dimanche 13 mars 2016

15. Berthot

- Dépêche toi, ils t'attendent. 

Moi qui pensait foncer chez Roger, je suis surpris par Lucien qui sans me laisser le temps de souffler me pousse dans le bureau de Michel. Oui, parce qu'il faut bien préciser que ce grand mégalo de Michel à exigé un bureau fermé. Je n'étais pas trop partant pour ce genre de disposition, mais mon ami avait emporté le morceau avec un argument béton :

  • Quand nous devrons interroger de grands criminels, tu seras bien content !
En attendant, Michel, un verre à la main, rugit en me voyant :
  • Enfin !
Il me présente rapidement ses interlocuteurs :
  • Tu connais monsieur Rochette, il est venu avec son ami, monsieur Berthot.
  • Il a beaucoup de mémoire, vous verrez, me dit, gourmand, le vieux Rochette.
Son ami paraît bien plus jeune, et je constate rassuré, que contrairement aux deux autres, il boit du café. Je m'adresse à lui directement :
  • Vous étiez en Algérie, vous aussi ?
Il soupire :
  • Malheureusement. Comme tant d'autres.
  • Vous vous souvenez de Didier Chapet ?
  • Évidemment, c'était un héros, là-bas.
Je le regarde, surpris :
  • Un héros ? Vous ne poussez pas un peu ?
Berthot regarde Rochette, comme pour obtenir son approbation :
  • Vous pouvez demandez à tous ceux qui l'on croisé. Même les militaires le respectaient. Ils ne vous l'ont pas dit ?
Je souris :
  • Ils refusent de nous parler. Mais vous n'avez pas été avec lui chez Guerin ?
  • Chez les colons ? Non, moi j étais aux transmissions et j'ai rapidement été renvoyé à Oran. Malheureusement.
Michel intervient avant que je ne le fasse :
  • Pourquoi malheureusement ?
Les deux vieux sourient complices et c'est Berthot qui répond :
  • Ce salopard là, et il désigne Rochette, a été renvoyé en France avec tout le bataillon.
  • Comment cela ?
  • A cause de ce qui s'est passé là-bas chez les Guérins, tous ceux qui faisaient partis de la compagnie ont été éclaté au quatre coins de la France. Mesure de précaution, je suppose.
  • C'était courant ce genre de chose ?
  • Ben, vous savez, c'était la guerre. Et la mort de Didier a marqué tout le monde. Ils nous ont même envoyé des psychologues. Vous vous rendez compte ? En 61 !
Berthot complète :
  • Il faut dire que parmi nous c'était l'ébullition. L'unité n'était pas loin de l'implosion.
  • Excusez-nous mais pourriez-vous être plus clairs ? Je n'entrave que dalle à votre histoire d' « Ébullition » et d' « implosion »
Ils rient franchement les deux zouaves :
  • Je vous ai dit que Chapet était un héros à Mouzaïaville et ce n'est pas une formule. Avec Ogier, ces deux là étaient de vrais agitateurs. Nous étions à l'automne encore tous marqué par le putsch des militaires félons. Même les plus péquenots d'entre nous étaient devenus des pointure du débat politique. Nous ne voulions plus de cette sale guerre. Les militaires avaient de plus en plus de mal à nous contrôler. Alors, la mort de Didier et la disparition d'Albert ont été une étincelle sur un baril de poudre.
  • Pour moi, Albert a déserté. C'était d'ailleurs un projet qui nous trottait à tous dans la tête. Les militaires ont préféré nous séparer et mettre fin à toutes sortes de spéculations.
  • Quelle genre de spéculations ?
Berthot hausse les épaules :
  • Pour moi Chapet a été assassiné.
