mardi 8 décembre 2015

1. Claire, la bourgeoise.


En me voyant le chapeau sur les yeux et les pieds sur le bureau, vous ne seriez pas loin de vous imaginer que je me la joue un peu trop « série noire »et compagnie. Hé bien, vous seriez dans l'erreur. Si je me tiens ainsi en fin de journée, c'est tout simplement pour faire ce que mon pote Julot, appelle, « un petit flash ». Et j'en aurai bien besoin avant la nuit qui m'attend. Ne croyez-pas que le métier de détective, soit un boulot de tout repos. Depuis le début de l'après midi, je lis et relis tout ce dossier qui nous occupe depuis quelques jours. Mais, j'ai beau me déchirer les yeux, je ne vois rien là-dedans me permettant de découvrir quoi que ce soit d'intéressant. Nous n'allons pas couper à une nuit de veille. C'est gai !
Lors de notre licenciement, il y a quelques années, Michel et moi n'avons pas hésité une seconde avant de monter une petite escroquerie tout ce qu'il y a de plus rentable, au détriment de nos patrons, qui n'avaient pas hésité, eux, à transférer notre usine au bout du monde. Notre machination a fonctionné à merveille, nos patrons sont morts et nous sommes devenus richissimes. Comme quoi, il y a une justice en ce bas monde. Avec tout ce fric, et l'aide de Garnier, le flic ami de mon père, nous avons monté cette agence dans laquelle nous avons embauché des amis licenciés comme nous. La chance nous ayant permis de résoudre deux affaires très médiatiques, nous ne manquons pas de clients. Nos bureaux, situés sur les pentes de la Croix Rousse dans un ancien appartement de canut, donnant directement sur la ville de Lyon, ne manquent pas de faire leurs petit effet sur la clientèle. (Ils nous ont coûté pas moins que la moitié de notre pécule!). L'hiver, lorsque l'obscurité tombe tôt, j'aime bien donner mes rendez-vous après 17 heures, afin que les lumières de la ville illuminent nos trois grandes baies vitrées. J'aimerai embaucher une secrétaire pulpeuse pour parfaire notre image, mais Michel trouve que cela ferait trop.
  • Trop quoi ? lui ai-je demandé un jour.
Il m'a regardé sans me répondre, comme si j'étais le dernier des abrutis, ce que je suis très certainement. De toute façon, avec tous les collègues que la fermeture de l'usine a laissé sur le carreau, nous ne manquons pas de secrétaires, standardistes, même s'ils sont bien moins sexy que dans mon imagination. Aujourd'hui, par exemple, c'est Paulo qui tient ce poste. Comme il doit préparer son anniversaire, ce rusé a basculé le poste sur le téléphone de chez Roger. Il prend les messages au bar. Enfin j'espère !
Tout doucement les gars rentrent de leurs missions sur le terrain et vont taper leurs rapports. Je suis épaté : Tous ces types qui il y a quelques mois encore trimaient sur des machines outils, se sont glissés aisément dans leurs nouveaux costumes d’enquêteurs . J'admire leur sérieux et leur application. Ils aiment ce qu'ils font. Comme me l'a dit un jour Paulo : « Surveiller des gens, c'est presque aussi chiant que de travailler à la chaîne. »
Le soleil commence à descendre sur la colline de Fourvière et je me demande si je ne serais pas mieux « chez Roger » Je ne travaille sur aucun dossier actuellement. Ma blonde est aux abonnés absents. Emma a disparu depuis si longtemps que j'en viens à me demander si elle ne serai pas partie avec Gianni. Je n'aime pas la façon dont les amis détournent la conversation d'un air gêné quand je pose des questions à ce sujet. J'avoue que notre relation était bringuebalante mais tout de même, elle exagère. Je m’énerve tout seul et au moment ou je vais aller me calmer au rade, cette femme est entrée. Une bourgeoise à n'en pas douter. Elle me toise avec arrogance :
  • C'est vous le privé ?
Sa voix est rauque et troublante, et ses yeux noirs en vous dévisageant avec insistance ajoutent encore au malaise. Elle transpire la classe, mais on sent pourtant chez elle quelque chose de vulgaire.
Je fais moi aussi mon inspection avant de répondre. 30, 40 ans environ, mais plus près de 40 à mon avis. Mais, une quarantaine qu'elle porte beau. Dans sa robe fourreau griffée d'un grand couturier, sa silhouette resplendit et je suis sous le charme.
  • Vous avez besoin de nous ?
Elle désigne le paysage d'un regard admiratif mais, d'un geste large assène :
  • Passez chez moi demain, vous verrez que ce n'est pas mal non plus.
J'aimerais lui dire qu'il faut prendre rendez-vous, mais son ton et son regard m'en dissuade. Cette femme a l'habitude de donner des ordres et de ne pas être contrariée. De plus elle est trop belle et je sens l'affaire intéressante...et juteuse financièrement.
  • Mon frère a disparu.
  • Pourquoi ne pas en parler maintenant. J'ai déjà sorti une fiche, mais elle m’arrête :
  • Je faisais des courses dans le quartier et je n'ai pas le temps. De plus, mon chauffeur, est mal garé. Elle sourit :
  • Des amis m'ont dit du bien de vous.
Comme je la regarde sans comprendre, elle me donne sa carte avant de sortir :
  • 15 heures vous ira ?
Comme si j'avais le choix. Elle est déjà partie et il ne reste plus que son parfum entêtant. Je me cale au fond de mon fauteuil plutôt satisfait : Les bureaux ont fait leur impression. Je regarde sa carte et sourit : Claire Dupuy Boulevard des Belges. Le quartier des Brotteaux, l'un des quartier les plus huppé de Lyon. « Il n'y a pas trop de bistrots par là bas », me dit Michel quand je lui montre le bristol. Malgré ce défaut rédhibitoire, mon pote est bien d'accord pour foncer sur cette enquête. Nouveau quartier, nouvelle clientèle, notre agence doit continuer à s'ouvrir au (beau) monde.

