mercredi 15 octobre 2008

11. La charrette





Depuis notre « grève triomphale », nous vivons quasiment en permanence au bar des sports. L’ambiance est tellement pourrie à l’usine que toutes occasions de sortir est la bienvenue. Les cadres revanchards nous mènent la vie dure et la situation est hautement électrique. Quand j’entre au bar ce matin là, Bob le patron, sans un mot, me désigne du pouce le fond de son rade où je découvre ce con de Lucien qui sanglote affalé sur sa table, la tête entre les mains. D’un haussement de sourcils, j’interroge en silence le patron, manière de lui montrer que je peux moi aussi, me la jouer « Humphrey Bogart » et en me servant ma bière il daigne enfin parler : « Il est dans la charrette, toi aussi d’ailleurs » Je bondis sur Lucien qui lève la tête à mon approche : « Martin, oh Martin » et il se remet à chounier. J’ai bien envie de lui claquer le beignet, mais j’ai d’autres soucis.
- Envoie la liste.
Je plonge sur l’infâme liste des licenciés qu’il me tend, pour découvrir sans surprise que mon nom figure en bonne place sur cette page. Oh, je ne me faisais pas d’illusions. Depuis quelques temps des rumeurs circulaient dans les ateliers et trouver le nom de tous les grévistes n’est pas une surprise.
- Comment tu as eu cela ?
- C’est Angèle, la petite brune du secrétariat.
Je siffle entre mes dents, toujours épaté de voir comment ce demeuré peut séduire tout azimut. Un mystère !
Je fonce au local syndical où c’est tout de suite l’émeute. Maurice, toujours sage, retape la liste avant de détruire l’originale, « pour que la petite n’est pas d’ennuis, déjà qu’elle supporte Lucien ! » Avec une tonne de photocopies, nous rejoignons les ateliers pour diffuser la nouvelle. A la lecture des tracts, tous ceux qui y lisent leurs noms, arrêtent immédiatement le travail. Les autres hésitent, et malgré mon coté intolérant, je les comprends. En tout cas, ça discute ferme et l’attroupement ne tarde pas à attirer un cadre zélé qui veut nous expliquer que nous n’avons pas à être là. Michel lui répond d’un formidable coup de boule qui libère d’un coup, toute ces années de frustration accumulées. Comme des furies, nous nous répandons dans les ateliers, savatant la gueule de tous les cadres osant se mettre en travers de notre chemin. La situation est trop grave pour que quelqu’un nous empêche de laisser s’exprimer notre haine. Plus de boulot, merde ! Il faut bien agir, non ? Soudain en levant les yeux j’aperçois à l’étage, un type en blouse blanche qui prend des photos. Avec Michel nous bondissons, et après une course épique dans les bureaux, nous coinçons le Doisneau du patronat contre la photocopieuse. Pendant que je détruis l’appareil photo, Michel lui refait la devanture. Puis, pour nous détendre, nous collons la gueule du gars contre la vitre de la machine pour le « photocopier » Nous trouvons le résultat si plaisant, que tout l’encadrement passe à la photo. Après, nous décorons l’usine de ces portraits sanglants. Une belle expo qui se termine raisonnablement au bar. Bob ne veut pas que l’on affiche nos œuvres, mais Michel d’un regard significatif lui fait changer d’avis. Après ce gai moment, nous attaquons une grève désespérée, et la boite nous traîne en justice.
Au procès nos avocats mettent en avant la violence qui nous était faite dans l’usine pour justifier, tant soit peu, notre violence à nous. L’usine a une telle mauvaise réputation, que notre procès tourne vite au procès de l’usine. Nous avons beaucoup de témoins , alors que nos adversaires sont plutôt seuls. Même le MEDEF n’a envoyé personne. Au final le président nous explique qu’il ne peut pénalement pas nous acquitter : « On ne frappe pas les gens comme ça » mais qu’humainement il ne veut pas nous condamner. « sursis » me souffle mon avocat radieux.
La nuit au bar est un mélange de joie et d’amertume. Avec Michel, nous savons bien que nous sommes tricards sur la région maintenant.
- Mais on a gardé notre dignité, nous !
- Ouais, mais commence à réfléchir à un futur boulot.
Michel sourit : « tueurs à gage ? »

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Ahah ! J'ai retrouvé le chemin vers la saison 2 !
Dis, je voulais savoir si je pouvais mettre un peu de pub dans ton bar, un flyer quoi ?
Pas pour des tueurs à gage, mais pour quelqu'un qui voudrait proposer des mots ???
:-p
(pfff, c'est presque de la triche, moi je dis...)

Louis a dit…

Évidemment. Tu peux tout faire ici, tu es chez toi. Mais, un flyer ? comment faire ?

Anonyme a dit…

Martin qui nous la joue façon grèves 1936!
Si seulement tout les tricards que nous sommes pouvaient s'y mettre...
Savater les c... ça soulage!
Amitiés ami Martin!

Anonyme a dit…

Pfff, t'as pas compris que je te faisais signe, quelques minutes après avoir mis mon article en ligne, pour que tu puisses jouer à être le premier à proposer un mot !?!?!?!?!?!?!
En tout cas, tu m'as bien fait rire car tu as posté à quelques minutes près, aujourd'hui... (Quelques minutes AVANT mon article et quelques minutes APRES Papa de Lili)... :-p
Allez, courage, tu y es presque !

Anonyme a dit…

L'éternelle question du ressenti humain : "ce que vous avez fait est condamnable, mais je vous comprends et j'aurais peut-être fait pareil."
En tous cas, certains sont déjà recyclés parmi les gars de l'usine : Michel en tueur à gages et Lucien en gigolo !

Anonyme a dit…

Mince, ça ne rigole pas à l'usine. La pointeuse est remplacée par le coup de boule le matin ?