lundi 11 janvier 2016

6. L'Algérie.



Arobase et Lucien sont au bureau et je suis surpris :

  • Roger est fermé ?

Les deux vedettes Lyonnaise de l’enquête en gros, me dévisagent méchamment :

  • On épluche les dossiers, nous, on ne va pas de bar en bar.

Michel d'un geste fait tomber la pression et demande à nos deux pitres si à la lecture des rapports de police, ils n'auraient pas une idée sur cette histoire de Nyons. Arobase arbore son plus beau sourire pour nous asséner doctement :

  • Nyons est la clef de l'affaire. Et je sais comment le tueur s'y est pris.

Il sourit niaisement mais enchaîne rapidement avant que Michel ne le colle au mur :

  • Cracoss a rencontré la veuve du toubib Marseillais, et elle se souvient avec précision du dernier jour de son mari. Grand amoureux de voitures anciennes, un inconnu lui avait proposé un modèle unique à un prix ridicule et Maboso était tout excité.
  • Venez en train, lui avait précisé l'homme, je viendrai vous chercher à la gare.
  • Et pour Garde c'est pareil ?
  • Certainement, il collectionnait lui aussi les vieilles voitures.

Je regarde mes collègues, songeur.

  • Un trafic de vieilles voitures de collections ?
  • Pourquoi pas ?

Je parlerai de cette hypothèse à Garnier et lui demanderai des tuyaux. Les flics doivent avoir des dossiers sur ce type d'affaires. Le tueur est-il de Nyons ? Est-ce plus facile de tuer par là bas ? L'assassin ne pouvait tout de même pas prévoir que la gauche allait arriver au pouvoir et chambouler toutes les organisations policières facilitant ainsi son impunité, non, c'est trop tiré par les cheveux.

Joël et Paulo font une entrée très remarquée. Je suis épaté de voir que les gars sont plutôt sérieux. « Vous venez taper vos rapports ? » Joël va répondre que oui quand les trois autres éclatent de rire :

  • Tu ne vois pas qu'ils se foutent de ta gueule, me dit Michel, ils viennent chercher leurs potes pour aller au bar, et on va faire pareil.
  • Une minute. Vous avez vu la veuve de Garde ? Elle se souvient de quelque chose au sujet de Nyons ?
  • Rien, sinon que son mari «était souvent absent et qu'il collectionnait les vieilles voitures. Il partait souvent pour en acheter ou visiter des salons...ou pour toute autre chose. Elle est très amère. Mais d'après elle, son mari avait beaucoup d'ennemis et elle en connaît la raison.
  • Comment cela ?
  • La Mulatière était « rouge »
  • Que veux-tu dire.

C'est Michel qui répond, lui l'enfant de la Mule :

  • Le coin était plein d'usines, d'ateliers et de mariniers. La ville était très « popu » donc très rouge et apparemment Garde était d'un autre bord.
  • Il était à la droite de De Gaulle qu'il détestait, explique Paulo et il n'avait pas sa langue de sa poche. Si vous ajoutez à cela sa double vie, cet homme avait tout pour se faire haïr.
  • Haïr, oui, mais assassiné comme il l'a été, il y a une grande différence.
  • Bon, assez causé. L'assassin, connaissant la passion de ses deux victimes, n'avait aucun mal à les attirer ou il voulait. Allons boire un coup chez Roger.
  • Tu as certainement raison, mais pourquoi à Nyons ?

Michel hausse les épaules en franchissant en dernier la porte du bureau :

  • Aucune importance, Nyons ou ailleurs, ce n'est pas important.

Je suis convaincu du contraire, mais comme j'ai soif, je reste muet.



Nous venons bien moins souvent chez Roger, mais quand nous y venons, cela ne rigole pas. Il y a comme un plaisir coupable à nous retrouver là, chez le gros. Paulo donne le ton en se hissant sur le plus haut des tabourets de comptoir au mépris de toute prudence, tandis que Lucien et Arobase commencent à donner leur opinion sur l’enquête en cours jusqu'à ce que Michel, désignant la salle bondée, ne leur enjoignent le silence :

  • Un peu de discrétion, merde ! Avant d’enchaîner à l'adresse du patron « Alors Roger, t'es heureux de nous voir ? »

Le gros hausse les épaules fataliste, en renouvelant nos consommations . Avec Joël nous commençons à dévisager les jolies clientes qui prennent un verre en salle. Michel connaît toujours quelqu'un et la soirée se déroule doucement entre avis péremptoires sur le jeu de l'Olympique Lyonnais ou sur la politique du gouvernement. Ce soir, comme Arobase ou Lucien, nous mourrons d'envie de parler de cette affaire, mais les consignes de silence de Michel sont définitives et nous attendrons la fermeture pour enfin parler. Alors nous avons bu, rigolé, et dragouillé. Passé minuit, le bar commence doucement à se vider et Roger va enfin fermer la porte, baisser le rideau de fer et la lumière de la salle.