Claire Dupuy est une très jolie femme bien consciente de cette beauté. Elle nous reçoit dans un appartement luxueux situé vers le Parc de la Tête d'Or. « Le quartier bourgeois » m'a glissé Michel en grimpant le majestueux escalier. « J'aurais trouvé sans toi » lui ais-je répondu finement. En attendant le café, nous examinons cette petite bibliothèque où nous a introduit ce majordome au physique de boxeur de banlieue, peu à sa place dans un tel cadre. C'est riche, mais trop chargé à mon goût. Deux taches de couleurs vives explosent sur les murs. « Des Kandisky, des vrais » me souffle mon pote visiblement impressionné.
  • L'héritage de mon mari, précise Claire Dupuy qui vient d'entrer dans la pièce, amusé par la surprise de Michel.
  • Votre mari est très riche ?
Claire Dupuy sourit :
  • Ça, c'est le moins que l'on puisse dire : Grande bourgeoisie Lyonnaise. Mélange d'industriels et de notable ayant bâti au fil des ans un empire que nous nous acharnons à dilapider sans vergogne. Je suis le vilain petit canard de la bande.
Elle a un regard provocateur et canaille en disant ces mots. Je reste silencieux, un peu « sonné » de me retrouver dans ce monde, mais Michel poursuit :
  • Alors, vous n'êtes pas du même milieu.
  • Ah, ça non, je viens de la Mulatière où papa avait un garage, et cela n'a pas été facile tous les jours mais je ne vais pas me plaindre.
Michel, a tiqué en entendant parler de la Mulatière :
  • Quel garage ?
  • Mon nom de jeune fille est Garde, vous connaissez ?
  • Évidement, moi aussi je suis de la Mule. Nous avons à peu près le même age, et sommes tout les deux des « pays », je connaissais vos parents et votre frère de vue, comment se fait-il que je n'ai aucun souvenir de vous ? Une si belle femme.
Habituée aux compliments, elle ne rougit pas :
  • Mes parents voulait me faire échapper aux « voyous de La Mule » comme ils disaient. ils devaient penser à vous, ajoute-t-elle en riant franchement et explique qu'elle a été placé dans une pension catholique de la région du Puy en Velay. « Croyez-moi, j'y ai appris plus de vices et turpitudes que tout ce que vous auriez pu m'apprendre dans les caves de La Mulatière. »
Bien décidé à poursuivre l’enquête, je me décide à interrompre ce discret marivaudage et reprends la main, Michel étant, pour le coup, bien trop rêveur :
  • Parlez nous de votre frère.
  • Lequel ?
Michel va balancer une grossièreté, aussi je poursuis comme si cette conversation était tout à fait normale :
  • Parlez-nous de tous vos frères si cela vous chante.
Elle me jette un regard moqueur, contente d'avoir provoqué ma mauvaise humeur :
  • Reprenez du café et calmez-vous. Je voulais plaisanter. C'est mon frère Pierre qui a disparu. Mon demi frère pour être plus précise.
Michel semble se souvenir d'un détail :
  • Garde, cela me revient. Votre père n'avait-il pas une double vie ? Et comme elle acquiesce d'un mouvement de tête un peu trop rapide, il ajoute : « Quelle histoire à la Mule. Votre père n'avait pas trop la cote. Du coté de nos mères, surtout. »
  • Voyez mon frère Louis qui vous parlera de cela mieux que moi. Mais soyez vigilants, de ce qu'il va vous dire. Louis est jaloux. Il n'a jamais accepté mon nouveau statut. Il déteste mon mari et Pierre. Il s'épuise dans ce foutu garage, refusant toute aide.
