André
Rochette, nous attend tout beau tout propre. Nous avons un peu ramé
avant de trouver son pavillon au milieu de toute cette jungle
urbaine. Il sourit à nos explications, et j'ai peur qu'il ne
conseille à Michel d'acheter un GPS. Au contraire, il nous fait
entrer en nous expliquant qu'aujourd'hui, les gens ne savent plus
lire les cartes. Michel va l'embrasser sur la bouche et je commence à
redouter le vieux con typique, adepte du « c'était mieux
avant ». Il nous a préparé du café et une vieille valise de
carton trône au milieu de la pièce. Il suit notre regard vers la
table basse :
- J'ai fait l'Algérie avec elle.
Nous
attendons la suite, mais il se tait pour nous servir le café. Je
profite du rituel : « sucre ? Lait ? Un biscuit ? » pour
observer un petit peu les lieux. Tout est nickel et soit le vieux a
une armée d'aides à domicile, soit c'est un maniaque du ménage. Le
mobilier est un peu désuet, mais moins que ce que j'aurais imaginé
après la description que m'en avait fait Michel ; « Un vieux
de chez vieux, à n'en pas douter » Mon pote se targue de
pouvoir juger les gens après une simple conversation téléphonique.
La vérité est qu'il aime bien juger les gens et qu'il se fourvoie
souvent. Je vais me lever pour observer de plus près les photos qui
trônent sur le buffet quand Rochette reprend :
- Je me souviens très bien de Chapet et de Garde.
- Et de Maboso ?
Le
vieux réfléchit un instant :
- Non, cela ne me dit rien. Il se touche le crane en riant : Y'a un peu des fuites là dedans. Mais peut-être sur les photos.
Je
l'arrête d'un geste :
- Pas tout de suite, racontez nous plutôt votre histoire.
- J'ai été appelé en Algérie en 60, j'avais pile 18 ans.
Je
cherche à calculer son age et mon effort doit se voir, puisqu'il dit
à mon encontre :
- J'ai 74 ans aujourd'hui. J'ai fait ma vie, une vie de travail et de militantisme, mais ce séjour en Algérie reste pour moi une douloureuse blessure. Comme pour tous ceux qui étaient là-bas. Ma femme est morte il y a deux ans, elle aurait pu vous raconter mes cauchemars dans mes premières années de mariage. Ce n'est qu'à la naissance de mes enfants que tous cela s'est légèrement estompé. Très légèrement, tient-il à préciser.
Je
sens que Michel commence à bouillir et s'impatienter. J'aurais dû
venir avec Paulo.
- Continuez, parlez nous des autres
- J'ai débarqué à Oran et j'étais vraiment un « plouc » Je n'avais jamais rien vu. Il faut dire qu'à cette époque, à 18 ans, on était vraiment attardés, pas comme les jeunes d'aujourd'hui. Nous devions être des milliers dans ce grand centre de triage et j'y ai été très malheureux. Heureusement ils m'ont rapidement envoyé à Mouzaïaville et là c'était plus petit, plus « humain », même si la connerie de cette guerre m'a tout de suite sauté aux yeux. Je me suis rapproché des Lyonnais, c'était une réaction naturelle chez chaque bidasse. On recherche des « pays ». C'est ainsi que j'ai connu Garde et Chapet.
Il
marque un temps pour souffler et nous resservir.
- Chapet faisait déjà autorité dans la caserne, il était très entouré. Il m'a tout de suite pris sous son aile. Il a fait mon éducation politique. C'est un peu grâce à lui que je suis devenu ce que je suis.
- Et Garde ?
Michel
goûte peu la lenteur du vieux, il pousse un peu les feux.
- Oh, Garde, lui, était un fieffé connard : Algérie Française, raciste et compagnie. Tout pour plaire. Pendant nos classes, je me suis blessé pendant un entraînement et c'est pendant mon séjour à l'hôpital (j'ai eu une médaille pour « fait de guerre » grâce à cela) qu'ils sont partis dans la plaine garder l'exploitation agricole. J'étais dépité d'avoir raté cela, j'aurais voulu rester avec Chapet.
- L'opération Fennec ?
Le
vieux me fixe avec attention :
- L'opération Fennec ? Ce nom me dit vaguement quelque chose, mais sans plus. C'est les militaires qui aiment bien donner des noms à la con à la moindre occasion. Non, nous on disait : « chez ces salopards de colons »
- Qu'est-ce qu'il s'est passé là-bas ?
Rochette
hausse les épaules :
- Officiellement, on nous a dit que lors d'un accrochage nocturne, Didier Chapet avait été tué , Bertrand Garde blessé et Albert Ogier fait prisonnier.
