vendredi 1 juin 2007

N° 01 Un certain sens de l'honneur

A mon arrivée au Lucky bar, la nuit et moi étions déjà bien entamés. Toutefois je mis un point d'honneur à franchir le seuil de l'établissement sans tituber. Non par peur du patron, qui ne m'avait jamais refusé l'entrée, mais plutôt pour le cas - hypothétique - ou une jeune fille peu farouche serait séduite par mon physique avantageux.
- Salut connard, tu veux une bière ?
Il a pris mon poing dans la gueule avant d'avoir mit un point d'interrogation à sa phrase. Pas question de se laisser insulter dans un lieu public, à cette heure là. Surtout à cette heure là ! Il faudrait se pencher un jour sur ce problème crucial : Plus l'heure et la consommation d'alcool augmentent, plus le sens de l'honneur est à vif.
Honneur ou pas, j'ai pas fait de détail, et le nez de mon adversaire a explosé comme un fruit s'écrasant sur le carrelage de la cuisine un jour de maladresse. D'accord, c'était Roger mon pote, d'accord j'l'ai pas reconnu, mais on ne va pas m'accuser d'un mouvement d'humeur bien compréhensible, non ? En tout cas, mon geste a déclenché une bagarre de légende. Je vous dis cela mais moi je n'ai rien vu, on m'a raconté. J’avais à peine posé ma main sur la gueule de ce con de Roger, qu'un tabouret de bar - métallique ! - m'expédiait dans les nuages.
- T'es content de toi ?
C'est l'harmonieux organe de Riton le patron qui me sort de mon inconscience. Je suis assis dos au bar et couvert d'éclat de verre. Une main m'aide à me relever, celle de Roger. Putain la gueule ! Il n'a jamais été très beau mon pote, mais là c'est terrible : il est laid, mais avec plein de couleurs rigolotes. Demain matin au guichet de la grande Poste, il va avoir du mal à caser ses produits financiers aux clients désirant des timbres. Je me redresse et constate que le bar est vide et dévasté. J'évite de regarder mes deux compagnons et me penche sur l’intéressant problème posé par la protubérance qui enfle à l’arrière de mon crâne. La douleur me taraude le cerveau. Je sais que cette douleur insistante ne m’exonère pas de celle qui vrillera mon cerveau demain à mon réveil. Il est d’ailleurs incroyable qu’un cerveau si peu important puisse abriter tant de douleur.
- T’es content de toi ?
Riton insiste lourdement, je sens des reproches à peine voilés dans le ton de sa question. Finement je contre attaque :
-T’es obligé d’avoir des tabourets en fer ?
- Fait pas le mariole avec moi Martin, tu as vu l’état du bar ?
Je lève vivement les bras, déclenchant une gerbe de feu sous mon crâne.
- Doucement les mecs, j’ai rien cassé moi. Adresse toi plutôt à ceux qui ont fait cela.
Riton malgré son embonpoint est sur moi a une vitesse étonnante.
- Tout est de ta faute Martin, Tu as vu la gueule de Roger ?
Je ne puis réprimer un sourire et malgré sa colère je vois les yeux de Riton s’allumer de gaieté.
- Il est con aussi ce Roger, me parler comme il l’a fait à une heure aussi tardive c’est du suicide.
- Mon pauvre Martin, tu sera toujours une cloche, y’a pas d’espoir.
Riton s’éloigne découragé, traînant sur ses épaules fatiguées toute la misère du Monde.
J’essaye de comprendre :
- Qui a foutu ce bordel à part moi ?
- Tous les clients s’y sont mis, qu’est-ce que tu crois ? Ils n’attendaient que ça, un prétexte, une excuse, n’importe quoi pour se défouler et... pour certains, se venger de moi.
- Qui ?
- Laisse tomber c’est mes oignons.
Mais Roger ne peut pas s’empêcher de parler :
- La bande du Macumba tu parles !
Je siffle entre mes dents.
