel semble hésiter.

  • Oui. On va les installer de façon à ce que cela puisse passer pour un règlement de comptes entre bandes rivales.
  • Parce qu'à ton avis, cela peut passer pour quoi ?

Michel me tape gentiment sur la tête avec son arme :

  • Fais un peu marcher ton ciboulot : Ça va passer pour ce que c'est : un coup tordu à la Gianni avec nous au milieu. Je vais le tuer, sézigue.

Nous voilà à tirer les corps de manière à accréditer la thèse de la bataille rangée et je demande à Michel si on préviens la police.

  • Mais, qu'est-ce que tu as ce soir, t'es pas bien ? Ils sont morts et on ne peut plus rien pour eux. Les flics trouveront bien tout seul le carnage. Cela va nous laisser le temps de respirer et de réfléchir. Enfin, quand je parle de réfléchir, je parle de moi, parce que pour ce qui te concerne, contente toi de me suivre.

Le salaud, le voilà qui me parle comme il parle à Lucien. Mais il n'a pas tort. Je suis complètement à l'ouest. La fusillade, sans aucun doute. On a beau faire les marioles, se retrouver comme cible dans un stand de tir n'est pas une expérience que je souhaite vivre trop souvent. Nous décidons de rejoindre les amis chez Roger.

  • Tu crois que l'on a bien fait ?

Michel hausse les épaules et enchaîne hors de propos :

  • On reparlera de Nyons plus tard.



Le gros a posé un écriteau : «  Soirée privée » sur sa porte et pour être privée, elle est privée cette soirée. Joël, anxieux, se précipite à notre rencontre : « Alors ?» Nous lui racontons nos exploits dans une version expurgée. Pas la peine d'affoler les troupes. Il siffle entre ses dents : « Voilà de l'argent facilement gagné. » N'empêche, je n'aime pas trop ce genre d'affaire. C'est magouille et compagnie. Les bijoutiers récupèrent leurs bijoux après avoir touché les primes d'assurance et Gianni se venge de concurrents dangereux sur la place de Lyon. Tout ce que je déteste. Mais Gianni nous a bien vendu son truc et nous sommes trop cons pour passer à coté d'une affaire pourrie. Sans compter que ce Gianni nous est d'un précieux secours pour obtenir des renseignements sur la pègre Lyonnaise.

Mais pour l'instant, c'est le temps de la fête et nous allons célébrer dignement Paulo qui veut au moment où nous arrivons veut à tout pris nous chanter un blues.

  • Laisse, Paulo, j'ai des disques.

Mais le bougre ne cède pas à nos prudentes sollicitations et insiste en grimpant immédiatement sur le comptoir. Je redoute le pire. Aller maintenant aux urgences serait des plus cocasse. Michel vient me rejoindre, un sourire au coin des lèvres :

  • On va arrêter ces conneries, non ? Ce Gianni est une vraie plaie. Tu te souviens, déjà à l'usine il nous faisait chier.

Je souris à mon tour, sans répondre directement. Du doigt je désigne la salle. Ils sont tous là les « anciens », ils sont heureux, ils rient, ils chantent.

  • Ouais, recentrons-nous sur des affaires légales.
  • N’exagérons rien, nous n'aurions plus de clients si nous voulions rester dans la légalité.

Il a raison, n'empêche nous attendons toujours l'affaire avec un grand A, de celle qui pourrait nous rendre riche et célèbre. Le Graal quoi ! En attendant, je demande si quelqu'un n'aurait pas vu ma blonde, mais aux regards en coin et aux sourires gênés, je comprends que l'heure de la réconciliation n'est encore pas venue. Paulo comme prévu vient de tomber du bar avant de s'endormir comme un bébé. Va y avoir de la migraine dans l'air, demain matin.



Je dois aller rendre les bijoux au commerçant pendant que Lucien va remettre une partie de l'argent pris au petit fourgue à son pote Gianni. Le bijoutier que je rencontre me serre longuement la main en me remettant notre prime. Une coquette somme qui va s'ajouter à l'argent déjà gagné. J'ai malgré tout un mauvais goût dans la bouche, et ce ne sont pas les flatteries du joaillier qui vont me rasséréner. Le point positif de cette affaire est le crédit que l'agence vient de prendre auprès des notables de Lyon. Un peu de publicité dans ce milieu très secret n'est pas à négliger.

  • Tout s'est bien passé ? Me demande-t-il.

