samedi 28 mars 2009

N° 18 L'historien

Dire qu’il nous intrigue, ce grand échalas maigre et binoclard est un doux euphémisme. Depuis quelques temps, au bar des Sports, il « squatte » un coin de banquette en buvant des cafés et des jus de fruits pendant des heures. Il investit deux tables, sur lesquelles il étale toute une tripotée de livres, de feuilles et de crayons. Chaque membre de la fine équipe y va de son avis éclairé. « Un intello » a doctement décrété Lucien, lui-même grand spécialiste du cerveau. « Un alcoolique anonyme » pour Paulo qui ne peut concevoir une telle abstinence. Grâce à nos informateurs, nous ne tardons pas à en savoir plus : Il s’agit d’un historien qui rédige un bouquin sur tous ces paysans du Limousin qui au milieu du XIXème siècle sont venus travailler sur les chantiers lyonnais. Malgré mon inculture crasse, les mots de « paysans limousins » me font songer à ces « maçons de la Creuse » de sinistre mémoire, qui ont récemment entraînés ma blonde en week-end avec Arobase. Alors, Michel et moi, nous voulons en avoir le cœur net, et nos bières sous le bras nous allons nous asseoir à la table de l’inconnu, qui une fois la surprise passée nous confirme ce que nous savions déjà : Il s’agit d’un ami d’Arobase (Oui, Arobase a des amis !) qui écrit un livre sur les maçons de la Creuse. Creuse, un département dans lequel il a effectivement passé un « délicieux » week-end avec Arobase et ses amies. A ces mots je serre les poings et les dents, car comme le dira plus tard Michel au comptoir : « Un intellectuel, c’est comme une femme, on ne lève pas la main dessus, c’est sacré ». En attendant, il demande à l’inconnu pourquoi il ne travaille pas chez lui. Le gars rigole et nous explique qu’il a des enfants en bas age et qu’il lui est difficile de se concentrer. Nous avons un regard dubitatif vers le décor qui nous entoure, le billard, le baby-foot et le juke-box mais le binoclard anticipe nos questions pour nous expliquer que toute cette agitation ne le gêne pas, bien au contraire. Il s’imagine dans les guinguettes ou les maçons limousins allaient se distraire une fois le travail terminé. C’est justement le chapitre qui l’occupe actuellement. Michel en profite pour lui demander pourquoi il ne boit jamais d’alcool, et après un temps de réflexion le gars nous dit qu’il se fera un plaisir de prendre l’apéritif avec nous ce soir. « Si vous êtes encore là » ajoute t’il avec perfidie. Là, c’est Michel qui serre les poings, alors nous préférons retourner à nos activités. Lorsque arrive l’heure de l’apéro, le jeune homme nous rejoint au comptoir, et avant même qu’il ouvre la bouche, tous les pochetrons nous entourent. Il faut un regard noir de Michel, pour que s’égayent les pique-assiette. Dans les bars, les ivrognes sont dotés d’un sixième sens en ce qui concerne les tournées gratuites. C’est comme un baromètre qui ne se tromperait jamais. Une merveille que la science n’a pas finie d’étudier ! Quand tout est un peu calmé, l’historien nous offre un verre et chacun y va de sa commande. Lucien qui s’agite beaucoup se prend un bon coup d’épaule de Michel. La bourrade chez nous, c’est l’équivalent du carton jaune chez les footballeurs : premier avertissement ! L’historien, lui, fait semblant de rien et se commande un petit blanc et nous lui emboîtons le pas. Quand arrive le tour de Michel, cette tête de lard fixe intensément notre écrivain avant de commander un jus de tomate. De surprise, Paulo tombe du tabouret sur lequel il venait de se caler et Joël laisse échapper son verre. Néanmoins les tournées s’enchaînent sans heurt, et après quatre verres, notre invité rentre sagement chez lui. Nous, bien sûr nous continuons tranquilles peinards. Michel passe sa soirée aux jus de fruits, et quand une blonde pleine de courbes vient demander du feu, il se précipite, l’allume, l’enflamme, l’emballe, et l’emmène. Les femmes n’aiment pas les types comme nous à l’haleine trop chargée. On reste au comptoir écœurés. Si pour Paulo, « Michel ne tiendra jamais », Lucien, lui, pense qu’il va prendre une maladie, «le cancer de l’eau, ils l’ont dit à la télé »Alors, comme une grande fatigue me tombe soudainement sur les épaules et que rien n’empêche de taper sur les cons, je retourne une mandale d’anthologie en pleine gueule de ce pauvre Lucien, victime de ma frustration de ne pas être moi aussi un « intello » pendant que Bob le patron s’inquiète : « Vous croyez qu’il va tenir Michel, parce que sinon, moi, il faut que je refasse ma commande de jus de tomate. »

5 commentaires:

Papa de Lili a dit…

Culture et abstinence seraient-elles à l'origine de la sagesse pour l'ami Martin?
Est-il en train, à la suite des "Maçons du Limousin" de poser la première pierre de sa future bibliothèque?
On peut toujours rêver!
Amitiés, ami Martin!

Francis a dit…

Moi je dis qu'une greluche qui clope, elle n'a pas à se plaindre des haleines trop chargées. Mais bon, moi je dis ça, je dis rien, hein ?

Adèle a dit…

Un homme intellectuel, qui boit des jus d'orange...
Tu nous créé des personnages totalement différents !
Où sont les ivrognes et les machos ?

;)

Louis a dit…

y'r'viennent, y'r'viennent !!!

BBK.mel a dit…

Et puis il y a même des greluches qui clopent, qui boivent, et qui emboitent le pas à Michel ! C'est dire la luxure !