En nous rendant chez Angèle Duvinage, la fille de Chapet, Michel m'interroge :
- Tu crois qu'ils ont voulu venger leur père ?
- La femme de Chapet est morte l'an dernier, sa fille pourrait nous éclairer.
Je
feuillette nos documents.
- Olivier le fils d'Angèle est né en 82. Il est hors du coup.
- Mais, il a disparu d'après Joël.
- Décidément, tout le monde disparaît dans cette histoire. Encore heureux qu'il soit né en 82, ce gone.
- J'ai hâte d'aller interroger les survivants.
Nous
restons silencieux le reste du trajet. Les époux Duvinage tiennent
une quincaillerie sur le plateau de la Croix Rousse. Nous ne sortons
pas du quartier. Ils semblent contrariés de notre visite. Tous les
gens que nous interrogeons le sont. Ce n'est pas un scoop, mais ces
deux là sont particulièrement désagréables. Avec nous ce n'est
pas un bon calcul. Michel fait sortir les deux trois clients qui
traînent et ferme la porte d'un geste vif. Avant que quelqu'un ne
proteste, il attaque :
- Où est passé votre fils ?
- Mais...mais nous l'ignorons.
Dans
le couple, c'est la femme qui parle. Elle est sèche et renfrognée.
Toute vêtue de noire. Il est vrai que sa mère est morte récemment.
- Vous n'avez pas déposé de main courante pour cette disparition, c'est étrange.
Elle
hausse les épaules sans répondre. Son mari nous explique que leur
fils était coutumier du fait.
- Il était très proche de sa grand-mère et sa mort l'a beaucoup affecté.
- Vous connaissiez Bertrand Garde le garagiste et Dominique Maboso le toubib ?
- Ils sont morts, il y a déjà pas mal de temps, non ? Mais nous les connaissions trop bien.
Le
silence tombe sur la boutique et je regarde Michel surpris
- Qu'entendez vous par là ?
La
femme qui n'avait pas l'air trop gai jusqu'à là, prend une mine
d'enterrement pour glisser dans un souffle :
- C'est maman.
Elle
éclate en sanglots, alors son mari explique :
- Ma belle mère a été brisé par la mort de son mari. Ils avaient à peine vingt ans, rendez-vous compte. Ils venaient de se marier. Brigitte Chapet était enceinte d'Angèle. Elle n'a jamais pu accepter cette mort.
- Cela se comprend, tout de même, intervient Michel.
- Oui, évidemment, mais cette mort est devenue une obsession. Toute la famille n'a vécu qu'à travers ce drame. Vous devriez visiter l'appartement de ma belle mère. C'est d'ailleurs là bas que notre fils passait le plus clair de son temps. Il y a sa chambre. C'est pourquoi sa disparition ne nous a pas trop inquiété.
Comme
je demande à visiter la chambre du fils, sa mère tressaille, mais
le père se lève :
- Suivez-moi.
L'appartement
se trouve au dessus de la boutique. On est vraiment dans le « cœur »
de Lyon.
- Vous verrez, ce n'est pas un gosse ordinaire.
Je
n'ai pas trop le temps de gamberger sur cette réflexion, puisque
l'homme pousse la porte de la chambre afin de me laisser entrer. Un
lit un bureau et une armoire tout ce qu'il y a de plus banal, mais
c'est les grands rayonnages couvrant deux murs qui attirent de suite
le regard.
- Il aime lire, dites donc !
- Ah, pour ça, il aime lire.
Je
déchiffre quelques titres au hasard et le moins que l'on puisse
dire, est que cela n'est pas trop varié : Algérie, Indochine,
Vietnam et autres douceurs militaro-historiques :
- Pas de polars ? De SF ?, pas de sexe ? Il voit un psy votre gosse ?
Le
mec fait la moue :
- Je vous avais prévenu, sa grand mère l'a entraîné dans sa folie. Jusqu'à sa mort elle a bataillé contre l'armée.