- Albert Ogier ?
- Oui, c'était le plus proche camarade de Didier. Ils avaient les mêmes idées et c'est pourquoi les militaires les avaient envoyé là-bas. S'ils étaient restés avec nous, je crois bien que les deux tiers du bataillon aurait déserté.
- Déserté ? Il y a eut beaucoup de déserteurs en Algérie ?
Rochette
pousse vers nous quelques coupures de journaux, mais je préfère
l'écouter.
- En 61, la guerre durait depuis longtemps et de plus en plus de voix s'élevait contre elle. Il y avait eut les insoumis, les sous officiers d'origine Algérienne, qui avaient rejoint les rangs de l'ALN, le putsch des généraux, le procès Jeanson et les révélation sur la torture. Beaucoup d’événements ayant contribué à nous faire réfléchir, même moi qui était un peu innocent.
Il
a un petit ricanement en disant cela.
- D'ailleurs pour moi, Albert Ogier a déserté.
- Vous venez de nous dire qu'il avait été fait prisonnier.
- Officiellement, je vous ai dit que c'était ce que nous avait raconté l'armée. Et...Il marque un temps...Ce que dit l'armée !
J'observe
ce petit vieux en me disant que l'on écoute pas assez les anciens.
- Montrez-nous vos photos.
En
vidant sa valise, Rochette nous tend de vieux clichés. Il fait
semblant de chercher, mais pour moi, il a déjà préparé son
affaire :
- Là, c'est Chapet avec Ogier. On voit Garde dans le fond.
Contrairement
aux photos d'époque, celle-ci est grande et très nette. Les jeunes
gens sourient et si l'on ne connaissait pas le contexte, on pourrait
imaginer qu'il s'agit d'une banale photo de militaires.
- C'est où ?
Rochette
hésite :
- Au mess, il me semble.
Je
comprend son erreur :
- Je voulais savoir dans quelle ville elle a été prise.
- Mouzaïaville, évidemment et vers la fin d'ailleurs puisque, il pose son doigt sur la photo, je porte un bandage sur le bras.
- Vous vous souvenez d'autres membres du fameux commando ?
Pour
Rochette la réponse semble évidente :
- Oh non, ils venaient d'un autre régiment.
Il
sort une autre photo où de jeunes hommes rigolards font les clowns
comme on peut le faire à cet age. Les lieux ou les circonstances ne
comptent pas. La puissance de la jeunesse poussent à l'insouciance.
J'ai souvenir de photos de mon père pendant la guerre et elles
ressemblaient étrangement à celles-ci.
- je me souviens de ces deux là. Il nous désigne deux grands escogriffes efflanqués qui dénotent par leur sérieux. Il s'agit de Petut et Clavel, nous étions très proche. Il réfléchit. Nous formions une sacrée chouette équipe.
Il
continu à sortir des photos, mais il a l'air ailleurs. Michel qui
fouillait ses notes intervient :
- Ils sont morts
Merde,
entre les militaires qui nous la joue, mystère et boule de gomme et
tous ces vieux, morts ou amnésique, on est mal barré. Sans compter
notre incompétence crasse. Michel toujours dans ses notes fait une
sorte de bilan :
- D'après les papiers de la veuve Chapet, ils étaient 10. Garde et Maboso ont été assassinés en 81, Chapet est mort en Algérie. Petut et Clavel sont morts dans leurs lits il y a quelques années ainsi que Gilbert Etievent. Avec Ogier, disparu en Algérie, il nous reste Jean Stoppa, Raymond Prieur, Patrick Franc. Rochette nous regarde désolé :
- Avec nous, il y avait Berthot que je vois toujours dans le quartier. Il se rappellera peut-être quelque chose.
Michel
toujours dans ses notes, nous signale qu'il n'a pas ce nom. Il
appelle Joël qui est chargé de retrouver des adresses. N'étant pas
capables de retrouver nos clients disparus, nous essayons au moins de
retrouver des témoins. Notre riche cliente n’apprécierait pas
trop ce genre de recherches.
5 commentaires:
Avec cet épisode on a droit à une page d’histoire sur l’Algérie, en tous cas faut suivre, car les personnages se multiplient comme les p’tits pains dans les mains d’un certain jésus !
je suis d'accord avec DAN !........ et j'ai relevé une phrase :"on écoute jamais assez les anciens"... ça y est !! tu as enfin compris !!!?!!!.... :o) :o) :o)
Ah bordel ! Avoir seulement deux lecteurs et tomber sur des Havrais, je suis maudit !!!
T'as vraiment pas d'bol toi alors...;-)
ton destin est désormais marqué pour le reste de ta vie !!! :o)
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