04. Chrystelle

• Laisse tomber cette histoire de disparition, ta petite Estonienne te raconte des craques. Elles ne racontent, d'ailleurs, que des bobards toutes ces filles.

Nous sommes chez Roger depuis des heures et c'est plutôt calme. Alors comme je m'enflamme un peu trop au sujet d'une nouvelle « grosse enquête » , mon pote Michel calme mes ardeurs. Je veux protester mais Julot, Cracoss et Guitout font une entrée très remarquée. Ils reviennent du meeting de Ménanchon, mais à mon avis, ils devaient suivre les discours du bar. Guitout balance de grands coups de canne blanche et Julot a l'élocution pâteuse. Ils viennent se coller à nous avec des « Ménenchon président » des plus réussis. Même Roger rigole, lui qui est pourtant en pleine déprime depuis que sa dernière petite amie l'a quitté pour retourner en pension. A14 ans c'est plutôt normal, même si ce gros dégueulasse répète « qu'elle est beaucoup plus mure que son age » Il va finir en tôle le Roger.

J'aurais bien aimé continuer à polémiquer avec Michel, mais avec les autres peintres qui braillent autour de nous, il ne faut pas y compter. Pourtant, je trouve Michel plutôt injuste avec Aliide, ma petite beauté Estonienne. Je crois qu'il est jaloux. Profitant que Cracoss me bave dans l'oreille ses consignes de vote, je lui demande s'il ne devrait pas être de garde au bureau.

• Tu rigoles ? Qui va appeler l'agence en pleine nuit ?

Je lui rappelle ce qui avait été négocié, notamment cette permanence de nuit pour rester à l'écoute du canal des flics « au cas où »

• C'est même toi qui a eut cette idée.

Mais, il ne m'écoute plus, trop émoustillé à regarder Julot mettre du sel dans le verre de blanc de Guitout. Verre qu'il se prend immédiatement dans la gueule en protestant qu'il n'a rien fait.

• T'as rigolé, c'est pareil, tu crois que je ne l'ai pas sentit l'autre zouave à tourner autour de mon verre. Je suis peut-être aveugle, mais je ne suis pas sourd. Et puis vous êtes trop cons.

Julot veux se justifier mais Guitout lui balance son revers en pleine poire et notre néo-rural va se réfugier dans les bras d'une petite Biélorusse fraîchement débarquée sur Lyon. Pendant qu'elle s'occupe de son nez meurtri, Michel me glisse « qu'il est bien mal parti, le front de gauche ! »

• Tu vas voter, toi ?
• Évidemment, tu me prends pour qui ?

Je connais bien mon pote, et avant qu'il ne se lance dans un de ses discours d'éducation civique, je fais renouveler les consommations. Guitout est resté près de nous tandis que Cracoss et Julot font les beaux avec des filles en se tenant prudemment éloigné de lui.

• J'ai rencontré Chrystelle l'autre soir, vous voyez de qui je veux parler ?
• L'épicière bio ?
• Ouais, elle. Putain, quelle descente la gamine. J'ai passé la soirée avec elle, et ben, je suis rentré au radar, croyez-moi.

Nous rigolons :

• Mais malheureux, nous t'avions pourtant prévenu. Elle est redoutable cette fille.

Guitout minaude :

• Elle est vachement bien oui.

Il rougirait presque ce benêt.

• Mais regardez moi ça, v'la notre aveugle préféré qui en pince pour Chrystelle. Michel ajoute : c'est l'effet « Intouchables » aujourd'hui, y'a que les handicapés qui on la côte avec les gonzesses.
• Bande de niais. En tout cas vous devriez la rencontrer, vous « les grands détectives » Cette fille a des choses à vous dire. Ah, il s'en passe dans le bio.

A ce moment de la soirée, je me dis que parler de « mystère dans le bio » avec un aveugle Mélanchoniste aviné devient de plus en plus surréaliste, et qu'il est temps d'aller au lit. Ma petite Estonienne étant absente je jette un œil de prédateur (quand je vous dis qu'il se fait tard!) sur la salle avant de me résoudre à rentrer seul.

Je vais sortir quand Guitout nous précise que Chrystelle passera demain soir.

• Soyez là, elle veut vous parler.

Il ne s'emmerde pas, l'autre. V'là qu'il prend nos rendez-vous à c't'heure.

• ben quoi, je suis votre secrétaire, non ?

Michel lui passe la main sur les fesses en riant, « Oui ma poule ! »

• Toi, tu vas l'avoir ton procès pour harcèlement. Continue un peu.
• Chochotte, va !