- Elle a fait un procès ?
- Des procès, vous voulez dire.
Je
regarde ces murs nus sans poster de footballeurs ou de
« guitare-héros » comme on peut s'attendre à en trouver
dans la chambre d'un jeune homme.
- Vous savez qu'en nous racontant tout cela, vous faites de votre fils , de votre belle mère et de votre femme des suspects idéaux.
Il
hausse les épaules fatalistes :
- Vous n'avez pas besoin de moi pour arriver à cette conclusion. J'ai toujours eut peur de cela.
Michel
intervient :
- L'appartement de votre belle mère a été vidé ?
- Il s'agit d'une petite maisonnette dans le huitième arrondissement. Elle nous appartient et pour l'instant ma femme n'a pas le cœur à la vider.
- Il peut être là bas ?
- Olivier ? C'est probable.
Michel
envoie quelqu'un de l'équipe vérifier pendant que je prends
l'ordinateur portable et la photo de militaires dans un cadre.
- Il y a votre beau père sur ce cliché ?
Duvinage
du doigt me désigne le visage d'un jeune homme souriant.
- Vous pourriez me nommer les autres ?
Il
sourit :
- Oh non, ma femme en connaît peut-être quelques uns. Descendons boire un café.
Face
à la photo, la femme a un imperceptible mouvement de recul.
- Angèle !
Le
mari semble décidé à reprendre les choses en mains :
- Il faut aider ces messieurs.
La
femme prend la photo et passe son doigt avant de parler à contre
cœur :
- Là, c'est Garde, on le reconnaît à ses galons. Elle réfléchit : Ici c'est Patrick Franc. Il venait parfois nous rendre visite. Je crois que celui là est Etiévent ou Clavel, je ne me souviens plus. En tout cas la photo a été prise avant leur mission dans la Mitidja. Ils étaient moins nombreux là bas.
- Que savez-vous de cette mission ?
Elle
reste silencieuse, les yeux rivés sur la photo.
- Maman disait qu'elle savait que tout cela finirait mal.
Que
voulez-vous dire ? Elle ne répond pas et me repasse la photo.
- Je ne veux plus entendre parler de cette histoire.
Michel
me fait un signe et nous partons.
Dans
la voiture je contemple la photo et tous ces jeunes gens pleins de
vie. Ils sont un petite vingtaine. Bien trop nombreux pour nous
intéresser.
- Chez la mère, nous trouverons peut-être une photo du petit groupe.
- L'histoire d'une terrible vengeance familiale ne tient pas une seconde. Je n'y crois pas.
- Ne t'énerve pas, nous verrons bien.
Mais
Michel n'a pas finit de s’énerver. Pour trouver la maison de la
veuve Chapet il tourne et retourne pendant des heures.
- Mais, il est où ce putain d'impasse ?
Je
souris de voir mon ami dans toute sa splendeur.
- Pourquoi n'achètes-tu pas un GPS ?
Il
me jette un regard noir :
- Tu plaisantes ? Je connais Lyon comme ma poche. J'aurais pu être taxi.
Je
rigole ouvertement et Michel va me frapper quand soudain, l'impasse
est devant nous. Nous pouvions tourner encore longtemps avant de
trouver ce passage si le hasard ne nous avait bien aidé. Imaginez,
entouré d'immeubles disgracieux, un adorable petit sentier de terre
bordé d'arbres et de petites maisons riantes.
- Merde, on est où là ?
- A la campagne.
- En pleine ville ?
Et
il vrai que devant la petite maison Chapet, le chant des oiseaux ne
cache pas complètement la rumeur des véhicules qui foncent dans
l'avenue toute proche. Dés l'entrée Michel houspille Lucien qui est
venu à notre demande visiter la maison.
- Merde, Lucien, tu ne pouvais pas te mettre à la sortie de l'impasse pour que l'on te voit ? On tourne depuis une heure.