  • C'était la guerre, vous l'avez dit vous même. Le FLN ne faisait pas de cadeaux.
  • Arrêtez de raconter n'importe quoi. On avait pas vu de fellaga dans la plaine depuis le début du conflit.
  • Cela ne veut rien dire. D'après l'armée, c'est un accrochage dans le poste avancé...
Berthot outré m’interromps :
  • Foutaises. Les militaires racontent n'importe quoi. Ils se sont arrangés pour étouffer le scandale : Didier a été assassiné et Albert aussi.
  • On a jamais retrouvé son corps.
  • Cela ne signifie rien.
  • Qui alors ?
Les deux se regardent tandis que nous échangeons Michel et moi un regard dubitatif.
  • Vous ne voulez pas nous croire, pourtant le sergent chef et son bras droit haïssaient assez les deux amis pour les assassiner. D'ailleurs ils sont morts de mort violente tous les deux. Et chez Guerin en plus.
Je suis sidéré.
  • Vous pensez que Garde et Maboso auraient été capables d'assassiner Chapet ?
  • Qu'est-ce que vous imaginez ? C'était la guerre, nous étions tous armés et tout le monde était à cran. Ces deux salopards, nous auraient tous tué s'ils en avaient eu l'occasion.
  • A ce point ?
Cette fois les deux anciens se tapent franchement sur les cuisses :
  • On se demande bien dans quel monde vous vivez. Je vous ai dit que notre petit groupe était très politisé. Nous avions de grands projets, comme celui d'une désertion massive. Il sourit, pensif tout à coup. Chapet, celui qui nous avait aidé à nous forger une réelle identité antimilitariste n'était plus trop pour cette extrémité : «  La paix va bientôt être signée, pas la peine de devenir des martyrs » Il avait foutrement raison, mais nous ne voulions plus rien entendre. Il devait y avoir une taupe parmi nous et Garde et Maboso mis au courant de nos projets ont modifié le tableau.
Je bondis :
  • Le tableau ? Mais que voulez-vous dire ?
Les deux vieux se moquent ouvertement :
  • Vous n'avez jamais fait l'armée, cela se voit. A Mouzaïaville, il y avait un tableau. Pour les corvées, les missions et autres joyeusetés. Cela faisait parti de notre boulot. Il y avait un tour et tout était très réglementé. Très militaire, quoi. Mais, là, ils ont tout chamboulé pour intégrer Chapet et Ogier dans cette mission chez Guerin.
  • Vous êtes certains de cela ?
  • Oh, on est vieux mais pas gâteux, qu'est-ce que vous vous imaginez ? Moi, c'est un conscrit de ma chambrée qui me l'a affirmé.
  • Il faudrait demander aux gars qui étaient là-bas, mais pour moi, ils ont dû aussi magouiller pour cette mission de poste de garde.
Cela fait beaucoup de spéculations, tout de même et je regarde ces deux anciens. Berthot, surtout, dont la mémoire est une bénédiction pour nous. J'espère beaucoup de ce Raymond Prieur qui doit arriver du Brésil ces jours-ci. Je passe un coup de fil au bureau. C'est Arobase qui me répond.
  • T'es pas chez ta rouquine ?
Mais, avant qu'il ne se lance dans des explications fumeuses j'embraye méchamment :
  • Faut te remuer le cul pour me trouver des nouvelles de Patrick Franc. C'est le seul qui manque à notre collection. Va coucher à l'hôpital s'il le faut mais il me faut de ses nouvelles le plus rapidement possible.
Pour le convaincre, j'ajoute en riant :
  • Tu vas te régaler, avec toutes ses jolies infirmières.