- Putain ! y’avait Rémy et ses caïds ?
- Ses caïds seulement. Et Riton du bras désigne la salle :
- Ca suffisait non ?
Je suis vraiment emmerdé et j’essaye de calmer Riton.
- Ecoute, c’est pas grave, je vais t’aider à réparer et je payerais les dégâts.
- Arrête ton cinéma Martin, tu n’as pas une tune et tu le sais bien, tu bois à crédit depuis des mois.
- Embauche moi alors.
C’est ma vieille rengaine depuis que je suis au chômage, bosser sur les pentes, dans un bar sympa. Un rêve quoi !
Riton ne daigne même pas me répondre. Il échange un regard lourd de sens avec Roger. Je ne suis pas surpris lorsqu’il déclare :
- Martin c’est terminé, je ne veux plus te voir ici. Plus jamais c’est bien compris ?
- Mais...
- Non. Tu te casses et c’est tout.
Je comprends qu’il parle sérieusement et suis saisis d’effroi : Si les bars de « Prime time » me sont encore tous ouverts, le Lucky est le dernier bar de « Deuxième partie de soirée » qui me laisse encore entrer. Que vont devenir mes nuits si Riton reste inflexible ?
Je me traîne vers la sortie, espérant par mon allure de martyr infléchir la volonté du patron. Macache, personne ne me retient et je suis au bord des larmes. J’ai l’impression de perdre ma dernière famille. Au moment de franchir le seuil, je me retourne théâtral en diable :
- Je vais tout arranger, tu vas voir.
Et je sors dignement. Après un ou deux pas j’entends la voix de Roger crier à mon adresse.
- Fais pas de conneries.
Evidemment j’en ai fait des conneries. Mais que faire d’autre ? Au stade où j’en étais, un peu plus un peu moins...
Le chagrin et la colère m’aveuglaient lorsque je suis entré au Macumba. Ils n’étaient que deux avec Rémy et la surprise les a paralysés. Enfin je suppose que c’est la surprise, à moins que mes yeux n’aient trahi ma détermination et ma folie. Toujours est-il que je me suis farci les deux clients sans peine et sans bruits. Rémy me regardait les yeux ronds et la bouche ouverte. J’ai pris ses cheveux à pleines mains et lui ai écrasé la gueule sur le comptoir. Il y a eut des craquements du coté de sa mâchoire et je l’ai fini à coup de bouteille. J’ai foncé sur la caisse ramasser la recette de la soirée. Rémy s’est redressé alors que j’allais l’enjamber pour sortir. Grave erreur mon pote : mon pied lui a défoncé la tête. Le coup de pied c’est ma spécialité faut dire. Je suis le Platini de la baston. Là pour le coup, il n’a pas aimé la série de tirs au but mon petit Rémy. J’y suis allé de bon coeur c’est sur. Ce salaud m’avait foutu dehors de son bar il y a quelques mois pour une sombre histoire de fille, et je suis rancunier. D’accord, je n’étais pas obligé de ramasser ce couteau qui traînait, mais il n’avait qu’à mieux ranger son bar ce connard.
Je suis entré au Lucky comme un héros et j’ai jeté l’argent sur le comptoir. Riton et Roger me regardaient épouvantés et c’est la que je me suis aperçu que j’étais couvert de sang. La fatigue m’a pris d’un coup et j’ai dû m’asseoir. Comme au Macumba, aucun mot n’a été échangé, mais je vois Riton se diriger vers le téléphone. Il va appeler les flics mais je m’en moque, j’ai remboursé ma dette et ce bar me sera toujours ouvert.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai lu cette nouvelle ailleurs, y ai laissé un commentaire et reviens ici pour la relire. Blog mis dans mes favoris et je reviendrai lire d'autres récits avec plaisir.

Malvina

Eloïse a dit…

Bon, moi qui commençais à trouver le temps long en congé maternité, j'vais pouvoir lire les aventures de Martin.. Cool !

Eloïse.