Lucien,
bien audacieux, se dresse sur ses ergots :
- Vous pourriez tout de même vous acheter un GPS. Vous avez les moyens...Avec ce que vous nous payez !
Je
sursaute, surpris. Jamais Lucien ne s'était permis de parler ainsi à
Michel. S'il joue les kamikazes aujourd'hui, c'est qu'il a trouvé
quelque chose d’important, parce que sinon, il connaît le tarif et
d'ailleurs Michel s'est raidit et la baffe va partir quand ce grand
dépendeur d'andouille nous tend un cahier aux pages cornées. Nous
nous jetons sur l'objet et il ajoute :
- Il est dans sa chambre au premier.
Lucien
est méconnaissable, droit comme un I et le torse bombé, il est fier
d'avoir bien travaillé. Pourtant c'est mal connaître Michel que de
croire qu'il oubliera aussi facilement cette histoire de GPS.
Olivier
le petit fils de Chapet est prostré sur son lit. Je suis surpris de
découvrir un homme grand et musclé, alors que sans raison aucune
j'imaginais un être frêle et fragile.
- Je n'ai rien à vous dire, nous jette-t-il méchamment.
- On ne t'a rien demandé. Michel a usé du même ton avant de s'attaquer à renverser tous les tiroirs de la pièce pour une fouille tout ce qu'il y a de sauvage. Lucien qui nous a suivit, me jette un regard affolé sur le seuil de la chambre. Je ne sais pas où mon pote à dégoté ces méthodes d'interrogatoire, mais elles sont pour le moins radicales. Olivier est pour le coup stupéfait :
- Ce que vous faites n'est pas légal.
- T'as fais des études de droit ? On va faire la chambre de la vieille.
- Non !
Olivier
s'est dressé d'un coup et Michel le prend par le cou le forçant à
s’asseoir sur le lit.
- Parle nous un peu de la mort de Garde et de Maboso. Que sais-tu de ces crimes.
- Mais rien, je suis né en 82.
- Tsss, tsss. Ta grand mère t'en a parlé, non ?
Notre
client semble près des larmes. Je regarde le bras de Michel qui
serre Olivier contre lui.
- Allons, petit. Tu peux tout nous raconter, nous ne sommes pas des flics.
Il
nous lance un long regard.
- Je sais, votre collègue m'a expliqué.
Je
suis inquiet, en me demandant ce que ce con de Lucien a bien pu
raconter.
- Ta grand mère était contente de leur mort ?
- Elle disait que ce n'était pas assez.
- Comment cela, explique nous un peu.
Mais
le gars se ferme, apparemment mal à l'aise. Il se lève et Michel
recule surpris. Il faut dire qu'Olivier est vraiment costaud.
- Tu joues au rugby ?
L'homme
semble ne pas comprendre et j'interviens :
- Qu'est-ce que tu fais exactement toute la journée ?
Il
hausse les épaules :
- Rien, je m'occupais de ma grand-mère.
Un
long silence.
- Tu connais Pierre Marchand ? Tu sais où il se trouve ?
Olivier
baisse les yeux et je sais qu'il va nous mentir :
- Non.
Michel
bloque le passage au géant qui voudrait sortir :
- La mort de ton grand père. Qu'est-ce que tu en sais. Raconte-nous un peu.
Le
gars n'a pas l'air enthousiaste mais Michel a son air buté qui
encourage aux confidences.
- D'après grand mère, il a été assassiné.
- C'était la guerre, non ?
- Non, pas pour eux.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
Et
d'une voix posée, Olivier nous raconte l'histoire d'une bande
d'appelés envoyé dans une exploitation agricole.
- Ils n'en avait rien à foutre de ce combat mon grand père. Il était pacifiste et soutenait plutôt la lutte des Algériens. Mais ils n'étaient pas tous d'accord.
