vendredi 9 avril 2010

45. Coco

Il paraît que Paulo, que je vois toujours collé au comptoir, voyage beaucoup. J’ignore par quel mystère. Pourtant ce soir, notre pote trône comme une vedette sur son tabouret préféré. Et il y a de quoi : Tous les pionnards du café des sports, entoure un Paulo radieux exhibant une grande cage dans laquelle je découvre en me frayant un passage à grands coups d’épaules et de torgnoles, un magnifique perroquet. Pour moi, pas de longs voyages dans les îles Maldives ou autres, faut pas qu’il nous prenne pour des jambons le Paulo. Son volatile il l’a acheté dans une animalerie de la banlieue Lyonnaise, y’a pas à tortiller. Je réalise à voir mes potes, qu’ils ne viennent pas de démarrer l’apéro. Non, quand Michel braille l’Internationale comme il le fait actuellement, quand Paulo la larme à l’œil, allume son vieux mégot oublieux de la nouvelle loi, ou quand Arobase essaye de vous expliquer en pianotant sur son mini-ordinateur (et en bégayant) les différentes sortes de volatiles qui existent dans le monde, vous pouvez vous dire sans efforts, que vous venez de rater un chouette moment d’amitié alcoolisé. Bob le patron a la mine un peu chiffonnée, et j’en comprends la raison quand Paulo lui demande bruyamment s’il peut laisser son perroquet sur le bar. « Cela te fera de la pub. » « Mais…j’ai déjà les cendres de ton chat » Gémit l’autre qui se reprend en croisant le regard noir (injecté de sang) que lui balance Michel : « Bon, on verra » Chacun y va de son avis et au bout de quelques heures d’Internationale et de bières Michel, qui a encore du coffre, rugit : « C’est un facho ton bestiau, il refuse de chanter avec les ouvriers, on va le bouffer » Affolé, Paulo serre la cage entre ses bras. Il va pleurer quand je lui tape sur l’épaule pour lui demander de me confier l’animal. « Paye ta tournée, je vais lui apprendre à parler à Coco. » « Il s’appelle Jean Marc » Je fixe ce pauvre Paulo atterré : « Jean Marc ! Mais comment tu veux qu’il parle avec un nom pareil. Un perroquet c’est Coco. On ne discute pas. Pareil, un con c’est Lucien ! » J’ai lu quelque part que pour apprendre à parler à un perroquet, il faut y aller doucement, attendre qu’il soit calme, ne pas insister mais bien capter son attention. Alors, tous les soirs je lui chuchote les yeux dans les yeux : « Patron paye ta tournée » et après un petit sifflement : « A Gerland, c’est des connards ! » Evidemment, ce n’est pas du Shakespeare, mais pour un bistrot c’est bien suffisant. Il ne se passe rien pendant des jours quand un soir en plein apéro, alors que Michel siffle d’admiration face à la connerie de Lucien, retentit un réjouissant : « A Gerland, c’est des connards ! » du plus bel effet. Les tournées tombent comme à Gravelotte dans une ambiance de fête. Que ce niais d’animal n’est pas retenu la phrase « Patron paye ta tournée » nous chiffonnent un peu, sans parvenir à gâcher complètement notre soirée. L’attraction attire pas mal de monde et Paulo commence à nous gonfler sérieux avec sa nouvelle notoriété de marin au long court. Aussi, le jour ou l’animal disparaît nous sommes surpris mais pas trop attristés.
A quelques mois de là, après un match à Gerland, nous échouons dans un petit rade sombre mais animé pour nous remettre à coup de bières de nos émotions. Une cage couverte au bout du bar nous rend naturellement curieux, et le patron ne rechigne pas à nous éclairer : « C’est Jean Marc, mon perroquet, mais là, il dort » « Tu parles ! » C’est un gros boudiné dans un affreux maillot de l’Olympique Lyonnais qui enchaîne au grand déplaisir du tenancier : « Figurez-vous qu’il y a quelques temps, un petit salopard a osé nous voler notre mascotte » Tout en poussant des exclamations qui expriment sa juste indignation, je distingue nettement dans les yeux de Michel, des voiliers qui coulent et un Paulo bien mal embarqué. « Mais continu notre voisin, c’est que notre Jean Marc est revenu à la maison, oui monsieur, il est revenu tout seul. Hein patron j’ai pas raison ? »Evidemment nous sommes passionnés comme l’ensemble du bar qui a déjà oublié la victoire de son équipe. Seul le patron fait un peu la gueule alors je fais renouveler les consos. « Mais, y cause pas c’t’animal ? »Michel s’est discrètement approché de la cage quand le patron répond d’une voix geignarde, (celle qu’il utilise habituellement pour parler des charges et des impôts) : Y causait pas, monsieur, mais quand il est revenu, ben, y causait ! Et il ne dit qu’une phrase, « patron paye ta tournée » Michel, jamais à court de ressources propose au patron, qu’il la remette justement sa tournée et il lève la toile sur notre coco à nous qui attaque des « Patron paye ta tournée » qui enchantent l’assistance. Assistance, qui l’heure avançant, est passé de supporters avinés à jeunes de Gerland aux regards noirs et suspicieux. J’explique à Michel qu’il nous vaut mieux partir. Sur le seuil du troquet je fixe intensément Coco. Il faut bien plusieurs secondes avant que son regard ne se mette à pétiller, alors je siffle et nous courrons à notre voiture tandis que retentissent les premiers réjouissants : « A Gerland, c’est des connards ! »

2 commentaires:

Papa de Lili a dit…

Mais c'est pas bien ça, d'utiliser un pauvre animal pour distiller (terme choisi) des vérités... Sans compter que, vu les loustics du rade, il va terminer en poulet rôti le volatile!
Amitiés.

BBK.mel a dit…

Bien vu le perroquet !