J'acquiesce sobrement. On ne va pas rentrer dans les détails maintenant.

Au bureau l'ambiance est calme, chacun plongé dans les documents concernant les meurtres de Nyons et je vais vers Michel afin de lui raconter mon après-midi. Nous détaillons aux amis présents, notre aventure de l'autre soir. Les visages se tendent :

Paulo intervient :

  • On a essayé de vous tuer ?
  • Cela en avait tout l'air.
  • Mais pourquoi ?

Un long silence permet à chacun de réfléchir aux multiples raisons qu'aurait une multitude de gens de vouloir nous tuer. C'est vertigineux.

  • Lucien n'est pas encore rentré ?
  • Il devrait ?

Je regarde par les baies vitrées cette vue de la ville dont je ne me lasse pas.

  • Plutôt. Il avait pas mal de fric sur lui, et tu connais Lucien.

Michel se rembrunit :

  • S’il déconne, je le tue.

J'aime le sens de la mesure de mon ami et je vais le lui dire quand Lucien apparaît avec sa mine des mauvais jours. Ce con a merdé, je le pressens, pourtant il me détrompe immédiatement :

  • Gianni n'était pas chez lui.
  • Tu as bien cherché partout ?

Lucien me regarde comme si je venais de le traiter de con, ce qui n'est pas loin d'être le cas.

  • Il a disparu.
  • Il n'est pas chez Emma ?
  • Non, j'ai vérifié, tu penses bien.

Ce « Tu penses bien » énoncé comme une évidence, me fait mal.

  • Puisque je vous dis qu'il a disparu.

  • Disparu ? Holà, tu ne crois pas que tu exagères ?
  • On connaît Gianni...
  • Justement, je connais bien Gianni et son besoin de fric permanent. S'il n'est pas venu au rendez-vous, c'est qu'il lui est arrivé quelque chose.
  • Il fête peut-être, à l'avance, cette rentrée d'argent.
  • Non, surtout après ce qui c'est passé hier soir.

Michel tape sur l'épaule de Lucien :

  • Si tu as assez de fric, tu peux nous confier l’enquête. L'agence retrouve toujours les pauvres âmes disparues.

Nous nous essayons à la plaisanterie, mais au fond de nous même, nous savons que quelque chose ne tourne pas rond dans cette histoire. Pour ma part, malgré mes à priori vis à vis de Lucien, je sens bien que pour une fois, il a raison, l'animal. Michel dit qu'il ne plaisantait qu'à moitié.

  • Il va falloir le trouver et vite ce Gianni. Qui est libre en ce moment ?

Les équipes sont rapidement constituées et dés demain nous convenons de nous mettre au travail. Pour ma part j'aimerais plutôt retrouver Emma. Parce que moi, Gianni, je m'en tape royalement, tandis que ma blonde me manque cruellement.





Finalement nous n'avons retrouvé personne. Ah, elle est chouette l'agence, et Michel me regarde bizarrement :

  • Tu n'as pas trop bossé sur ce coup là.
  • Elle me manque.

Il lève les yeux au ciel.

  • Elle te manque ! Elle te manque. Il fallait t'en soucier plus tôt au lieu de traîner dans les bars. Tu racontes n'importe quoi. Et pour le sérieux de l'agence, on ne peut se permettre ce genre d'attitude.

Il a raison évidemment et je le reconnais tout de suite :

  • Ne t'inquiète pas cela ne se reproduira plus.

Il me prend par l'épaule avec affection :

  • Allons manger. Tu verras, tu l'oublieras.
  • Mon cul !

4 commentaires:

DAN a dit…

L’affaire se corse là, et de l’action il y en a, quant au tireur isolé, un snipeur comme on dit maintenant j’ai comme l’impression que… ah mince c’est vrai que tu n’aimes pas que je dévoile les choses trop à l’avance alors je la boucle !

Louis a dit…

Mais non, cher Dan, tu peux t'exprimer librement. Cela m'aiderait peut-être à y voir moi même plus clair !!!

DAN a dit…

Les deux affaires étant liées, le tireur étant sans doute un militaire le joint n'est pas bien loin, aller encore un p'tit effort....

phyll a dit…

tu nous gâtes pour Pâques !!.... il y a de quoi lire !!!
et je m'aperçois que mon pote se prend au jeu et enquête en parallèle de la fine équipe !!! bon ben moi, j'vai attendre chez Roger !!! :o)