  • On a sa dignité, tout de même, ne peux s’empêcher de couper Michel.
  • Voilà, c'est cela : «  Sa dignité » Il parle comme vous. Tout un tissu de conneries. L'esprit de La Mulatière, je suppose.
Elle a mit beaucoup de mépris dans ces derniers mots et je sens mon pote prêt à exploser.
  • Parlez-nous de Pierre. Vous êtes apparemment plus près de lui, votre demi-frère que de votre frère, Louis si j'ai bien compris ?
Elle me sourit comme l'on sourit à un enfant :
  • Évidemment. J'aime Pierre. Il est différend. Un écorché vif. Un marginal. On parle là, d'un autre monde, un monde que ne peut pas comprendre Louis et sa petite vie de boutiquier pour qui, seul le garage de Papa compte.
  • De quoi vit Pierre ?
Elle prend le temps de siroter son café afin de réfléchir avant de répondre
  • L'art ne nourrit pas son homme, Il a besoin de mécènes.
  • Un parasite ?
  • Pfft ! Pour des gens comme vous, des gens de La Mule, peut-être, mais pour moi c'est un artiste. La société ne tolère pas les gens comme lui. Il est trop pur.
Comme nous restons silencieux, elle ajoute.
  • Lorsque mon père a été assassiné, Pierre avait treize ans et mon frère Louis et moi, ignorions encore son existence.
Je me sens d'un coup dépassé et lui demande des éclaircissements. Elle me regarde surprise, et semblant réaliser la situation, sourit . Elle est vraiment très belle :
  • Que je suis sotte, vous n'avez encore pas commencé l’enquête. Vous ignorez donc que mon père, a été assassiné en 1981. Meurtre toujours non élucidé à ce jour. Un vrai traumatisme pour Pierre qui curieusement adorait ce Père pour qui nous n'avons, Louis et moi aucune affection. A part peut-être pour le garage en ce qui concerne mon frère ajoute-t-elle en souriant. Je suis inquiète pour Pierre. Comme je vous l'ai dit, c'est un garçon entier, qui ne transige sur rien. Depuis des mois il me pose des questions sur ce meurtre. Malheureusement je n'ai rien pu lui apprendre qu'il ne sache déjà, et voilà pourquoi je compte sur vous. Elle nous tend une grosse enveloppe. « Tout est là, avec un chèque pour démarrer. Voyez les détails avec Jonas.
  • Jonas ?
  • Mon majordome. Un ami de Pierre.
  • Vous désirez que nous retrouvions votre frère ou l'assassin de votre père ?
  • Les deux, bien sur ! N'êtes vous ce qui se fait de mieux sur Lyon ? La crème des enquêteurs ?
Sans l'ombre d'un doute, nous voilà bien mal partis avec une affaire pareille. Mais la femme est belle et le chèque conséquent. N'est-ce pas le point de départ de toute histoire de détective privé ?
Je vais avoir besoin de rencontrer Garnier, ce flic si complaisant.

5 commentaires:

phyll a dit…

et ben voilà....... le décor est planté !!!!

Louis a dit…

Quelle galère cette histoire !!! Heureusement cela ne se passe pas au Havre !!!

phyll a dit…

ha ha !!...... sinon je vois que tu as résolu le problème de la mise en page !!
bonne soirée !

DAN a dit…

Y'a un "truc" qui ne fonctionne pas très bien ici, mon précédent commentaire a disparu !

DAN a dit…

Il y a vraiment des choses qui "déconnent" sur ton blog, un coup il y a 7 commentaires, un autre coup il n'y en a que 4, ça change tout le temps quoique qu'aujourd'hui c'est resté à 4 !
Pas glop tout ça