En attendant le retour de Michel, j'épluche le petit cahier de Chapet. Il s'agit d'un carnet de qualité, si j'en juge de son bon état de conservation. Des lettres sont insérées entre les pages du cahier et je décide de commencer par l'une d'elle :
"Ma
chérie, te quitter a été une déchirure, et te quitter pour cette
connerie, une colère. Mais ne t'inquiète pas, je vais revenir
bientôt. La traversée en bateau a été une merveille. Comme
beaucoup d'hommes étaient malades, je suis monté me réfugier sur
le pont et c'était formidable. Un marin avec qui j'ai partagé une
cigarette, m'a dit que souvent des dauphins s'approchaient du bateau.
Malheureusement, je n'en ai pas vu. Je me plais à penser que ces
animaux, au courant de notre mission, boycott le navire. Je les
verrai au retour !!!
L'arrivée
sur Alger au petit matin est, elle aussi, une merveille. Tous les
hommes réveillés et réunis sur le pont en restaient bouche bée.
Pourtant, tu dois bien te douter que je ne suis pas entouré que par
des poètes. Alors que nous allions accoster, un de ces abrutis a
gueulé : "A mort tous les bougnoules" ce qui a déclenché
une salve de rires. J'ai croisé un ou deux regards consternés mais
pas plus. Les gradés qui nous entouraient, eux par contre, riaient
de bon cœur. Je me promets de charmants moments dans les mois qui
viennent !!!"
Ogier
n'aimait pas les militaires, comme nous l'a expliqué son petit fils.
Je
commence à lire le cahier :
"3
Septembre 1961. Une fois tous débarqués à Alger nous avons été
réunis dans une grande caserne afin d'y être "triés"
comme le disent élégamment les militaires. Évidemment, je suis
affecté dans la région d'Oran, alors que je suis persuadé que de
pauvres couillon dans mon genre, qui ont débarqué là bas sont
actuellement affectés ici. Nous allons nous croiser sur la route.
L'armée dans toute sa splendeur ! Ici, chacun spécule sur les
avantages et les inconvénients de chaque affectation. Comme
d'habitude, on trouve toujours des plus malins qui se croient mieux
informés que d'autre et qui nous assomment de leur pseudo-science.
Il fait chaud et je suis las. J'en ai marre de toute cette connerie.
A la première occasion je me fais la malle."
J'arrête ma lecture pour
foncer lire les dernières pages :
9
Octobre 61.
Hier,
j'ai eu une longue discussion avec Alice. Cette jeune écervelée
s'est mise en tête qu'elle m'aimait. Quelle sottise ! Je lui ai
parlé de ma jeune épouse et de cet enfant qui va naître, mais elle
ne semblait/voulait rien entendre. La situation était des plus
pénible, mais ce n'était rien à coté de ce qui nous attendais :
J'allais la saisir aux épaules afin d'essayer de la réveiller de sa
folie quand son père nous a surpris. Je n'aimais déjà pas ce type,
mais alors là c'était le bouquet. Il s'est mit à vociférer, puis
il a giflé sa fille et lorsque j'ai voulu intervenir, il a hurlé à
la garde et j'ai du fuir piteusement. Albert m'a remonté le moral,
heureusement, parce que je crois que je n'aurais pas tenu le coup.
- Je vais le buter ce connard !
- Oui, m'a-t-il dit, ne t'en fais pas nous lui ferons payer tout cela.
Il
est sympa Ogier, mais j'ai bien vu qu'il ne disait cela que pour me
calmer.
- Tu parles, dans quelques mois, il aura fuit en France avec tout son fric.
Albert
a rit :
- Et alors ? Nous n'habitons pas en France ?
La
colère et la rage m'avaient amené les larmes aux yeux, mais la
gentillesse de mon ami a réussi à me rasséréner. Il y a parfois,
de pieux mensonges, bien utiles.
A
la lecture de ce passage, je ne peux m'empêcher de me poser la
question : Dois t'ont chercher de ce coté la genèse de toute
cette histoire ? Il ne reste que quelques lignes dans ce cahier. Les
derniers mots d'un jeune homme que la mort va faucher le lendemain.
10
Octobre1961.
Alors
que nous étions tranquillement à échafauder des plans de fuites,
ce fayot de Maboso est venu nous annoncer que nous partions
immédiatement à « la ferme » monter la garde pendant
trois jours, Ogier et moi :
- C'est pas notre tour, faut pas pousser.
- Ne discutez pas, le chef vous attend..
Ne
voulant pas compromettre nos plans d'évasions, nous ne nous
révoltons pas comme il le mériterait, mais nous le gratifions d'un
salut nazi, qui, nous le savons bien, le met en rage et déclenche
l'hilarité de tous les potes. Mais lui aussi se contient. Il doit
avoir des consignes. Nous préparons aussitôt nos bardas tout en
nous interrogeant sur ce changement brutal.
- Cela a un rapport avec l'incident d'hier avec Guérin et Alice ?
- Sans aucun doute. Alice a quitté le domaine des l'aube.
Nous
restons songeurs tandis que les copains nous conseillent d'être sur
nos gardes.
Les
derniers mots de ce carnet sonnent comme une menace.
4 commentaires:
…et ces derniers mots nous laissent en haleine, tu as décidément le sens du récit, comme on dit « ça coule tout seul » alors vivement la suite !
PS : tu vois, les "havrais" ne sont pas si méchants (rire)
je me suis surpris à vouloir tourner la page suite à la dernière phrase.......
Ah, mes petits Havrais que de jolis commentaires. J'en rougis et ai peur de vous décevoir !!!
meuuuu non Louis ai confiance en toi non de d'l'à !
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