- Tu veux dire qu'ils l'ont tué ?
- Certain, oui.
Nous
nous regardons, Michel et moi. Ce type, il faut que l'on trouve un
moyen de l'amadouer. Il doit avoir des choses à raconter, mais pour
l'instant il est trop perturbé. Quelque chose le tracasse et ce
n'est pas seulement notre présence, même si Michel et ses méthodes
d'un autre temps auraient de quoi en perturber plus d'un.
- Donne nous au moins des noms, des contacts. Ton grand-père n'était pas seul là bas.
Pour
la première fois Olivier a un pauvre sourire. Il se lève pour se
diriger vers la chambre voisine. Michel me jette un regard
interrogateur, mais Olivier est déjà de retour, un cahier d'écolier
à la main.
- Ma grand-mère notait tout. Il y a, à coté, un placard totalement consacré à cette affaire : Les procès verbaux, les lettres échangées avec l'autorité militaire, les minutes des procès et autres actions en justice. Mais, et il pose la main sur le cahier, l'essentiel est là.
Michel
récupère le cahier
- Olivier, vous devriez appeler vos parents. Merci pour le cahier...et restez sur Lyon, nous aurons certainement à vous entendre de nouveau.
Michel
fonce dans la ville, sans décocher un mot. Il est irritant par
certains cotés. Je me console en feuilletant le petit cahier. Une
petite déception tout de même en l'ouvrant : Il n'y a pas
grand chose dans ces quelques pages.
Une
fois au bureau, je m'empresse de téléphoner à Claire pour lui
faire part des avancées de l'enquête. J'ai envie de montrer à
cette femme arrogante que nous sommes capables de prouesses. Mais
elle reste insensible :
- C'est pas mal, mais retrouver Pierre. N'hésitez pas à engager des frais, j'ai les moyens de vous payer.
Ah
ben, dit comme ça...
Le
bureau est désert et je profite de ces instants de calme. Je me
plonge dans internet, afin de me documenter sur l'Algérie et la
Mitidja. D'après l’enquête de la veuve Chapet, le régiment de
son mari fut envoyé à Mouzaïaville BA-140, une école transformée
en caserne. Après quelques mois, l'unité spéciale, « Fennec »
partit en mission à Sidi Mahfoud en plein centre de la plaine.
Trouver des infos sur ces lieux se révèle plutôt difficile. Mais
je lis tout ce qui concerne la vigne dans la Mitidja pour me donner
une idée de la région. J'en ai vite ras le bol et je vais attaquer
un jeu sur ordi quand Michel fait une entrée remarquable (et
remarquée)
- D'où sors-tu, animal ?
Il
titube, riant un peu trop fort, ce qui ne fait que confirmer ce que
je pensai : Mon pote a picolé et ce n'est pas la peine de lui
parler de nos affaires. Pourtant c'est lui qui aborde le sujet et je
l'écoute me raconter ses rencontres. Il est excité car bien que
n'ayant pas encore pu localiser un membre du commando Fennec, il a un
contact avec un ancien du régiment stationné à Mouzaïaville.
- Un vieux qui se souvient de Garde et Chapet. T'imagines ? On y va demain.
Mon
pote frétille et j'ai peur qu'un client n'entre, et découvre à
quel point notre équipe est mal en point. Alors je nous entraîne
chez Roger.
3 commentaires:
Voilà Phyll, j'ai dû supprimer le chapitre (et ton commentaire malheureusement) et ça marche. Ce qu'il ne faut pas faire, quand on a des lecteurs âgés !!!
merci gamin !!!!.... et sois en remercié par le troisième âge !!!! :o)
Je suis du quatrième âge moi alors bande de marmots, ceci dit (tiens ça va bien dans l'histoire ça) ceci dit disais-je l'histoire s'arrête toujours au bon moment pour qu'on revienne la semaine prochaine alors, bon ok je reviendrai puisque tu insistes !
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