Assis au fond du bar nous discutons encore un peu de l'affaire avant d'attaquer sérieusement le stock d'alcool de ce vieux Roger.
  • Michel, tu as lu les carnets de Chapet ?
  • Pas le temps.
  • C'est un tort, même s'il n'y a pas grand chose, parce qu'on peut y lire une histoire de changement de dernière minute qui semble corroboré les dires de Berthot. Il semblerait que les militaires n'aient pas hésité à modifier des feuilles de route en urgence.
Pour surprendre Michel, il faut mettre le paquet, alors cette histoire de changement le laisse de marbre.
  • Quand ça les arrange, ils n'hésitent pas.
  • Finalement tout est clair. Les témoins sont unanimes : Chapet a été assassiné par Garde et Maboso. Et quelqu'un a entrepris de le venger :
  • Holà, comme tu y vas. Ce ne sont que des suppositions. Nous n'avons pas de témoins directs.
  • Tu m'étonnes, ils sont tous morts ou gâteux.
  • Il nous reste Prieur.
  • N'oublions pas ce Franc, il pourrait peut-être nous éclairer.
Michel est songeur :
  • Cette affaire est mal partie, c'est le moins que l'on puisse dire.
  • Pourquoi dis-tu cela ?
Il me lance un regard surpris :
  • Mais, t'es con ou quoi ? Une petite bourgeoise désagréable...
  • Que tu dis.
  • Cesse de m'interrompre, pauvre cloche. Une riche Lyonnaise, nous enjoint de retrouver son demi-frère, artiste raté qui est apparemment parti à la recherche du tueur de son père, assassiné il y a 40 ans suite à une affaire remontant à bientôt 60 ans. Si tu appelles cela une affaire bien partie !
Michel me jette un regard lourd de sous-entendus. J'y suis habitué et il continu :
  • Toutes tes idées de vengeances ou autre sornettes ne sont que pure hypothèse ! Nous ne sommes même pas certains que Pierre Marchand soit à la recherche du meurtrier de son père. Même si Garnier semble croire cette histoire.
  • C'est un grand flic, ne l'oublie pas. Bon, ce n'est pas le problème de toute façon. Grâce à notre grande sagacité et à ma vitesse de réflexion hors du commun, nous n'avons pas tardé à rapprocher cette mystérieuse disparition d'un drame s'étant produit pendant la guerre d'Algérie.
  • Vitesse de réflexion, tu ne manques pas d'air. Sans Paulo nous serions toujours dans le brouillard.
  • Parce que l'on est où, maintenant, à ton avis.
Il fait mine de réfléchir avant de me balancer en riant :
  • Dans le pâté.
Allez, je pense qu'il est temps de rejoindre les potes au comptoir.
Quand mon téléphone sonne, je manque m'évanouir en voyant que l'appel vient de ma blonde.
  • Merde, Emma, tu as retrouvé la mémoire ?
  • Épargne moi ton humour douteux, Gianni est ici.
Gianni ? Qu'est-ce qu'il fout chez son ex ? Oui, parce que je lui ai piqué Emma, il y a quelques années à Gianni, et cela a été plutôt tendu entre nous pendant quelques mois. Aujourd'hui, on peut dire que cela va mieux, mais, c'est limite. Alors, le savoir chez elle ne m'enchante pas tellement, même si depuis des mois tout le monde m'encourage à oublier cette femme. Oublier Emma ! Y'a des cons, tout de même ! Mais là, elle exagère et est toujours fâchée puisque avant que je n’ai eu le temps de réagir, elle me passe l'autre Zèbre. Je met le haut parleur :
  • J'ai un coup d'enfer à vous proposer. Risque zéro et profit maximum.
Quand Gianni parle ainsi, cela sent tout de suite le coup pourri.
  • Tu parles de ton aventure avec Emma ?
Emma reprend la ligne pour me dire que je suis toujours aussi lourd et demande à parler à Michel.
  • Il t'écoute.
  • Passe le moi, je te dis. Et coupe le haut parleur.
Putain, l'effrontée. J'ai bien envie de couper la communication, mais Michel me prend le téléphone et je retourne m'asseoir sur le lit, des idées de meurtres plein la tête.
Quand Michel raccroche il nous regarde avec gravité :
  • Gianni veut nous parler.

5 commentaires:

DAN a dit…

Houlà tu passes du 14 au 17 ????

DAN a dit…

Ah oui, ce n'était que p'tite erreur de numérotation j'espère que l'équipe ne s'en est pas aperçue, c'est que je ne voudrais pas recevoir une bouteille des caves générales sur la tête moi ;-)

phyll a dit…

..." dépêche toi..." c'est une phrase que je n'aime pas qu'on me dise..... :o)
mais bon, ce n'est pas le sujet !!..... mais putain je me demande où tu vas chercher tout ça !!??!!..... haaa... comme j'aimerais savoir écrire !!!!!!!
bonne semaine mon gone !!!

Louis a dit…

cesse Phyll de te moquer. Mais comme vous suivez bien mes petits Havrais, tout se complique la semaine prochaine !!! Non Dan, personne n'oserait te jeter une bouteille.

phyll a dit…

aîe !!!!..... ça va se compliquer !?!?!.... bon ben je vais essayer de reposer mon neurone pour qu'il soit prêt à comprendre........ mais je ne promet rien !!!! :o)