  • Alors, qui a une idée ?

Michel nous défie, sachant que nous en sommes tous à pédaler dans la semoule. Nous avons interroger tous les proches de ce foutu Pierre Marchand sans vraiment avancer d'un pouce.

  • C'est tout de même troublant cette disparition. On dirait que ce type s'est volatilisé.

Je répond à Michel qui comme nous tous, réfléchit à voix haute tandis que Roger sans barguigner remplit nos verres. Il a sommeil, le gros, et se moque royalement du destin de ce Pierre qu'il ne connaît pas. Je regarde notre ami à la dérobée. Il a vieillit notre pote. Et nous aussi. Depuis combien de temps n'avons nous pas déclenché une bonne vieille baston dans notre bar fétiche ? J'en fais la remarque à Michel qui hausse les épaules.

  • Nous ferons cela au petit snack. La tête du patron ne me revient pas.
  • Dis plutôt que tu aimerais bien lui piquer sa femme.
  • Marcelle ? Une sainte, ce petit bout de femme.

En disant cela, il a les yeux qui brillent, Mais Joël, toujours en pleine réflexion, nous remet au boulot en abandonnant la piste de Pierre pour se pencher sur le double assassinat.

  • Ce qui nous manque, c'est le lien. Voire même « les liens » Car, ces crimes sont certainement en rapport direct avec la disparition de notre artiste maudit. Et, si nous trouvons ce qui relie ces deux meurtres, nous aurons fait une avancée significative.
  • Ah, bravo Joël, si tu n'étais pas là, on se demande comment on résoudrait toutes ces affaires.

Jo se renfrogne mécontent, pourtant il a raison. Qu'est-ce qui peut bien rattacher ces deux vieux ? Et Nyons ? Chacun plonge dans son verre et ses pensées.

  • L’Algérie !

C'est Paulo qui vient de parler du haut de son tabouret :

  • Quoi l'Algérie ?

Je regarde mon pote sidéré. Qu'il ne dorme pas encore est déjà une prouesse, qu'il ne soit pas tombé, un exploit, mais qu'il puisse encore réfléchir semble devoir démontrer définitivement la supériorité de l'homme vis à vis de l'alcool.

  • Les victimes ont le même age que mon père, et si il y a un truc qui a marqué mon père, c'est la guerre d'Algérie.
  • Il en parle ?
  • Non, pas trop, mais je sais que c'est important pour lui.

Nous nous regardons septiques.

  • Faudrait vérifier.
  • Je m'en occupe demain. Et Nyons ? Nous nous tournons vers Paulo :
  • Oh grand sage, tu as un indice pour Nyons ?

Mais notre voyant extralucide dort déjà. Roger, avec douceur, le descend de son tabouret. Il est l'heure pour tout le monde de rentrer. Roger et Paulo, incapables de faire un pas dorment sur place, allongés sur des banquettes pendant que Joël qui a moins bu ramène la petite troupe, alors que Michel et moi rentrons à pied.

  • Tout de même, il est fort ce Paulo. L'Algérie, qui aurait pensé à ça ?
  • Doucement, nous ne sommes certain de rien.

Michel sourit d'un air entendu, et moi même, malgré mes réserves apparentes, suis bien convaincu que Paulo, encore une fois a trouvé la solution. Le plus difficile maintenant va être d'obtenir des renseignements fiables de la part de nos amis militaires.

4 commentaires:

DAN a dit…

On sait que le bar chez Roger est une annexe du bureau de nos fins limiers, mais qu’il devienne comme la roulotte des extras lucides là ça dépasse tout, mais avec son air de ne pas y toucher Paulo a peut-être une piste intéressante à explorer va savoir !
PS : impeccable le fond gris, on lit le récit sans fatigue.

Louis a dit…

Méfions nous de Paulo, qui sans paraitre y toucher, apporte toujours sa "patte" dans les enquêtes. Quel suspens tout de même !!!
Bonne journée l'ethnologue !

phyll a dit…

c'est marrant...... je m'attendais franchement à ce que Paulo tombe de son tabouret..... bon, ce sera pour une prochaine fois !!....quant à une bonne baston, ça ne saurait tarder, non ??... :o)

Louis a dit…

Négatif. Les monstres ont vieillit et se sont achetés une conduite.